Avant de prendre sa retraite du hockey professionnel, Louis Leblanc a pris le téléphone, et son courage, pour appeler Ted Donato. L'éternel pilote du Crimson de l'Université Harvard avait longtemps gardé sur le coeur la défection de son ancien joueur étoile vers le Junior de Montréal.

Pourtant, à ce moment précis, il a choisi d'aider Leblanc à recommencer à zéro.

«J'ai dit Ted, voici ce que je pense, qu'est-ce que tu en penses? Il m'a dit que c'était une bonne décision, qu'il était fier de moi, et que si je voulais aller travailler avec eux, la porte était ouverte. Il ne savait pas quel rôle me donner, ce n'était jamais arrivé qu'un joueur revienne. Mais ça a bien fonctionné.»

Leblanc nous avait donné rendez-vous dans un café bondé, rue Elm à Davis Square. Un coin de Boston tout ce qu'il y a de plus Boston, trottoir de briques rouges et tout le reste. Ce café est à une vingtaine de minutes de marche de sa nouvelle vie, à Harvard.

Il est à sa troisième saison comme entraîneur adjoint pour l'équipe de hockey de son alma mater. Il participe aux séances sur glace, il voyage avec l'équipe, il observe des gradins pendant les matchs. Ça lui permet de rester près du hockey, et de partager son vécu, en attendant de finir son baccalauréat en économie et sociologie d'ici quelques mois. 

Pour plusieurs, Leblanc est devenu un nom sur une liste, à côté des David Fischer, Jarred Tinordi, Nikita Scherbak de ce monde. Ceux qui ont été choisis au premier tour par le Canadien de Montréal et qui, au final, n'auront jamais eu d'impact sur l'équipe. Une série de noms qui renaît chaque fois que l'on attaque le bilan de Trevor Timmins. 

Le 18e choix de 2009 réfléchit un moment quand vient le temps d'en parler. Il a appris à accepter ce qui est devenu trop souvent le résumé de sa vie.

«Ce n'est pas le fun, mais je ne suis pas le seul. Est-ce que ça me dérange? Non, mon quotidien ne change pas. Je suis fier de ce que j'ai fait. Chacun de ces joueurs a une histoire différente, il y a des raisons X, Y ou Z pour lesquelles ça n'a pas fonctionné. C'est le passé. Est-ce que j'aurais changé des choses? Oui. Mais il y avait des choses hors de mon contrôle.»

Leblanc a vécu sa carrière en accéléré, de l'université américaine à la LNH, en passant par le junior québécois, la Ligue américaine, l'Europe et Équipe Canada, en sept ans à peine. Il est devenu un «vieux» de 28 ans, il se raconte d'ailleurs avec cette sagesse acquise.

Il entend encore les «Louis, Louis» quand son nom a été appelé par le Canadien en 2009, devant un Centre Bell rempli de partisans en mal d'un héros québécois. L'image est fraîche dans sa mémoire. Il a tout de suite compris ce qui venait avec la distinction de porter le logo. En rétrospective, était-il vraiment prêt à tout ce qui s'en venait?

«Prêt... Un repêchage c'est un repêchage, que tu sois premier ou dernier. C'est un numéro. Les premiers choix ont plus de pression, mais je pense que j'étais prêt. J'avais dominé la USHL. J'avais fini premier marqueur du tournoi des moins de 18 ans. Je jouais sur un trio avec Taylor Hall et Matt Duchene. Il y avait des listes où j'étais top 10 dans le monde. Je suis sorti 18e. Certains vont dire que le Canadien m'a choisi parce que j'étais Québécois, mais honnêtement je m'attendais à partir plus vite.» 

Il a vécu le doute quand il a dû quitter Harvard après une seule saison pour joindre les rangs du Junior de Montréal. À ce moment, explique-t-il, il a pris ce qu'il jugeait être la meilleure décision pour lui, avec les informations dont il disposait. Le Canadien lui avait suggéré de jouer un an dans la LHJMQ, pour son développement, avant de passer chez les pros.

