Poursuite de 50 millions parce que les joueurs ne sont pas payés, la NCAA qui gagne du terrain, les initiations… La LHJMQ doit se défendre, et se questionner. Le commissaire Gilles Courteau répond à nos questions et dresse l’état de la ligue.

Faire face à la NCAA

Gilles Courteau nous avait donné rendez-vous à 15 h 30. Quelques minutes plus tard, nous étions assis à une table dans son bureau, déjà plongés dans le vif du sujet. Le commissaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) ne fait pas dans le flafla, il y a plusieurs dossiers chauds à attaquer.

Le premier, un nouveau, celui qui secoue sa ligue comme jamais auparavant : la volonté des meilleurs joueurs d’ici d’explorer l’avenue américaine. Donc de passer par les prep schools, la plupart du temps, puis par les universités américaines, sans jamais s’arrêter par la LHJMQ.

L’enjeu a pris de l’ampleur. Alors que le phénomène était anecdotique il n’y a pas si longtemps, voici que 9 des 21 plus beaux espoirs québécois disponibles au dernier repêchage de la LHJMQ soupesaient leurs options. Pour l’année prochaine, c’est la même chose, notamment avec l’exceptionnel Tristan Luneau, qui a déjà opté pour le Wisconsin.

Pour l’instant, Courteau attend septembre, au moment où il aura un portrait clair de la situation.

On va voir ce qui va se passer avec les joueurs qui regardent du côté des États-Unis. On a des développements en cours avec des joueurs qui ont accepté de se présenter au camp, de rencontrer les organisations. On verra la direction que ça va prendre et après, on pourra avoir une meilleure photo de la réalité.

Gilles Courteau

Concrètement, le comité orientation hockey présentera ensuite, s’il y a lieu, une recommandation lors de l’assemblée du bureau des gouverneurs, en février.

Dans tous les cas, certains des acteurs les plus en vue du hockey junior ont fait connaître publiquement leur position. Pour Serge Beausoleil, de l’Océanic, et Patrick Roy, des Remparts, la solution serait d’empêcher les jeunes qui vont aux États-Unis de revenir ensuite dans la LHJMQ. Essentiellement, serrer la vis aux indécis. Roy a utilisé l’image forte de « la ligue bouche-trou », mais Courteau préfère garder la tête froide.

« Ces commentaires ont été faits dans les semaines avant la sélection, quand les équipes font leurs dernières entrevues. C’est là qu’il y a des discussions au sujet de ce que les joueurs vont faire. Le point a été soulevé publiquement et à l’interne. […] C’est sûr que si on avait pris la décision dans la première semaine de juin quand on était aux assises à Québec, probablement qu’on aurait pris une décision drastique. Aujourd’hui, on doit prendre le temps de réfléchir à ça. » 

Les études au cœur du problème

Au moment de notre rencontre avec des parents et des jeunes qui exploraient l’option américaine, tout le monde tenait à peu près le même discours. Ils craignaient que la LHJMQ ne donne pas assez la priorité aux études. Il y a ensuite ses affluents : le nombre élevé de transactions, la trop grande quantité de matchs et le risque de se retrouver dans un cul-de-sac à la fin du stage junior, à 20 ans.

Courteau se dresse quand on lui parle des études. Selon lui, la perception découle d’une époque où les études, en effet, étaient secondaires. Il juge que la Ligue a depuis fait ses devoirs. Il énumère les trois raisons d’être de la LHJMQ : hockey, éducation, formation de bons citoyens. Pour lui, aucune ligue n’offre un meilleur encadrement aux jeunes de 16 à 20 ans. Il s’explique.

Ce n’est pas justifié de critiquer l’aspect éducation. On a des chiffres à l’appui qui montrent que c’est possible d’allier études et hockey.

Gilles Courteau

« Dans les deux dernières années, par année, il y a plus de 225 joueurs qui ont bénéficié du programme de bourses d’études [6000 $ par année dans la ligue, qu’ils peuvent utiliser dans n’importe quel établissement reconnu jusqu’à trois ans après la fin du stage junior]. C’est 1,3 million. La réalité est que le jeune bénéficie de bourses d’études, mais il faut qu’il soumette des résultats scolaires. Un suivi se fait.

