Serge Savard me l’a souvent répété durant nos entretiens ayant conduit à la publication de sa biographie : comme directeur général du Canadien, il aimait que plusieurs de ses joueurs passent une bonne partie de l’été au Québec.

Pourquoi ? Tout simplement parce que les rencontres impromptues avec les fans, que ce soit dans un club de golf, sur un terrain de balle ou à l’épicerie, leur rappelaient la place majeure occupée par le Canadien dans la société québécoise.

Quand un joueur se fait demander à répétition pourquoi l’équipe n’a pas connu le succès espéré, il comprend encore mieux à quel point les projecteurs sont braqués vers ses coéquipiers et lui. L’entre-saison le sensibilise à l’importance du rendement du Canadien dans la communauté. Un gars qui quitte Montréal au printemps et revient juste avant le camp d’entraînement n’est pas soumis à cette expérience particulière.

La théorie de Serge Savard m’est revenue en mémoire, samedi, en voyant Jonathan Drouin disputer un match formidable contre les Maple Leafs de Toronto. Avec ses deux buts spectaculaires, le dynamique attaquant nous a offert une autre solide performance. Il prend peu à peu l’habitude de ces moments forts. Au point où il deviendra peut-être ce que nous espérions tous lors de son acquisition par le Canadien en juin 2017 : un gars capable d’apposer sa signature sur des matchs importants.

L’été dernier, Drouin a été très présent dans la région de Montréal. Il a participé à des tournois de golf et répondu aux nombreuses questions des journalistes s’informant de son état d’esprit en vue de la prochaine saison. Il n’a jamais perdu patience, même si l’exercice est devenu répétitif. Et il a expliqué prendre les moyens pour insuffler un nouvel élan à son jeu.

Cette « introspection estivale », pour reprendre la jolie expression du collègue Yanick Bouchard de RDS, a porté ses fruits. Drouin a clairement tiré les leçons de ses ennuis en fin de dernière saison. Il s’est entraîné avec fougue, en plus d’analyser des vidéos pour mieux comprendre ce qu’il a fait de bien, et de moins bien, sur la patinoire. En clair, il s’est préparé avec sérieux, une clé du succès dans le sport professionnel.

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À l’âge de 24 ans, Drouin demeure un jeune joueur, comme Claude Julien le rappelle si souvent. Mais attention : les années déboulent vite dans la Ligue nationale de hockey.

Vient un moment où un joueur comme Drouin doit s’interroger sur un enjeu crucial : quel souvenir veut-il laisser de son passage avec le Canadien ? Celui d’un gars qui a soulevé la foule et mené les siens à des victoires importantes ? Ou celui d’un attaquant dont on dira, à sa retraite, qu’il aurait pu faire tellement mieux compte tenu de son immense talent ? Ça aussi, ça fait partie de l’introspection.

Pour l’instant, Drouin semble avoir choisi la bonne réponse. Mais la saison commence à peine et son défi sera de maintenir le rythme. Il en a été incapable en 2018-2019, connaissant une désolante baisse de régime après deux matchs sensationnels en février contre les Oilers d’Edmonton et les Jets de Winnipeg. Il débordait alors de confiance et semblait parti pour la gloire. Dans le vestiaire, il s’exprimait comme un meneur.

Voilà pourquoi la déception a ensuite été si brutale. Sa léthargie s’est poursuivie jusqu’au bout. Et sans placer sur ses seules épaules la responsabilité de cet autre échec du Canadien à participer aux séries éliminatoires, quelques buts clés de sa part auraient été bienvenus.

PHOTO ERIC BOLTE, USA TODAY SPORTS

Jonathan Drouin possède ce style flamboyant propre aux vedettes offensives.

Samedi, contre les Maple Leafs, c’est en plein ce que Drouin a réussi. Le Canadien a ainsi évité un troisième revers d’affilée à l’approche d’une difficile série de trois matchs en quatre jours à l’étranger. 

Une défaite aurait ébranlé la confiance du Canadien avant cette portion délicate du calendrier. Et la possibilité d’une glissade au classement aurait été bien réelle.

En l’emportant de manière aussi convaincante, ce Canadien combatif a rassuré ses fans. Malgré tout leur talent, les Maple Leafs ont été menottés. (En passant, êtes-vous impressionnés par le travail de Mike Babcock derrière le banc des Torontois ?)

La soirée a aussi été belle pour Marc Bergevin. Le DG a pris un risque en cédant Mikhail Sergachev au Lightning de Tampa Bay en retour de Drouin, un « p’tit gars de chez nous », comme il l’a décrit ce jour-là. Si Drouin continue de donner des ailes à l’attaque du Canadien, la transaction sera un succès. Et n’oublions pas que l’autre héros du match, Joel Armia, a aussi été acquis dans un échange, qu’on sait déjà tout à l’avantage du CH.

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Drouin connaît ses meilleurs moments depuis son arrivée avec le Canadien, et le public lui donne beaucoup d’affection. On le voit lorsqu’il est choisi la première étoile d’un match. Son lien avec les fans est fort. Ceux-ci sont contents de voir un joueur québécois s’imposer comme un leader de l’équipe. D’autant plus qu’il possède ce style flamboyant propre aux vedettes offensives.

Le Canadien a besoin de joueurs québécois de premier plan dans sa formation. Ceux-ci font partie de son ADN. Et cela demeure vrai malgré le plafond salarial qui a changé la dynamique dans la Ligue nationale. Des attaquants comme Jonathan Drouin et Phillip Danault incarnent une forme de continuité dans la riche histoire de l’équipe.

Je sais qu’aujourd’hui, notamment en raison de l’internationalisation du hockey, tous les amateurs ne sont pas convaincus de la nécessité pour le Canadien d’aligner plusieurs joueurs d’ici. La direction actuelle en fait elle-même peu de cas, comme le repêchage le démontre depuis plusieurs saisons. Je suis pourtant convaincu d’une chose : si les Nordiques revenaient, le Canadien ferait tout en son possible, comme à l’époque de Serge Savard, pour s’assurer d’une forte présence québécoise au sein de sa formation.

Mais nous n’en sommes pas là. Alors pour l’instant, réjouissons-nous de ce début de saison inspirant de Drouin, qui apporte un vent de fraîcheur à l’équipe. Espérons que ça dure.