Aujourd'hui sera une journée comme toutes les autres pour Bob Cole.

Il va arriver à l'aréna assez tôt, pour voir l'entraînement du matin. Ensuite, il va essayer d'attraper un entraîneur ou les deux, le temps de poser quelques questions en vue du match qui aura lieu en soirée, le temps de voir si les formations vont rester les mêmes ou s'il y aura des changements. Puis Bob Cole essaiera de faire une petite sieste avant de se présenter au Centre Bell autour de 16 h. La routine, quoi.

Ce sera une journée comme toutes les autres, sauf pour ce léger détail : le match de ce soir entre le Canadien et les Maple Leafs de Toronto sera son dernier.

Après 50 ans passés à faire la description, à la radio comme à la télé, de centaines et de centaines de parties de la Ligue nationale de hockey, l'homme de 85 ans va décrire ses derniers coups de patin ce soir, peut-être nous offrir deux ou trois « oh baby ! » bien sentis si on est chanceux, et puis ce sera tout. Ensuite, l'heure de la retraite aura sonné.

Bob Cole ne s'en cache pas : c'est une retraite qu'il aurait aimé pouvoir repousser. Ce scénario du départ et des adieux qui vont sans doute faire mal, il n'est pas le sien. Mais c'est ce qu'ont décidé les patrons du réseau Sportsnet, qui ont annoncé, en septembre, que 2018-2019 allait être la dernière saison du légendaire commentateur. Un ultime tour de piste qui était limité au départ à 10 matchs, mais qui a été revu à la hausse, pour un total de 16 matchs au cours de la saison.

« Je n'ai jamais dit que j'allais me retirer, commence-t-il par expliquer au bout du fil. Ce n'est pas ma décision, alors c'est difficile pour moi d'en parler. »

« J'ai eu des années magnifiques et j'aurais souhaité pouvoir continuer. Mais il vaut mieux ne pas trop en parler pour ne pas froisser celui qui a pris cette décision, peu importe qui c'est. » - Bob Cole

Au cours de notre conversation, le mot « difficile » reviendra souvent. Oui, il aurait voulu continuer, et on devine que décrire des matchs de hockey, pour lui, c'est pas mal plus qu'un simple boulot. Ça ressemble plutôt à une passion, à un amour dont la flamme ne veut pas s'éteindre, ce qui explique sans doute qu'il n'ait pas pensé à la suite des choses. Ainsi, quand on lui demande ce qu'il compte faire après le hockey, la réponse tombe avec la lourdeur d'une ancre au fond de la mer : « Je n'ai aucune idée de ce que je vais faire. »

Car Bob Cole a toujours seulement fait ça et rien d'autre. « On arrive d'ailleurs à l'anniversaire de mon premier match, en 1969, ajoute-t-il. C'était à la radio de la CBC [le 24 avril] et c'était la victoire du Canadien en deuxième période de prolongation contre les Bruins de Boston en demi-finale de la Coupe Stanley. Le célèbre but de Jean Béliveau. C'est dur de trouver mieux pour commencer...

« Alors ça tombe assez bien que mon dernier match soit à Montréal. J'ai toujours aimé décrire des matchs ici, c'est une ville de hockey. Mon endroit favori, c'était le Forum. À cause de ce que l'on ressentait en arrivant, à cause des couleurs, à cause de l'ambiance, à cause des points de vue. Il n'y avait aucun endroit comparable pour l'ambiance des grands matchs. Mais le Centre Bell est bien aussi. »

Le nom de Bob Cole est souvent rattaché à Montréal. Et pourquoi pas ? Il a passé quantité de soirées par ici, perché dans les hauteurs des arénas. Quand le déménagement au Centre Bell a été annoncé, au milieu des années 90, il a été consulté pour aider à trouver un emplacement idéal pour les descripteurs dans le nouvel édifice. 

C'est peut-être un peu pour tout ça que son nom est aussi connu du côté francophone que du côté anglophone : parce que l'amateur sérieux comprend que dans le monde des ondes et du hockey, son nom est aussi mythique que ceux de René Lecavalier ou de Richard Garneau. « René et Richard étaient des amis, que j'ai eu le plaisir d'inviter chez moi à Terre-Neuve, tient-il à préciser. À l'époque, nous décrivions beaucoup de matchs à la CBC et à Radio-Canada, et je voyageais souvent avec eux. J'ai entendu dire que plusieurs amateurs de hockey francophones me connaissaient et j'en suis très reconnaissant. »

Alors non, ce n'est pas le choix de Bob Cole. Il ne voudrait pas partir. Mais comme le chantait jadis son idole Frank Sinatra, c'est le moment du dernier rideau, et puisque le hasard fait souvent bien les choses, ce dernier rideau tombera à la suite d'un match du Canadien, l'une des deux équipes présentes sur la glace quand tout a commencé pour lui derrière le micro, en avril 1969.

« Je n'ai pas eu le temps de penser à tout ça, de penser au chemin qui a été parcouru, offre-t-il en guise de conclusion. Et je ne sais pas du tout ce que je vais faire quand la dernière sirène va se faire entendre, comment je vais réagir. J'imagine que je vais tout simplement partir, comme chaque fois... »