Tous les ingrédients sont réunis pour un livre à succès. D’abord, le sujet. Scotty Bowman. Le « kid » de Verdun. Fils d’immigrants, il a gravi tous les échelons pour devenir l’entraîneur le plus victorieux de la LNH. Il a connu Toe Blake, Maurice Richard, Jean Béliveau. Il a dirigé Guy Lafleur, Gilbert Perreault, Mario Lemieux, Jaromir Jagr et Steve Yzerman. Entre autres.

Ensuite, le biographe. Ken Dryden. Le gardien de Scotty Bowman à Montréal. Six fois gagnant de la Coupe Stanley, il est aussi l’auteur de The Game, un chef-d’œuvre dans lequel il raconte les coulisses d’une saison avec le Canadien.

Le premier a tout vu. Tout entendu. Le second a le verbe facile. Le sens du détail. J’espérais un récit héroïque. Des histoires inédites. Des anecdotes colorées. Peut-être un règlement de comptes ou des confidences émouvantes.

Mes attentes étaient élevées.

Verdict ?

J’ai été déçu.

Il n’y a rien de tout ça.

Ken Dryden fait d’ailleurs la mise au point dès les premières pages. « [Scotty] est timide et n’est pas un conteur. C’est un entraîneur ; il n’a jamais cessé de l’être. Il est trop pragmatique, trop concentré. Et raconter des histoires est une affaire trop fantaisiste. Quand il accorde des entrevues ou prononce des discours, il sait qu’il déçoit les auditeurs qui espéraient l’entendre narrer mille anecdotes. »

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Scotty Bowman a gravi tous les échelons pour devenir l’entraîneur le plus victorieux de la LNH.

L’auteur connaît bien son sujet. Car c’est le cas ici.

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Le récit est construit autour de trois thèmes.

• l’enfance de Scotty Bowman à Verdun ;

• son parcours d’entraîneur ;

• son palmarès des huit meilleures équipes de l’histoire, qui s’affrontent dans un tournoi imaginaire.

Le premier volet est le plus intéressant. On suit la famille Bowman, de l’Écosse à la 5Avenue de Verdun. Le travail de recherche de Ken Dryden est remarquable. Tous les faits sont situés dans leur contexte historique. Aucun détail ne lui échappe, du nombre de pieds carrés des terrains à Verdun au numéro d’autobus qui mène Scotty Bowman au Forum. Dryden consacre aussi quelques pages à l’essor du hockey dans les quartiers du sud-ouest de Montréal. Une belle amorce pour le livre.

Sauf que Scotty Bowman participe à peine à cette partie du récit. Il n’est presque jamais cité. Une fois à propos d’une enseignante C’est à peu près tout.

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Scotty, une vie de hockey d’exception, Ken Dryden, Éditions de l’Homme, 439 p.

Cette retenue crée un malaise. Elle nous prive d’anecdotes riches. Elle impose aussi une trop grande distance entre les lecteurs et lui.

Un exemple : Bowman se trouvait au Forum le soir de l’émeute causée par la suspension de Maurice Richard, le 17 mars 1955. Dryden le met en scène. « Une bombe lacrymogène explosa près du siège que [Clarence Campbell] venait de quitter. Scotty se rua vers l’escalier de service qu’il avait gravi moins de deux heures auparavant, se dirigea vers l’extrémité de la patinoire par un étroit couloir et aperçut Dick Irvin Jr, le fils de l’entraîneur des Canadiens, qui le conduisit vers le vestiaire de l’équipe. »

Captivant.

Que se passe-t-il ensuite ?

Rien.

L’auteur passe à la description du prochain match.

Des passages comme celui-là, le livre en compte plusieurs. Surtout lorsqu’il est question de la vie privée de l’entraîneur. Des événements importants sont résumés en trois phrases. C’est le cas de son mariage, enfoui à la fin d’un chapitre sur son séjour comme entraîneur à St. Louis. L’extrait est assez court pour que je puisse le citer en entier.