« Pour que le joueur bénéficie de ce programme de bourse, il faut qu’il soit capable d’allier études et hockey. Ce qui nous a amenés en août dernier à prendre une décision : tous nos joueurs sans exception doivent aller à l’école. »

Il assure que chaque équipe offre d’ailleurs à ses joueurs un encadrement scolaire avec tuteurs. Côté échanges, le commissaire reconnaît qu’il y en a beaucoup. Il y a les circonstances atténuantes, explique-t-il, comme des joueurs qui en font la demande. Ou encore lorsque la Coupe Memorial se déroule dans une ville de la LHJMQ, ce qui incite les prétendants à bouger davantage.

N’empêche, pour réduire les bouleversements pour les jeunes, les transactions ne peuvent survenir qu’à trois moments précis : en août, aux Fêtes et en juin. Bref, à des moments choisis pour ne pas rater l’école.

« Ce sont des éléments importants pour démontrer que le volet scolaire a une importance capitale. La Ligue a pris le temps de regarder ça pour donner un bon encadrement. C’est sûr que ce n’est pas facile. On donne un coffre d’outils, mais le joueur doit l’utiliser à bon escient. Si un jeune avait 62 au secondaire, on ne peut pas faire la promesse aux parents que ça va monter à 80. Il va être encadré, un conseiller pédagogique, un tuteur, un horaire adapté à ses capacités. On va y mettre l’encadrement nécessaire, mais il faut que le joueur se discipline. »

La saison lourde de 68 matchs a aussi ses détracteurs. D’abord pour ceux qui jugent que le joueur se développe mieux à l’entraînement, ensuite pour ceux qui voient dans une vie sur la route un obstacle aux études. La LHJMQ a déjà fait passer la saison de 72 à 70 matchs, puis à 68. Ça reste beaucoup plus que les universités américaines, qui sont dans la trentaine de matchs. Courteau n’est pas fermé à l’idée de réduire la saison, mais il voit pour l’instant autant d’arguments contre qu’en faveur.

« Quand on a procédé à ces réductions, les budgets d’exploitation n’étaient pas ce qu’ils sont. Aujourd’hui, c’est en moyenne 2,5 millions pour opérer un club junior. L’impact financier sur les revenus est important. On va procéder à une étude complète. Avec des questions à tous les intervenants, joueurs, dirigeants, propriétaires, amateurs, commanditaires. Tout le monde va être invité à participer pour arriver avec des faits quand viendra le temps de prendre une décision. »

Enfin, pour ce qui est de la possibilité qu’un jeune se retrouve dans un cul-de-sac à 20 ans, autant sportivement que du point de vue scolaire, Courteau rappelle l’existence des bourses de plusieurs milliers de dollars. Ces bourses permettent à un joueur de prendre le virage qu’il veut sur les bancs d’école. La LHJMQ se dit aussi prête à offrir son expertise pour la mise en place d’un réseau de hockey universitaire digne de ce nom au Québec.

« Plus de 90 % des joueurs des universités proviennent du hockey junior canadien. C’est une très bonne ligue. […] Personne ne lève la main pour dire qu’il faudrait qu’on retourne au hockey universitaire. Je ne sais pas si ça va arriver, mais on est prêts à collaborer avec eux. On est très ouverts à ça. Ce serait effectivement une belle opportunité pour nos joueurs qui bénéficient d’une bourse d’études. »

Pourquoi ne pas payer les joueurs ?

Il y a l’autre dossier épineux qui frappe en ce moment la LHJMQ : cette action collective de 50 millions intentée par deux anciens joueurs, Thomas Gobeil et Lukas Walter. Gobeil et Walter jugent que la Ligue ne respectait pas les dispositions des normes du travail, notamment en ce qui a trait au salaire minimum.

Selon la poursuite, les joueurs consacrent entre 35 et 40 heures par semaine à leur travail, souvent plus, ce qui placerait leur salaire sous le minimum permis. Chaque joueur de la LHJMQ reçoit 60 $ par semaine comme « bourse d’études », somme qui grimpe à 150 $ pour les 20 ans.

Le Québec, entre autres, a d’ailleurs voté des lois pour soustraire les joueurs juniors des dispositions de la Loi sur les normes du travail. Ils sont considérés comme des « athlètes amateurs étudiants » et non comme des employés. Québec solidaire a d’ailleurs fait du changement de statut des joueurs un élément de sa plateforme. Bref, ça gronde.

Alors, sans plus tarder, la question : pourquoi les joueurs de la LHJMQ ne sont-ils pas payés ?

Ce n’est pas la vocation du hockey junior. Ce n’est pas comme ça que la ligue a été créée. Ça n’a jamais été une ligue pour dire que les joueurs doivent être des salariés. C’est une ligue reconnue comme la meilleure ligue de développement pour les joueurs de 16 à 20 ans.

