Les choses peuvent vite changer au hockey, surtout en juin. En une transaction, Marc Bergevin s’est doté de l’espace suffisant sous le plafond salarial pour attirer un gros joueur autonome, dans le marché qui s’ouvre aujourd’hui, à compter de midi. Il reste maintenant à voir s’il sera en mesure de l’utiliser.

Bergevin a échangé l’attaquant Andrew Shaw aux Blackhawks de Chicago, hier, et a ainsi libéré 3,9 millions sous le plafond salarial, et ce, pour chacune des trois prochaines saisons.

La transaction se lit donc comme suit : 

- Andrew Shaw - choix de 7e tour en 2020

contre

- choix de 2e tour en 2020 - choix de 3e tour en 2021 - choix de 7e tour en 2021

Plus tard dans la journée, Bergevin a également cédé l’attaquant Nicolas Deslauriers aux Ducks d’Anaheim, contre un choix de 4e tour en 2020. Le contrat de Deslauriers était valide pour une autre année, à un salaire de 950 000 $.

Dans son cas, cependant, l’économie n’est que théorique. Deslauriers ne semblait plus faire partie des plans de Claude Julien, qui le laissait régulièrement de côté en fin de saison. S’il avait été cédé à Laval, son salaire n’aurait pas compté sous le plafond salarial puisqu’il est inférieur à 1,075 million, le crédit auquel ont droit les équipes qui « enterrent » un contrat de la LNH dans la Ligue américaine.

L’espace libéré par le contrat de Shaw, par contre, est nettement plus considérable. On l’écrivait samedi : le CH bénéficiait de trop peu de marge de manœuvre pour espérer attirer un joueur d’impact. C’est d’autant plus vrai maintenant qu’il est confirmé que les contrats de Karl Alzner et de Dale Weise ne seront pas rachetés. Si Bergevin était incapable d’échanger ces joueurs et qu’ils étaient cédés à Laval, ils compteraient tout de même pour un total de 4,85 millions sous le plafond salarial la saison prochaine.

En tenant pour acquis que Weise et Alzner amorceront la saison à Laval, le Tricolore compte actuellement 16,5 millions d’espace sous le plafond. Joel Armia et Artturi Lehkonen sont en attente d’un nouveau contrat, et l’équipe devrait embaucher aujourd’hui un gardien numéro deux. Il est raisonnable de projeter une facture de 6,5 millions pour ces trois joueurs, ce qui laisse donc approximativement 10 millions de marge de manœuvre à Bergevin.

Il reste maintenant à voir comment il utilisera cet espace. Le directeur général des Blackhawks, Stan Bowman, a indiqué hier soir en conférence téléphonique que le Canadien n’était « vraiment pas intéressé » à échanger Shaw lors des premières discussions. Tout indique qu’il y a eu un fait nouveau ces derniers jours pour en arriver à ce dénouement. Pourquoi la situation a-t-elle changé ?

Rappelons que les équipes de la LNH ont droit, depuis hier, de s’entretenir avec les futurs joueurs autonomes. Certaines ententes semblent d’ailleurs déjà réglées, notamment Sergeï Bobrovsky chez les Panthers, Mats Zuccarello chez le Wild et Joe Pavelski chez les Stars.

À Montréal, les yeux sont évidemment tournés vers Matt Duchene, qui a rencontré l’organisation du Canadien cette semaine. Mais le confrère de Sportsnet Chris Johnston a affirmé tard hier soir que Duchene s’était entendu avec les Predators de Nashville.

PHOTO AARON DOSTER, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Matt Duchene

L’ailier Anders Lee, un marqueur naturel fort comme Louis Cyr, fait également jaser, et le journaliste du Minnesota Michael Russo a affirmé hier que le Tricolore s’intéressait au défenseur gaucher Jake Gardiner.

Il reste aussi l’option nucléaire, soit la possibilité de présenter une offre hostile à un des nombreux joueurs autonomes avec compensation. Cette liste comprend notamment Mitch Marner, Patrik Laine, Mikko Rantanen, Sebastian Aho et Charlie McAvoy. C’est toutefois une option hautement risquée, car l’équipe qui possède les droits sur ledit joueur a le loisir d’égaler l’offre. Montréal pourrait ainsi déposer une offre, ensuite égalée, puis se retrouverait le bec à l’eau avec 10 millions à dépenser et aucun joueur d’impact à qui l’offrir…

Kinkaid, l’heureux élu ?

On mentionnait que le Canadien allait embaucher un gardien numéro deux aujourd’hui. Selon nos informations, tout indique que ce serait Keith Kinkaid. C’est aussi ce qu’affirme Elliotte Friedman, de Sportsnet.

L’embauche de Kinkaid serait certainement un gros pari de la part de Bergevin, en sachant que l’équipe a dû surutiliser Carey Price en fin de saison, en raison des mauvaises performances d’Antti Niemi. Kinkaid semblait sur la bonne voie chez les Devils, lui qui a présenté des statistiques supérieures à celles de Cory Schneider, gardien numéro un au New Jersey, en 2016-2017 et 2017-2018.

PHOTO JULIO CORTEZ, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Keith Kinkaid 

La saison dernière, Kinkaid était devant le filet des Devils pour une victoire de 5-2 des siens contre le Canadien, le 22 novembre 2018. Ce gain portait sa fiche à 9-5-3, avec une moyenne de 2,65 et une efficacité de ,914.

