Une quarantaine de hockeyeurs ont participé la semaine dernière à une compétition hors du commun. Un tournoi réservé aux joueurs de 80 ans et plus. Récit.

Mardi, 10 h. La cantine de l’aréna Gaétan-Boucher, à Longueuil, fourmille de clients. Ça sent la friture. Sur les deux glaces adjacentes, des parties de hockey sont en cours. Un étage plus bas, dans les vestiaires 4 et 8, des hommes se préparent pour le prochain match d’une compétition unique en son genre.

Un tournoi réservé… aux 80 ans et plus !

« Ici, on fait compétition au frère André. Il y a des béquilles et des miraculés partout ! », lance l’organisateur, Laurent Bergeron. Cet octogénaire hyperactif nous guide dans les catacombes de l’aréna jusqu’au vestiaire des Verts. Il ouvre la porte.

Le premier joueur que le photographe et moi croisons est un petit homme empêtré dans ses épaulettes. Il est visiblement très vieux. Une fois sa pièce d’équipement ajustée, il nous tend la main. La poigne est franche. L’œil est vif.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Doug Palmer

Il se présente. Doug Palmer, 92 ans. C’est le vétéran du groupe. Je lui propose de s’asseoir pour discuter. Il insiste pour rester debout. Droit comme un chêne.

— Depuis quand jouez-vous ?

Court silence.

— Désolé. Ma mémoire ne remonte pas si loin.

Ça arrive parfois, m’explique Laurent Bergeron. L’année dernière, trois participants souffraient d’alzheimer, à différents stades. Un des joueurs tirait constamment vers son gardien. « Il oubliait aussi de rentrer au banc après son shift. Il fallait envoyer un gars le chercher sur la glace. »

Doug Palmer retrouve quelques images. Il se souvient qu’enfant, il patinait sur un lac gelé près de chez lui. Il dit avoir vu jouer Maurice Richard, Toe Blake et Elmer Lach. Et à quand remonte son dernier but ? Un moment d’hésitation. Puis avec un grand sourire, il me répond : « Désolé, j’ai oublié. À mon âge, on ne tient plus le registre ! »

(C’était il y a deux semaines, me chuchote un coéquipier.)

Autour de Doug Palmer, plusieurs joueurs sont torse nu. Leurs corps exhibent les marques du temps. Des plis. Des égratignures. Des bleus. Quelques cicatrices rappellent des opérations récentes.

« Il y a des gars qui ont subi des opérations à cœur ouvert », souligne Laurent Bergeron.

Je les trouve plutôt en forme. Surtout Elzéar Décoste, 82 ans. Il en paraît 20 de moins. Épaules musclées, biceps découpés au couteau, il exhibe un corps de plage. « L’été, je joue au golf et à la balle. L’hiver, au hockey. J’ai commencé à jouer à 40 ans. Je n’ai jamais lâché depuis. Je patine trois fois par semaine. J’aime l’ambiance ici. C’est plaisant. On est là pour s’amuser. »

— Et à 82 ans, sautez-vous encore par-dessus les bandes ?

— Oh, ça n’arrive pas souvent [rires] !

Avant de quitter le vestiaire, je m’arrête un instant devant le gardien Donald MacDonald, 80 ans. J’observe ses lourdes jambières, qui se poseront sur la glace une dizaine de fois dans la prochaine heure.

— Est-ce que vos genoux tiennent bon ?

— Vous savez, je ne prie pas beaucoup. Ça les garde en bon état !

***

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Laurent Bergeron nous accompagne dans le vestiaire 8, terré dans un recoin du labyrinthe souterrain. Il me présente Constant Hotte, 80 ans. Une légende dans les ligues d’old-timers. Son surnom : le Gordie Howe de Beauharnois.

M. Hotte n’a jamais joué chez les pros. En 2008, il a toutefois participé à la Coupe du monde des plus de 70 ans, organisée dans le cadre du 400anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Rémi Deshaies était dans la même équipe. « Nous avons gagné l’or. Et tu peux l’écrire dans le journal : monsieur Constant Hotte était le meilleur joueur du tournoi. »

De l’avis de tous, M. Hotte est le meilleur joueur octogénaire de la province. Mais les effets de l’âge commencent à faire leur œuvre. 

« Cet hiver, je ne jouais qu’une fois par semaine. Je souffre d’un nerf sciatique depuis deux ans. C’est difficile. Surtout que c’est ma quatrième partie en cinq jours. »

Rémi Deshaies, lui, en a joué deux la veille. À 81 ans. « Je donne tout ce que j’ai. Mais ce matin, je suis un peu fatigué… »

À côté de la sortie, je croise un grand gaillard. Le gardien Paulo St-Laurent, 81 ans. Un roc. Il attache ses jambières. Des reliques qui semblent avoir été oubliées dans un sac depuis 1978.

