Dans leurs propres mots, des athlètes d’ici reviennent sur des moments charnières de leur carrière ou lèvent le voile sur des aspects méconnus de celle-ci. Bonne lecture !

Mathieu Darche sait de quoi il parle quand il dit que ce serait une erreur pour tout le monde de sortir de la présente convention collective de la LNH en septembre prochain. Le vétéran de 250 matchs, dont 149 avec le Canadien, était aux premières loges au cours des négociations houleuses de 2012. Avec un groupe d’une trentaine de joueurs, il a réussi à sauver la saison, mais au prix d’interminables discussions et de dissensions à l’interne. Darche est aujourd’hui vice-président chez Delmar, un courtier en douane. Il revient sur cet épisode de sa vie, sur sa retraite qui a suivi, et sur sa passion inachevée pour le hockey.

J’étais au Sofitel et je marchais vers les toilettes. Les joueurs avaient leur salle de conférence, les propriétaires avaient la leur. Je passais devant la salle de conférence de la LNH quand j’ai vu Gary Bettman, seul. Il m’a dit : « Math, have a seat. »

Je ne savais pas trop quoi faire. On était en pleines négociations pour le contrat de travail. En même temps, je ne pouvais pas non plus l’envoyer promener ! Il m’a jasé 20 minutes, jamais des négos. Il m’a parlé de McGill, du fait de jouer à Montréal pour un Montréalais, de mon frère Jean-Philippe qui jouait au football et qui étudiait en médecine. Il m’a parlé de ses petits-fils qui vont dans un prep school, comme je l’avais fait moi aussi.

Gary n’est pas niaiseux. On aime le détester, mais c’est un gars brillant. Bettman a pris la ligue à 350 millions et l’a fait grimper à 4,5 milliards. Il fait sa job. Tout le monde le déteste, lui, et non les propriétaires, mais au fond, il est leur voix.

Je suis convaincu qu’il en savait sur chacun des gars du comité de négo. Il avait fait ses recherches. Le pire est que ça avait été une conversation agréable. Mais tout le long, je me sentais mal. D’autres joueurs passaient. Certains joueurs se faisaient accuser d’avoir des discussions en coulisses. Je ne voulais pas que ça m’arrive.

Rendu en janvier, ça commençait à brasser. Il y en avait qui voulaient tout gagner, d’autres qui voulaient revenir au jeu. La dernière semaine, ça s’engueulait à l’interne. « Fuck you » et tout le reste.

Plus le lock-out avançait, plus on commençait à avoir deux clans. Il y avait les partisans de la ligne dure et les plus modérés. Je me considérais comme modéré. George Parros, Kevin Westgarth et Ron Hainsey étaient souvent là. Shane Doan a aussi fait un travail incroyable, comme Jamal Mayers ou Martin St-Louis. Sidney Crosby est venu quelques fois. Les propriétaires le disaient : « Ce sont tous des gars de troisième et de quatrième trio qui négocient. » La raison était simple : tout le monde pensait que mettre des restrictions sur les salaires allait affecter les vedettes. C’est faux, ce sont les gars en dessous que ça allait affecter. Les vedettes vont toujours avoir leur argent.

Il y avait de la tension à mesure que ça avançait. C’était pareil la fois d’avant, en 2004. On essayait un peu de tout pour dénouer l’impasse. La dernière semaine de décembre, les propriétaires avaient suggéré une rencontre sans Gary Bettman et sans le directeur de l’Association des joueurs Don Fehr, juste les joueurs et les propriétaires. Ça a été bon, mais ça a échoué.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Mathieu Darche des Canadiens au cours d'une pratique au Centre Bell le 25 janvier 2012

Plus tôt, on avait fait des réunions secrètes à l’insu des journalistes dans les bureaux de Proskauer Rose, une firme d’avocats que la LNH avait embauchée. On a aussi eu des rencontres au Westin Times Square, ou aux bureaux de la LNH.

Je me rappelle que les propriétaires avaient essayé de faire passer la durée des contrats à cinq ans maximum. Craig Leipold, propriétaire au Minnesota, était donc du côté de ceux qui ont fait l’offre. C’est pourtant lui qui venait de signer Ryan Suter et Zach Parisé pour 13 ans. Il nous a dit qu’il n’avait pas aimé ça, mais qu’il devait le faire pour les fans. Il a aussi dit que c’était la preuve que le système était brisé…

Aussi, les joueurs voulaient jouer, ils perdaient de l’argent. Les plus vieux perdaient des années de carrière. Il y en a qui voulaient gagner tous les points, mais ce n’est pas ça, une négociation. C’est du give and take. La dernière semaine, il y avait des réunions où on se rencontrait et ensuite on faisait des sous-groupes. On avait cinq ou six points à régler, comme l’arbitrage et le plafond la première année. Ça rentrait, ça sortait, ça rentrait, ça sortait. On négociait de 8 h le matin à 3 h le matin. On a fini par s’entendre, in extremis pour sauver la saison.

La vaste majorité des joueurs étaient heureux, mais certains trouvaient qu’on aurait dû obtenir plus… Je suis convaincu que c’était la même chose du côté des proprios. Cependant, tout le monde était heureux de retourner travailler, car nous sommes des joueurs de hockey et non des négociateurs. On préfère se disputer la victoire sur la glace plutôt que dans une salle de conférence !

Pourquoi l’avoir fait ?

