Kristopher Letang parle rarement pour ne rien dire. Quand on l’a croisé à une soirée organisée par son agence, comme de fait, il ne s’est pas enfargé dans les banalités. 

A-t-il vu dans la fin de saison précipitée des Penguins de Pittsburgh le signe que leur fenêtre de succès se refermait ?

« Zéro. Notre meilleur joueur a fait 100 points cette année et il va avoir 32 ans. »

En fait, Letang s’est permis de lire différemment comment les Islanders de New York ont réussi à les éliminer en quatre matchs au premier tour des séries. Il a été déçu de plier bagage si vite, évidemment. Chaque joueur fier l’est. Mais il a aussi vu devant lui une équipe responsable défensivement, qui errait peu et qui a empêché les meilleurs joueurs des Penguins de briller.

« Regarde les équipes qu’on a battues en 2016 [année où les Penguins ont gagné la Coupe Stanley]. Personne ne pouvait nous arrêter. Est-ce que tu te dis à ce moment que tu as mal joué ou tu donnes plutôt le mérite à l’équipe qui est hot ? Personne dans notre formation n’est allé sur la glace en se disant : “Ça ne me tente pas cette année.” C’est dur de mettre le doigt sur le bobo, mais je donnerais surtout du crédit à l’autre équipe. » 

Et c’est d’ailleurs la base de sa réflexion sur l’état des Penguins, après une saison de hauts et de bas et une participation aux séries qui était moins coulée dans le béton qu’à l’habitude. Il ne voit aucun problème à ce que plusieurs membres du noyau de l’équipe, les Sidney Crosby, Evgeni Malkin, Phil Kessel, lui-même, soient dans la trentaine. 

Au contraire, même. Pour Letang, la volonté de plusieurs équipes d’enclencher le virage jeunesse coûte que coûte n’a pas que du bon.

La raison ? Le plafond salarial, entre autres.

Je trouve que tes jeunes sont censés être ta profondeur. Maintenant, tu vois les vieux qui sont devenus tes joueurs de troisième et quatrième trios.

Kristopher Letang

« Les équipes essaient de devenir trop jeunes trop vite. Tu rajeunis l’équipe, puis ton premier joueur de centre fait 80 points et tu es dans le pétrin. Notre meilleur joueur de centre est le meilleur joueur au monde et il gagne 8,7 millions. » 

Évidemment, le casse-tête financier des Maple Leafs de Toronto vient immédiatement en tête. Auston Matthews a signé tôt dans sa carrière un somptueux contrat, qui s’est ajouté à celui, tout aussi somptueux, consenti à John Tavares. William Nylander a fait la grève en attendant de passer à la banque. 

Cet été, le dossier Mitch Marner est épineux. C’est sans compter sur les joueurs autonomes avec restriction Andreas Johnsson et Kasperi Kapanen qui voudront leur part de la tarte.

« Je ne suis pas mathématicien, mais ils vont faire quoi, à Toronto, si tout le monde veut 11 millions ? », lance Letang. 

La grande question

Et c’est alors qu’il pose la question de toutes les questions pour un joueur de hockey en cette ère de plafond salarial : doit-on rechercher le contrat le plus généreux possible, au détriment de la qualité globale de l’équipe ?

Il cite en exemple Crosby, qui accepte, selon lui, un salaire sous sa valeur pour être mieux entouré. Crosby vient d’ailleurs au 19rang dans la LNH côté salaire. Malkin est 13e. Il faut ensuite plonger au 41rang pour trouver Letang, puis au 55e pour Kessel. Jake Guentzel, dernier contrat d’envergure offert chez les Penguins, se retrouve au 80rang, à 6 millions.

Ce n’est pas la superstition qui explique le salaire de Crosby. Lui, il veut être à côté d’un bon joueur. Ce serait épais de sa part de prendre 14 millions et de jouer avec un gars qui va en valoir 3 plutôt qu’avec un gars qui en vaut 5 ou 6. C’est logique.

Kristopher Letang

« C’est comme un défenseur qui veut un bon partenaire. Tu ne peux pas demander 13 millions puis attendre un partenaire à 10 millions. Ça ne marchera pas. Comme joueur, tu dois garder en tête que tu vas briser la structure si tu prends trop. Qu’est-ce que je veux faire ? Je veux gagner ou faire de l’argent ? »

Il ajoute que, chez les Penguins, ils sont nombreux à avoir laissé quelques dollars sur la table pour le bien commun. 

Trop jeunes, trop vieux ?

Pour revenir à l’âge, Letang insiste : les Penguins ne sont pas trop vieux. L’âge moyen des Bruins de Boston et des Blues de St. Louis tourne d’ailleurs autour de 28 ans, tout comme celle des Penguins. Letang croit beaucoup en l’expérience. Il cite en exemple son ancien coéquipier Ron Hainsey, qui a conclu une saison intéressante à Toronto malgré ses 38 ans.

« Tout le monde pense que le jeu est plus rapide. Ça reste du hockey, c’est en haut que ça se passe. Pourquoi certains sont encore capables de jouer à 35 ou 40 ans ? Prends Ron Hainsey. Tu peux te dire qu’il y a plein de meilleurs jeunes. Mais tu regardes comment il comprend le hockey, et c’est pour ça qu’il est encore dans la LNH. Avec une bonne équipe en plus, pas une équipe où il est en vacances. Je crois qu’on va dans une direction trop jeune. Tu entres en séries, ce n’est pas une question de points et de salaires, c’est une question de victoires. As-tu vraiment appris à gagner ? »

Un exposé intéressant, avec une seule conclusion possible : à son avis, la force des Penguins est dans leur stabilité. Et ça inclut Phil Kessel, que plusieurs voyaient changer d’adresse et qui a d’ailleurs opposé son droit de veto récemment à une transaction.

« Je ne pense pas qu’on ait besoin de changer grand-chose. »