« C’est aussi durant ces années avec les Blues que Scotty rencontre Suella Chitty, une infirmière qui avait grandi près de Marion, en Illinois, à environ deux heures de route au sud-est de St. Louis. Ils se marièrent le 16 août 1969. »

Quelques années plus tard, le couple subit une épreuve difficile. Leur fils David souffre d’hydrocéphalie. Un drame terrible, qui bouleverse une vie de famille. Encore là, c’est vite résumé. En une page. « Nous avions eu une saison difficile, mais rien de comparable à ça, confie Bowman. Ça a changé notre vision des choses. Je vivais deux existences parallèles : le travail et la vie personnelle. Il y a des choses avec lesquelles on doit vivre et qu’on ne peut pas contrôler. »

Puis il se referme.

Et on passe à la prochaine saison de hockey.

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Là où Scotty Bowman ne fait preuve d’aucune retenue, c’est dans l’analyse fine des meilleures équipes de l’histoire. Pas juste les siennes. Toutes. Des chapitres entiers sont consacrés aux Red Wings de Detroit de 1952, aux Maple Leafs de Toronto de 1963 et aux Islanders de New York de 1982.

Les passionnés de l’histoire du hockey apprécieront.

Les autres ? Pas certain.

J’aurais préféré que Ken Dryden s’attarde davantage aux équipes et aux joueurs que Scotty Bowman a dirigés. Qu’il y ait plus de scènes de coulisses, comme celles mettant en vedette Jacques Plante et Alger Arbour à St. Louis. Ou Dryden lui-même à Montréal.

C’est d’ailleurs le meilleur épisode du livre.

Dryden, introspectif, reconnaît qu’il avait une mauvaise attitude après les buts de l’adversaire. « Je me comportais comme une diva. Un jour, après une séance d’entraînement, alors que nous étions encore sur la glace, Scotty patina vers moi. “Penses-tu que tu es trop bon pour cette équipe ?”, me demanda-t-il, à sa manière dénuée de finesse. […] J’étais abasourdi. J’étais confus. Et j’étais en colère. En colère contre lui. En colère à cause de ce qu’il venait de me dire. En colère parce qu’il avait sans doute raison et que je le savais. »

J’aurais aimé lire des anecdotes aussi riches à propos de Guy Lafleur. De Jacques Lemaire. De Gilbert Perreault. De Serge Savard. De Mario Lemieux. Mais chacun n’a droit qu’à quelques paragraphes. Après quoi on passe au joueur suivant.

Malheureusement, avec Scotty Bowman, ce qui s’est passé dans le vestiaire est resté dans le vestiaire.

Scotty, une vie de hockey d’exception, Ken Dryden, Éditions de l’Homme, 439 pages

Les Québécois s’illustrent

Il est de bon ton de critiquer le hockey québécois. Il est vrai que depuis 20 ans, le nombre de hockeyeurs d’ici dans la LNH a chuté de moitié. Mais il reste de belles histoires, qui méritent d’être soulignées.

Il y a présentement 5 Québécois parmi les 50 meilleurs marqueurs de la ligue. David Perron, Jonathan Huberdeau et Anthony Mantha sont même parmi les 25 meilleurs. Patrice Bergeron a réussi un tour du chapeau le week-end dernier. Jonathan Drouin est actuellement le meilleur joueur du Canadien. Marc-André Fleury, 34 ans, est le gardien le plus victorieux cette saison.

Et la relève se pointe. Jean-Christophe Beaudin, Anthony Richard, Nicolas Roy et Samuel Morin ont tous été rappelés dans la dernière semaine. D’autres joueurs d’impact s’en viennent, notamment Joseph Veleno et Nicolas Beaudin. Sans compter Alexis Lafrenière, Samuel Poulin, Jakob Pelletier et Hendrix Lapierre, qui se distinguent dans les rangs juniors.

Reverra-t-on 100 joueurs québécois dans la LNH en une saison ? Peut-être pas. Mais le portrait n’est pas que sombre.