Depuis cette victoire, son dossier se lit comme suit : 6-13-4, moyenne de 3,94, efficacité de ,873. Ces statistiques sont inférieures à ce que Niemi – qui a connu sa part de difficultés ! – a offert au cours de la même période.

Cela dit, Kinkaid peut très bien rebondir et redevenir ce qu’il était avant, soit un gardien capable de présenter un taux d’efficacité de ,910.

Deslauriers s’y attendait

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Avec la saison que j’ai eue, de ne pas être dans la formation plus souvent, je m’y attendais », a indiqué Nicolas Deslauriers à La Presse, hier, une heure après avoir été échangé du Canadien aux Ducks.

Nicolas Deslauriers savait très bien que le changement d’air s’en venait. À force d’assister à des matchs du haut de la passerelle, à force de jouer moins de 10 minutes par match quand Claude Julien l’employait…

« Avec la saison que j’ai eue, de ne pas être dans la formation plus souvent, je m’y attendais », a indiqué Deslauriers à La Presse, hier, une heure après avoir été échangé du Canadien aux Ducks. « Mais, à Anaheim, ce sera un bon fit pour moi. C’est une équipe robuste. Les Blues se sont rendus jusqu’au bout en jouant comme ça. Je pense que ça peut m’aider. Je vais arriver prêt au camp, comme toujours. »

À 6 pi 1 po et 221 lb, et avec sa propension à plaquer tout ce qui bouge sur une patinoire, Deslauriers semble effectivement fait sur mesure pour le style de jeu rugueux qui prévaut dans l’Association de l’Ouest. À l’inverse, l’Association de l’Est est réputée pour son jeu basé sur la vitesse, mis à part les Islanders de New York et, dans une moindre mesure, les Blue Jackets de Columbus, dont les styles de jeu ressemblaient davantage à ce qui se voit dans l’Ouest.

Deslauriers en était bien conscient et en a justement discuté la semaine dernière avec Marc-Édouard Vlasic, défenseur des Sharks, lors du tournoi de golf de Phillip Danault.

« C’est reconnu pour ça. L’Ouest, c’est plus dur, plus physique. On s’en parlait avec Phil et Marc-Édouard ; ça joue plus dur, les joueurs sont plus gros. »

Ça va mieux cadrer avec mon jeu. Mais j’ai eu deux bonnes années ici.

Nicolas Deslauriers

Deslauriers avait connu une première saison de rêve – au niveau individuel – avec le CH, inscrivant 10 buts, un sommet personnel. Pour un joueur qui avait perdu sa place avec son ancienne équipe (Buffalo), c’était là un dénouement inattendu. Même si ça s’est gâté en 2018-2019, Deslauriers retiendra surtout du positif de son séjour à Montréal.

« D’être échangé, d’avoir une chance dans une organisation qui est de chez toi… Quand j’étais jeune, je rêvais de jouer pour le Canadien, et ça s’est produit. C’est le fun », a expliqué l’ailier de 28 ans.

Shaw l’a appris… sur la piste !

Andrew Shaw, lui, s’attendait moins à partir. D’abord, parce qu’il venait de connaître la meilleure saison de sa carrière, avec 47 points en 63 matchs. Ensuite, parce que Marc Bergevin faisait partie du personnel des Blackhawks quand ils l’avaient repêché en 2011, et avait ensuite fait son acquisition à titre de directeur général du Canadien. Il y avait visiblement un lien très fort…

Pour ajouter à la surprise, Shaw était dans l’avion, sur le tarmac, quand il a appris la transaction !

« Je ne l’ai pas vu venir. J’étais à Chicago pour visiter mon frère. On était sur la piste de décollage pour rentrer à Toronto. J’ai reçu l’appel de Bergevin avant qu’on décolle, pour m’annoncer la transaction. Puis, en atterrissant, j’ai reçu toutes les alertes, et mon téléphone surchauffait. Les dernières heures ont été assez folles ! », a-t-il raconté en conférence téléphonique.

Shaw semblait très enthousiaste de rentrer à Chicago, là où il a remporté la Coupe Stanley en 2013 et en 2015. Il a néanmoins eu de bons mots pour ses anciens coéquipiers.

« C’est toujours dur de quitter un groupe comme ça. Tu as des souvenirs, tu ne reverras pas les gars. Je ne pourrai plus vivre le Centre Bell, la foule de Montréal, comme je le vis depuis trois ans. Mais je sais que, grâce à la relation qu’on a bâtie, je vais rester en contact avec les gars. »

Ses coéquipiers le lui ont bien rendu, enfilant les hommages sur les réseaux sociaux.

Cela dit, rappelons que Bergevin avait cédé deux choix de 2e tour pour obtenir Shaw des Blackhawks en 2016. Il obtient donc un retour pratiquement équivalent, mais pour un joueur qui est aujourd’hui plus « usé » qu’à l’époque, et à qui il reste encore trois ans. Il a aussi obtenu de ce joueur un effort irréprochable, doublé d’une production offensive qu’il ne répétera peut-être jamais. L’énergie que Shaw insufflait à ses coéquipiers était indéniable.

Par contre, Shaw traîne un lourd bilan médical : trois commotions cérébrales « officielles », une blessure au cou la saison dernière, une opération à un genou, quatre séjours sur la liste des blessés seulement depuis son arrivée chez le Canadien.

Sous cet angle, le DG montréalais a réussi un très bon coup. Par contre, Chicago s’était servi de l’un de ces choix pour repêcher Alex DeBrincat, qui vient de connaître une campagne de 41 buts avec les Hawks. Ce sera au Tricolore de faire un aussi bon coup avec les choix obtenus !