Jusqu’à cette semaine, Jeff Petry était le dernier membre du Canadien à avoir côtoyé Tim Thomas. C’était au Championnat du monde 2014. Petry et le petit gardien défendaient les couleurs des États-Unis.

Les Américains ont été éliminés en quart de finale par une équipe très moyenne de la République tchèque, dans une défaite de 4-3. Lors du match précédent, les États-Unis avaient signé une très mince victoire de 5-4 contre l’Allemagne, un autre pays qu’on ne confondait pas avec l’Armée rouge. C’est sans oublier la défaite de 6-5 aux mains de… la Lettonie !

« Il avait joué pratiquement tous nos matchs. Je l’ai très peu connu, mais dans mes brèves conversations avec lui, il a été très gentil. Je n’aurais pas pu dire que quelque chose n’allait pas », s’est souvenu Petry, après l’entraînement de vendredi.

« Quelque chose n’allait pas. » Le terme est faible. Ce Championnat du monde a en fait marqué la fin de la carrière de Thomas.

Jeudi, Thomas a été intronisé au Temple de la renommée du hockey américain. Il s’agissait de sa première apparition publique depuis sa retraite. Or, à écouter parler Thomas, la vie après le hockey n’a rien de jojo. Il a raconté aux médias sur place à Washington qu’il s’était d’abord installé au Colorado, mais que l’altitude empirait les symptômes de commotion cérébrale qu’il ressentait. Ont suivi des déménagements en Idaho, en Floride et, maintenant, en Arizona.

Tout a commencé avec une commotion subie à l’entraînement en décembre 2013, alors qu’il portait les couleurs des Panthers de la Floride.

Je me suis réveillé le lendemain et j’étais incapable de décider quoi manger, où aller. J’étais incapable de me faire un horaire. J’ai survécu en suivant l’horaire de l’équipe pour le reste de la saison.

Tim Thomas

« Sur la patinoire, j’étais à 97, 95 % de ce que j’étais auparavant, dit-il, mais hors glace, j’ai encore de la difficulté à faire des choix. Je me sens bien mieux aujourd’hui, mais je passe les deux premières heures de mes journées à mettre de l’ordre dans mon esprit, à me dresser une liste de choses à faire et à choisir ce que je fais. »

Sous le choc

Ses propos ont créé une onde de choc dans le monde du hockey. Dans le vestiaire du Canadien, Cayden Primeau était de loin le plus ébranlé.

« Ça m’a vraiment touché parce que la carrière de mon père [Keith Primeau] a pris fin en raison des commotions, a rappelé la recrue de 20 ans. Les commotions sont un sujet de préoccupation dans ma famille. Ma sœur [Kylie, joueuse de crosse à l’université] a mis fin à sa carrière sportive en raison de commotions. Mon frère en a subi. Les commotions font peur et on sait comment ça se vit en coulisse. L’entendre être aussi émotif, c’est très triste. C’est tragique, il n’y a pas d’autre mot. »

La gravité de sa situation est sans doute amplifiée par le mystère qui entourait Thomas depuis sa retraite. Personne ne savait trop ce qu’il advenait de lui, ni pourquoi il s’éclipsait ainsi. Vers la fin de sa carrière, la controverse soulevée par son refus de rencontrer Barack Obama à la Maison-Blanche, afin de célébrer la Coupe Stanley des Bruins gagnée en 2010-2011, avait semblé l’aigrir.

« Il était assez tranquille, solitaire. Il ne dérangeait pas l’équipe. Il avait sa personnalité », a décrit Claude Julien, qui a vu Thomas gagner deux trophées Vézina sous ses ordres, en plus de la Coupe Stanley.

« Ces choses-là [les symptômes de commotion], il ne les avait pas à Boston. Je n’étais pas au courant moi non plus, a poursuivi l’entraîneur-chef du Canadien. J’avais perdu contact avec Tim quand il est parti de chez nous. Je savais que ça faisait des années que personne n’avait entendu parler de lui. Je savais que c’était un gars qui passait beaucoup de temps avec sa famille et seul, donc ce n’était pas surprenant de ne pas avoir de nouvelles de lui. »

Un problème pour les gardiens aussi

Carey Price s’est battu une seule fois dans la LNH. C’était en février 2011, contre Tim Thomas.

« Battu » est un grand mot. Price a tenté de décocher un seul coup de poing – raté – et les deux hommes ont ensuite semblé trouver le tout bien rigolo. « C’était dans le feu de l’action. On souriait parce que, au bout du compte, personne ne s’était fait mal », se souvient le gardien du Tricolore.

Voyez le combat

À force de côtoyer Thomas dans différents événements, il avait développé des affinités avec lui.

J’avais le plus grand respect pour [Tim Thomas], pour son parcours, pour sa façon de compétitionner. En tant que rival, il m’a poussé à me dépasser. »

Carey Price

« Je l’ai connu dans les matchs des Étoiles. À un de ces matchs, on était assis ensemble dans l’autocar vers l’aréna, donc on a jasé. On avait beaucoup en commun dans nos styles de vie. »

Price et Thomas ont aussi les commotions en commun. Depuis son arrivée dans la LNH, Price a raté des matchs à deux reprises parce qu’on lui avait diagnostiqué une commotion : à la fin de la saison 2011-2012, et en 2017-2018. Cette année-là, son adjoint, Al Montoya, s’était également absenté pour cette raison.

Corey Crawford et Marc-André Fleury ont eux aussi eu leurs problèmes. Au cours des saisons 2017-2018 et 2018-2019, les gardiens de la LNH avaient raté 276 matchs en raison de commotions ou de blessures à la tête, selon une compilation faite par le confrère Stephen Whyno, de l’Associated Press. L’enjeu des commotions n’est donc pas seulement une affaire de bagarres et de coups à la tête, même si ce sont ces cas qui ressortent davantage.

« Les commotions des gardiens ont toujours passé un peu sous le radar, et pourtant, on encaisse plusieurs impacts à la tête, a rappelé Price. Pratiquement un jour sur deux, on a un impact, et on ignore quels sont les effets à long terme. La plupart des chocs viennent des tirs sur le masque, même s’ils ne sont pas tous violents. Mais ça peut être aussi banal qu’une collision avec la culotte d’un joueur qui passe devant le filet. »

Primeau, lui, assure n’avoir jamais reçu de diagnostic de commotion. Mais connaissant les antécédents de son père, on le sent mal à l’aise d’en parler. Du haut de ses patins, il se tord pour cogner ses jointures sur son siège avant d’amorcer sa réponse. « Je touche du bois », lance-t-il.

« Encore aujourd’hui, mon père a des difficultés. Il va très bien, mais il a eu ses problèmes et il en aura pour le reste de ses jours. »