«C'était super difficile comme décision à prendre. Je laissais tous mes coéquipiers derrière. Je laissais aller mon école. Avec Ted Donato, ça n'a pas été facile. Mais je devais le faire pour moi, pour jouer dans la LNH, parce que le Canadien allait me donner une chance.»

La chance

Cette chance, il l'a eue pour 50 matchs, étalés sur deux saisons. Il a joué 42 matchs en 2011-2012 pour Jacques Martin, de qui il garde un excellent souvenir, puis Randy Cunneyworth. Il revoit son premier rappel, il était à un concert de Guns N' Roses au Copps Coliseum de Hamilton, l'aréna des Bulldogs. Il s'est rendu directement au vestiaire chercher son équipement et a quitté l'endroit. Il n'a jamais vu le concert.

Ç'a été beaucoup moins facile sous les ordres de Michel Therrien. Leblanc n'était pas un favori du nouveau régime. Il se demande encore ce qui s'est passé pour qu'il fasse partie des premiers joueurs retranchés lors du camp avant la saison 2013-2014. Il avait participé à un seul match préparatoire, au cours duquel il avait inscrit un point. On se rappelle d'ailleurs que sa copine d'alors, la joueuse de tennis Aleksandra Wozniak, avait causé une commotion en remettant en question publiquement la décision.

«Je ne pensais pas que je méritais d'être dans la première vague de coupures, mais c'est arrivé. J'ai grandi à travers ça. Avec le recul, je me dis que ce n'était pas grave, mais quand j'étais là-dedans, c'était difficile. La confiance est affectée. Pas que tu n'as plus le goût de jouer, mais tu te poses tellement de questions. Qu'est-ce qui va arriver? Pourquoi je ne joue pas? Pourquoi je joue là? Pourquoi je joue avec lui? Ta tête tourne. C'est à ce moment que tu ne peux plus être le joueur que tu es. C'est ce qui est arrivé. Ça doit arriver à plein de joueurs. »

En revenant à Harvard, Leblanc a pu ressusciter sa deuxième personnalité, celle d'étudiant performant. Il l'avait mise à l'écart un long moment pour se concentrer sur son sport. En mai prochain, 10 ans après son entrée dans les salles de cours d'Harvard, il obtiendra son diplôme. Il se joindra ensuite à temps plein à une firme de Boston, CMA, pour laquelle il sera consultant auprès de compagnies de télécommunications et de technologies des médias.

Il vivra du coup son deuxième deuil du hockey, sauf quand il jouera dans la ligue des anciens de Harvard le dimanche. Mais personne ne lui enlèvera ce qu'il a accompli: ses 50 matchs dans la LNH, son tout premier match à Anaheim devant ses parents, son premier but, contre les Flyers et Sergei Bobrovsky (Daniel Brière avait raté sa couverture, précise-t-il), sa petite place dans l'histoire du Canadien. Personne ne lui enlèvera non plus son vécu, qu'il a bien tenté de partager avec les plus jeunes à Harvard.

«Est-ce que j'aurais changé des choses? Oui», reconnaissait Leblanc plus haut.

«Je pense que je serais resté à l'école plus longtemps. Tu veux arriver vite, mais tu veux arriver à 100% de ta force, physique et mentale. Je ne dis pas que j'ai des regrets d'être parti de Harvard, parce qu'à ce moment-là, c'était la seule information que j'avais. Peut-être aussi que je serais resté quatre ans à l'université et que je n'aurais jamais joué dans la LNH. Mais j'ai appris que rien ne presse. L'équipe de la LNH t'aime, mais elle t'aime pour un certain temps. L'important est de prendre soin de toi-même et de faire ce qui est mieux pour toi et non pour un autre. Tout le monde devrait faire ça, on a une vie à vivre.»