Gilles Courteau

« C’est reconnu comme une ligue amateur, c’est d’ailleurs les démarches qu’on a faites dans toutes les provinces où nos joueurs évoluent. Le statut du joueur a été clarifié partout : athlète amateur. Au Québec, ils ont clarifié en disant “athlète amateur étudiant”. On leur a démontré que les joueurs n’étaient pas des professionnels. »

C’est beaucoup de jargon juridique. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? Gilles Courteau poursuit, avec des chiffres.

Grosso modo, la position de la Ligue est la suivante. Chaque équipe dépense par année entre 40 000 $ et 50 000 $ pour l’encadrement d’un joueur. Ce qui est inclus : la pension, le hockey, les études, le transport, l’argent de poche, entre autres. Cette somme exclut donc la bourse d’études qui peut atteindre 24 000 $ à la fin du stage junior. Il y a même une somme prévue pour permettre aux parents d’aller voir leurs enfants.

Cette somme est à peu près ce qu’une équipe pourrait verser en salaire aux joueurs si elle décidait de le faire. Mais financièrement, les équipes de la LHJMQ ne peuvent pas offrir les deux, soit payer à la fois l’encadrement et le salaire. En concordance avec l’esprit de la ligue, les équipes choisissent donc l’encadrement.

Cas concret

Gilles Courteau explique sa position par une anecdote, une rencontre fortuite avec les parents d’un joueur de 17 ans repêché par les Screaming Eagles du Cap-Breton. Le père du joueur, syndicaliste convaincu, exigeait des explications.

« Leur fils s’en va demeurer chez M. et Mme MacKinnon au Cap-Breton, raconte Courteau. Admettons qu’on le paie au salaire minimum. Il paie sa pension, une partie de ses assurances, ses frais scolaires, tout ça. Un jour, M. et Mme MacKinnon appellent les parents pour leur dire que leur fils n’a pas payé la pension. Qu’est-ce qui est arrivé ? Il a amené sa blonde à l’hôtel, son char a brisé. Peu importe. Il a ces petits problèmes-là à 17 ans. À 18 ans, il va rencontrer l’équipe et leur dit : “L’école, oublie ça. Je gagne ma vie à jouer au hockey.” Ensuite, il annonce qu’avec d’autres joueurs, ils vont rester en appartement avec leurs blondes. Les parents vont faire quoi ? Il va décider ça parce qu’il a un travail qui le lui permet. 

On ne veut pas ajouter une pression additionnelle. Tu pars de chez vous, tu arrives au Cap-Breton, tu es considéré comme salarié et tu as des responsabilités ? Dans le moment, toutes ses dépenses sont payées, et en plus, on lui donne de l’argent de poche.

Gilles Courteau

Courteau poursuit avec des cas de figure. Comment gérer l’équilibre entre les joueurs si les commanditaires s’en mêlent ? Comment empêcher une équipe de simplement congédier un joueur s’ils ont un lien employé-employeur ?

« Ça déferait toute la structure, l’origine du pourquoi la LHJMQ a été créée. Je ne dis pas qu’on est parfaits, mais quand un problème survient, on le règle. »

La Ligue a d’ailleurs instauré des standards minimums que chaque équipe s’engage à respecter. Il ne nie pas qu’il y ait parfois quelques disparités, notamment sur la qualité des hôtels ou la durée des voyages (certaines équipes voyagent le jour d’un match pour réduire les coûts).

Parmi ceux qui ont manifesté leur appui en faveur de l’action collective, il y a Enrico Ciccone, dans une entrevue avec TVA Nouvelles. C’est une voix qui porte, de par son statut : ancien joueur de la LHJMQ lui-même, puis agent de jeunes joueurs, analyste dans les médias et aujourd’hui député libéral de Marquette. Il a aussi été nommé à des comités par Courteau, notamment le très médiatisé comité sur la violence gratuite au hockey junior.

Ciccone a brisé les rangs de son parti, qui est celui qui avait changé les dispositions de la Loi sur les normes du travail sous le règne de Philippe Couillard. Il explique en substance qu’à son avis, les joueurs sont des travailleurs, puisqu’ils contribuent à rapporter de l’argent dans les coffres de la LHJMQ et de ses équipes.