J’ai un bac en administration et j’ai toujours été intéressé par la business du sport. Durant ma dernière année dans la LNH, ils voulaient créer un comité de négociation pour éviter le lock-out. Je connaissais un peu Mathieu Schneider, j’avais aussi joué avec son frère Jean-Alain à McGill. Il m’a demandé si je voulais me joindre au comité. Je savais aussi qu’à 35 ans, je n’en avais plus pour 10 ans à jouer. Je me suis dit que ce serait une belle expérience pour mon après-carrière. J’ai plongé.

Tu négocies avec des Jeremy Jacobs, des Larry Tanenbaum, des Craig Leipold. C’est une méchante expérience. Fehr restait impassible, Bettman, tu pouvais le lire un peu plus. Quand il y avait quelque chose qu’il n’aimait pas, il tremblait toujours un peu, il perdait patience.

Au final, je n’ai jamais vu ça comme une victoire d’un côté ou de l’autre. Il fallait que tout le monde gagne, et justement, je crois que la présente convention est bonne pour tout le monde.

Je crois que ce serait une erreur de rouvrir la convention. Je sais que les joueurs n’aiment pas l’escrow, mais avec un plafond, tu n’as pas le choix.

Chaque paie, il y a 18 % qui s’en va dans un compte en fiducie. À la fin de l’année, ils calculent les revenus et les salaires et ça doit être 50-50. Si les salaires sont un peu plus élevés, et c’est souvent ça, ils reprennent l’argent placé en fiducie. Il y a des années où les joueurs ont perdu 5 ou 6 % de leur salaire. Les gars n’aiment pas ça, mais c’était la seule manière de négocier un mécanisme qui donne 50-50.

Du côté des propriétaires, parfois ils faisaient une proposition en sachant que ça ne passerait pas, mais ils la faisaient peut-être pour la prochaine négociation. S’il y a un autre lock-out (et je crois que ce serait une erreur des deux côtés), je prédis qu’ils vont essayer de revenir à cinq ans maximum pour les contrats et d’instaurer un plafond sur les bonis à la signature.

Une nuisance ?

Je le faisais vraiment pour l’expérience et je crois encore que ça a été très enrichissant. Je ne crois pas non plus que ça ait précipité la fin de ma carrière, même si je n’ai plus jamais joué au hockey par la suite. J’ai plutôt appris à connaître de nouvelles personnes.

Je n’avais pas signé de contrat à l’été, mais je croyais vraiment que j’allais finir par avoir quelque chose. Je ne voulais pas signer de contrat à deux volets. Quand le lock-out s’est terminé, j’ai reçu une invitation de Lou Lamoriello, qui était directeur général des Devils du New Jersey à l’époque.

Il a aimé ce que j’ai fait au camp des Devils, mais il n’avait pas de contrat. Il essayait de faire des échanges. Il m’a gardé plus d’un mois là et a pris soin de moi. En théorie, il n’était pas censé payer l’hôtel et le per diem parce que je n’étais pas sous contrat. Il le faisait quand même. En plus, quand l’équipe allait sur la route, il me payait un billet d’avion pour que je revienne voir ma famille à Montréal. Mais surtout, chaque semaine, il m’emmenait dans son bureau et on parlait de comment il construisait ses équipes. On parlait de la business du hockey.

Il me montrait tout, me disait tout. J’ai adoré ça et j’ai bâti une belle relation avec lui. Mais après un mois et demi sans contrat, je lui ai dit que j’allais annoncer ma retraite. Je m’ennuyais de ma famille. En plus, j’avais l’opportunité d’aller travailler à RDS. Et un mois plus tard, j’ai rencontré ceux qui allaient devenir mes patrons chez Delmar.

J’ai gardé contact avec plusieurs personnes. Bill Daly était au Centre Bell un soir. Il m’a texté et il est venu passer la moitié du match dans la loge de Delmar. Brendan Shanahan m’avait approché aussi pour voir si je voulais travailler pour la LNH à l’époque où il était préfet de discipline, mais je ne voulais pas déménager ma famille à New York.

Des fois, je me dis que j’aurais dû. J’aurais été impliqué dans le hockey et j’adore le hockey.

La bonne occasion n’est simplement jamais venue pour que je travaille dans le hockey.

Si on m’appelait, c’est sûr que j’écouterais, mais je n’ai jamais poussé non plus. Je dis ça humblement, je pense que j’ai une bonne connaissance de la convention, de comment ça se passe, mais on ne m’a jamais offert ce qui m’intéressait à l’intérieur d’une organisation.

Quand je jouais, je me disais toujours que je voulais être DG, travailler du côté administratif et hockey. Ça ne veut pas dire que je n’y retournerai pas, mais je suis bien traité où je suis. Ça me prendrait une bonne offre pour partir.

Peu de joueurs choisissent quand ils arrêtent de jouer. C’est souvent réservé aux meilleurs. J’ai tripé à jouer pour le Canadien. J’y ai connu ma meilleure saison. Je voulais finir ma carrière à Montréal. Qui sait, peut-être même travailler pour le Canadien après ? J’ai été déçu quand ça s’est terminé, parce que je sentais que j’avais encore quelques bonnes saisons à donner. Avec le renouveau qui s’en venait, je pensais que j’aurais un rôle.

Cela dit, je ne blâme personne. Marc Bergevin avait des décisions à prendre et je respecte ce qu’il a fait. Ça ne veut pas dire non plus que de me garder aurait été la bonne décision ! Je n’ai aucune amertume envers l’organisation. Il faut passer à autre chose. J’ai pu apprendre avec le lock-out, j’ai beaucoup appris aussi pendant mon mois avec Lou au New Jersey.

Je ne suis plus dans le hockey, mais ça ne voudra jamais dire que le hockey n’est plus en moi.

— Propos recueillis par Jean-François Tremblay, La Presse