« Ça appartient à mon père. Il est venu lacer mes patins tantôt. »

Votre père ?

« Il te niaise », me lance un coéquipier. Qui ajoute dans la foulée que Paulo est le frère de l’ex-défenseur du Canadien Dollard St-Laurent, cinq fois gagnant de la Coupe Stanley.

— C’est vrai, ça ?

— Oui. Dollard, c’était mon frère. Et André [644 matchs dans la LNH], c’est mon neveu.

— Avez-vous connu personnellement les joueurs du Canadien ?

— Certainement. J’ai eu la chance de jouer avec les Anciens Canadiens* pendant cinq ans. Henri [Richard], [Jean-Guy] Talbot, [Phil] Goyette, [Claude] Provost, [Claude] Pronovost, Bobby Rousseau, je les ai tous côtoyés.

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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Il est 10 h 30. Les joueurs embarquent sur la glace. Plusieurs clients de la cantine se déplacent vers les gradins. Laurent Bergeron descend les marches pour remettre à l’arbitre un objet étrange.

Un bâtonnet muni d’une ventouse.

L’officiel le prend. Il voûte son dos et saisit une rondelle avec la suce. Puis il se dirige vers le centre pour la mise en jeu.

Chaque équipe est composée de dix patineurs et d’un gardien. Les joueurs sont divisés en deux groupes (A et B). Les meilleurs jouent contre les meilleurs, les plus faibles s’affrontent entre eux. C’est nécessaire, car l’écart de talent est grand. Même chose pour les catégories d’âge.

Lors de sa fondation, il y a 16 ans, le tournoi était réservé aux hockeyeurs de 70 ans et plus. Mais les joueurs ont vieilli. Les équipes ont donc été réparties en trois catégories. Il y a maintenant 12 clubs de « jeunots » (70- 74 ans), 8 de joueurs âgés de 75 à 79 ans et 4 d’octogénaires.

La rondelle est en jeu. Dès les premières secondes, on remarque le vétéran Doug Palmer. Avec ses culottes rouges et son chandail vert sur lequel est imprimé le mot GÉRITOL, il passe difficilement inaperçu. L’athlète de 92 ans se place à sa ligne bleue et ne bouge pas.

« Il reste là tant que la rondelle ne vient pas dans son coin », m’explique Michel Thibodeau, un joueur blessé qui assiste au match dans les gradins.

Les attaquants manient bien la rondelle. Les passes sont précises. Les joueurs tiennent leur position. Le jeu est lent, mais structuré. Les gardiens ? Ils ne maîtrisent pas le style papillon, mais ils n’hésitent pas à se jeter sur la glace. À la Gump Worsley. Avec un certain succès.

Constant Hotte a conservé un très bon tir du poignet. De la ligne de ringuette, il est encore capable de loger la rondelle dans le haut du filet. Il finira le match avec un tour du chapeau.

Dans l’autre équipe, Elzéar Décoste brille. Imaginez Brendan Gallagher, à 82 ans. Une boule d’énergie. À la mi-match, il tente même de sauter par-dessus la bande pour un changement. Un geste ambitieux. Pendant une quinzaine de secondes, il se trouve à cheval sur la glace et le banc. Suspense dans l’aréna. Il réussira heureusement à tomber du bon côté sans se blesser et inscrira deux buts.

Au terme des 50 minutes, une quinzaine de buts seront comptés. Quel club a gagné ? Ce n’est pas important. Les hommes sont ici pour s’amuser, déjouer la routine, briser la solitude. Ces matchs sont le cœur de leur vie sociale. Le trophée ? Il n’y en a pas. Les joueurs ont toutefois droit à un prix de participation, gracieuseté d’un commanditaire : une demi-journée d’activités aux Résidences Soleil.

Tous quittent l’aréna avec le sourire. Tous se promettent déjà de revenir l’an prochain. Michel Thibodeau a particulièrement hâte. Il y a quelques jours, il était alité à l’hôpital. Son médecin lui a donné son congé juste à temps pour assister au tournoi. Mais le délai pour jouer était trop court. Son espoir : patiner de nouveau l’automne prochain.

« Ces dernières saisons, je pensais accrocher mes patins à 80 ans. Mais je regarde ça aujourd’hui, et honnêtement, je ne suis juste pas capable d’arrêter. »

* Les Anciens Canadiens sont une équipe formée majoritairement d’anciens joueurs retraités du Tricolore.