Le 1er juillet a perdu de son lustre ces dernières années. Après avoir représenté la journée la plus explosive de la saison, l’ouverture du marché des joueurs autonomes est devenue de plus en plus tranquille, les équipes s’assurant de retenir leurs actifs. Cette année, avec des noms comme Sergei Bobrovsky, Artemi Panarin, Matt Duchene et Anders Lee, les équipes auront la chance d’embaucher de véritables joueurs d’impact. Comment les décisions se prennent-elles ?

Homer Simpson possède un bon emploi syndiqué à la centrale nucléaire de Springfield, ce qui lui permet d’avoir un niveau de vie tout à fait convenable. Il aimerait en avoir plus, comme tout le monde, mais sa famille ne manque de rien.

Dans un épisode mémorable, Homer se fait offrir un emploi par la firme Globex, qui implique un déménagement dans une autre ville, Cypress Creek.

Il a droit à la totale : un meilleur poste, un meilleur salaire, une magnifique maison dans une jolie ville où l’on trouve de tout, même des magasins spécialisés dans les hamacs. Heureux hasard, ils sont tous situés dans le district des hamacs. Ah oui : il tombe aussi sur un patron charismatique et à l’écoute, Hank Scorpio.

Homer est apprécié et valorisé par son nouvel employeur. Mais Bart s’intègre mal à sa nouvelle école, Lisa devient allergique à la végétation qui pousse par là, et Marge commence à avoir un penchant pour le vin rouge, tant elle s’ennuie dans sa nouvelle maison où tout est automatisé. Homer devient vite malheureux, et finit par rentrer à Springfield.

L’exemple est simpliste, mais bon, c’est dimanche matin, et si on ne peut pas s’amuser un peu en parlant de sport, on n’aura jamais de plaisir dans la vie. Toujours est-il que l’exemple ci-dessus rappelle le nombre de facteurs qui entrent en compte quand vient le temps de décider de son avenir professionnel.

Demain, 1er juillet, des dizaines de joueurs de la LNH confirmeront leur décision. Aux yeux de beaucoup, l’argent est à peu près l’unique facteur de décision, que ce soit en matière de salaires ou de taux d’imposition. En optant pour Dallas plutôt que Montréal, il y a deux ans, Alexander Radulov a certainement alimenté cette perception. Et c’est vrai, il y a des joueurs pour qui le salaire et les impôts sont le critère premier.

Mais ce serait oublier que depuis son arrivée chez les Stars, Radulov joue principalement avec Tyler Seguin et Jamie Benn. Et le voici avec deux saisons de suite de 72 points. La qualité de l’entourage n’a donc certainement pas nui, dans ce cas précis.

Et il peut y avoir d’autres facteurs.

« Les joueurs passent quatre heures par jour à l’aréna. Les 20 autres heures, ils les passent à l’extérieur de l’aréna, rappelle le Montréalais d’origine Anton Thun, l’agent de Bryan Little et de Reilly Smith. Ta femme et tes enfants doivent embarquer. »

Même si le taux d’imposition est avantageux ou qu’il fait beau, s’ils sont malheureux à la maison, ça ne fonctionnera pas.

Anton Thun, agent de joueurs d’origine montréalaise

« Parfois, les amateurs ou les journalistes oublient que ce sont aussi des humains. »

L’entraîneur

Dale Tallon est le directeur général des Panthers de la Floride. Artemi Panarin et Sergei Bobrovsky, deux des gros noms qui devraient être disponibles demain, ont rendu visite aux Panthers dans le cadre de leur magasinage.

On en parlait plus haut : la Floride, c’est un climat et une fiscalité favorables. On mentionne ces deux facteurs d’entrée de jeu… et Tallon se braque.

« Ce n’est pas seulement ça ! Les joueurs veulent gagner ! lance le DG québécois, rencontré au repêchage. Quand j’ai commencé à Chicago, les deux premières années, le 1er juillet, on avait beau offrir des contrats à long terme, de l’argent, les joueurs ne voulaient pas venir parce qu’ils ne croyaient pas qu’on allait gagner. […] Chez nous, il n’y a pas d’impôt [d’État], c’est un plus, mais ils ne viendront pas seulement pour ça. »

La majorité des joueurs veulent d’abord gagner. Ensuite, c’est l’environnement.

Dale Tallon, directeur général des Panthers de la Floride

Avec Jonathan Huberdeau et Aleksander Barkov qui arrivent dans la force de l’âge, les Panthers comptent sur deux piliers intéressants pour une équipe qui veut se mettre à gagner. Mais on vous parlait du patron en début de texte ; le patron des joueurs en Floride sera dorénavant Joel Quenneville, un des entraîneurs les plus respectés dans la LNH. Or, s’il y a une chose qui peut peser dans la balance, c’est bien le type derrière le banc qui décide de qui joue quand avec qui.

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Joel Quenneville est le nouvel entraîneur-chef des Panthers de la Floride.