« Il a son opinion et je la respecte. Il a joué dans la LHJMQ, il a été un agent, il a été impliqué. Je la respecte, mais je ne la partage pas. Si aujourd’hui il est ce qu’il est devenu, pour moi, en toute modestie, il doit beaucoup au hockey junior. C’est là qu’il a commencé à avoir une vie qui l’a amené à jouer dans la LNH, à être un agent, à être dans les médias. Il a un talent naturel, mais il a quand même eu une base. À 17 ans, il savait déjà ce qu’il voulait, il s’exprimait bien, je ne suis pas surpris de ce qui lui arrive aujourd’hui. C’est un ancien joueur que je respecte beaucoup. Quand il était agent, jamais il n’a fait de chantage, du genre “si mon gars n’a pas ce bonbon-là, il s’en va dans les collèges américains”. Jamais. J’ai beaucoup de respect pour lui, je n’ai aucun problème avec ça. »

Gilles Courteau sur…

Les initiations

L’histoire a fait grand bruit : Yaroslav Alexeyev a raconté à un média sportif russe, le Sport Express, avoir été témoin d’initiations dégradantes chez le Phoenix de Sherbrooke. Le principal intéressé dit avoir été mal cité, ce que dément le journaliste à l’origine de l’article. Le directeur général du Phoenix, Jocelyn Thibault, a immédiatement enquêté et remis un rapport disculpatoire à la Ligue. Mais Courteau veut en arriver à sa propre conclusion. « Quand le dossier de Sherbrooke est arrivé, j’ai dit qu’on prenait ça très au sérieux et qu’on procéderait à une enquête. C’est le cas. Ils vont me revenir avec une conclusion et des recommandations. Ce n’est pas le Phoenix qui mène l’enquête, c’est la Ligue. Jocelyn nous a transmis son rapport, mais j’ai décidé d’aller plus loin que ça. » Si les faits allégués s’avèrent exacts, il y aura une sanction, mais il n’est pas question de suspendre l’équipe pour une saison, comme ç’avait été le cas pour les Redmen de McGill. « C’est impossible d’annuler une saison. Ce n’est pas l’objectif non plus. C’est un peu comme avec la politique antidopage. L’objectif n’est pas de bannir le joueur, c’est l’éducation. La LHJMQ est une grande famille. Ma femme et moi, on a deux enfants. Quand il arrivait quelque chose, je ne bannissais pas un enfant de chez nous. »

Québecor, propriétaire de deux équipes

En 2015, la LHJMQ a modifié ses règles pour permettre à Québecor de posséder deux équipes, l’Armada et les Remparts. À l’époque, Courteau voulait s’assurer qu’en cas d’un retour des Nordiques, il n’y ait pas deux propriétaires d’équipe à se partager le Centre Vidéotron. C’était à ses yeux une situation intenable. Il a toutefois été établi que les portes seraient étanches entre les deux équipes, notamment sur le plan des transactions. Quatre ans plus tard, Courteau songe à assouplir les règles du jeu. « Est-ce qu’on peut revoir la réglementation ? La réponse est oui. Pas nécessairement pour l’ouvrir au grand complet. Les gens ont vu comment les équipes opéraient. Ils ont vu aussi ce que cette réglementation apportait comme embûches. Prenons un cas où les Voltigeurs ont obtenu un choix de deuxième tour des Remparts, puis ils parlent avec l’Armada. Ils n’ont pas le droit de leur échanger ce choix. Même par intermédiaire, c’est défendu, aucun joueur ou choix de repêchage ne peut jamais passer de l’un à l’autre. On peut regarder cette situation pour voir ce qu’on peut faire pour assouplir la réglementation. Québecor a fait ses preuves, mais aussi selon les expériences vécues par les autres clubs. C’est un dossier qu’on va amener au comité d’orientation hockey et, ensuite, on va le soumettre au bureau des gouverneurs. »

Le nouvel aréna à Trois-Rivières

La ville de Trois-Rivières est en ce moment en train de se doter d’un nouveau Colisée, un projet de 4390 places au coût de 56 millions de dollars. L’amphithéâtre sera ouvert au public à l’automne 2020, mais il n’a pour l’instant aucun locataire permanent. La LHJMQ souhaiterait-elle ressusciter les Draveurs ? « J’ai été très clair avec le maire de Trois-Rivières et Marc-André Bergeron, qui est chargé de projet. Il n’y a pas de possibilité d’expansion et il n’y a aucune franchise à vendre. Je ne peux pas créer de faux espoirs. » Il rappelle aussi qu’une nouvelle équipe en Mauricie devrait négocier une compensation financière avec les Cataractes de Shawinigan.