Tallon a d’ailleurs indiqué que Quenneville allait lui prêter main-forte dans ses approches auprès des joueurs autonomes cette semaine. Et doit-on rappeler que Panarin a gagné le trophée Calder à son arrivée à Chicago… en jouant sous les ordres de Quenneville ?

« C’est de plus en plus commun que le coach fasse partie de la présentation de l’équipe, explique l’agent acadien Allain Roy. Le joueur veut savoir ce que le coach pense. Parfois, le DG dit une chose et l’entraîneur en dit une autre. Nous, on pousse toujours pour que le coach fasse partie du processus. »

Dan Milstein, l’agent de Nikita Kucherov et de Pavel Datsyuk, représente de nombreux joueurs russes. Lui aussi reconnaît l’importance de l’entraîneur dans le processus. C’est particulièrement vrai pour ses clients qui quittent la KHL pour venir en LNH, comme Nikita Zaitsev, que les Maple Leafs ont embauché en 2016.

« C’est vrai que l’entraîneur ne sera pas là éternellement. Mais si tu tombes sur un entraîneur qui ne te fait pas jouer, ça peut aller très mal. Tu peux te retrouver en dehors de la ligue très rapidement », prévient Milstein.

Les autres facteurs

Pour Allain Roy, l’explication est simple. « Quand ce sont de gros noms, les salaires offerts se ressemblent pas mal d’une équipe à l’autre. Donc le facteur décisif, c’est le “fit” ou les chances de succès de l’équipe. »

Jim Nill est dans une position similaire à celle de Tallon. En tant que DG des Stars de Dallas, il se trouve dans un marché où la météo est clémente et la fiscalité, légère. La pression médiatique aussi. Ça a toujours été la réalité de Dallas, comme ce l’est pour les équipes de la Floride, de l’Arizona, de Vegas.

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Jim Nill, directeur général des Stars de Dallas

Pourtant, c’est à l’été 2017 que les choses ont réellement débloqué en ce qui concerne les embauches, quand il a mis la main sur les joueurs autonomes Radulov, Ben Bishop et Martin Hanzal. Nill pouvait alors leur présenter un club dont le noyau était formé de Benn, Seguin, John Klingberg et Esa Lindell, avec en prime le défenseur Miro Heiskanen comme futur pilier.

« En général, la première chose que les gars vont regarder, c’est si tu as une chance de gagner, affirme Nill. Les gros joueurs autonomes ont généralement entre 28 et 33 ans. Financièrement, ils sont corrects, ils sont dans la ligue depuis assez longtemps. Donc, en premier, ils se demandent où est rendue ton équipe. Ensuite, c’est la qualité de vie, ce qui nous aide un peu, je crois. »

L’argent compte aussi, on le comprend, mais d’abord et avant tout, ils veulent savoir où en est l’équipe.

Jim Nill, directeur général des Stars de Dallas

Les équipes de l’Est avaient auparavant un avantage en ce qui a trait aux déplacements, mais plusieurs intervenants nous assurent que ce n’est plus aussi important de nos jours. « Ça peut être un peu plus épuisant », reconnaît Nill, qui est à la tête d’une des équipes qui parcourent le plus de kilomètres par avion. Mais, comme le souligne Anton Thun, qui représentait des joueurs à l’époque où les équipes voyageaient sur des vols commerciaux : « Maintenant, le préposé à l’équipement s’occupe de tout et c’est à peine si tu réalises que tu es dans un avion. »

« Tu dois aussi demander à ton client : “Veux-tu jouer dans une ville de hockey ou pas ?”, ajoute Allain Roy. Les joueurs et leur famille y pensent. À Montréal, Toronto ou Edmonton, tu ne peux pas te cacher. Ta vie est assez publique. Dans d’autres villes, personne ne les reconnaît. Certains joueurs aiment les caméras, d’autres non. »

Alors, dans tous ces facteurs, où arrive l’argent ?

Ce qui est drôle, c’est qu’à la vitesse à laquelle les choses se passent, les équipes pensent bien plus rapidement à l’argent et aux années que nous. Nous, on regarde d’abord où cadre le mieux notre joueur.

Jay Grossman, agent de Pekka Rinne

« Qui est l’entraîneur, quelle est l’approche du DG ? Te vois-tu occuper un rôle important, au point que tu considérerais l’équipe ? Ensuite, on passe à l’argent, car c’est ainsi que les joueurs sont mesurés. S’il y a un engagement financier envers le joueur, c’est critique, poursuit Grossman. Si ça correspond à tes attentes, tu peux cocher deux cases sur ta liste. Ensuite, tu regardes si tu peux aussi cocher ces cases avec d’autres équipes. »

Il faudra maintenant voir à quelle vitesse ces décisions se prendront. Avec la pléthore de joueurs autonomes avec compensation qui sont sans contrat (Mitch Marner, Mikko Rantanen, Sebastian Aho, Charlie McAvoy, Zach Werenski, Ivan Provorov…), certains DG s’attendent à ce que le marché tourne au ralenti. C’est bien normal : l’impact de ces contrats sur les masses salariales sera énorme. Eh oui, on revient encore à l’argent !