Alain Chainey se souvient de sa première rencontre avec Claude Ruel comme si c'était hier.

«Je commençais dans le recrutement, lui avait été l'éminence grise du recrutement du Canadien. Je l'ai croisé à Victoriaville. J'étais gêné d'aller le voir. J'ai pris mon courage à deux mains, j'ai été me présenter. "Bonjour, je suis Alain Chainey, je suis nouveau dans le milieu. Avez-vous des conseils à donner à un jeune recruteur qui veut faire sa place?"

«Il m'avait répondu: "Mon p'tit gars - il disait ça à tout le monde -, le plus important, c'est le talent."»

Chainey a retenu et appliqué le conseil, ce qui lui a permis de travailler pour les Ducks d'Anaheim pendant près de deux décennies, de 1993 à 2012, et de gagner au passage une Coupe Stanley. Maintenant analyste à TVA Sports, Chainey s'est livré au collègue Frédéric Lord, et le duo lance donc cette semaine Alain Chainey - Souvenirs d'un recruteur, un ouvrage dont c'était le lancement hier.

La simple lecture des noms des chapitres en dit long sur le type d'existence que Chainey a menée, de Seattle à Beauport en passant par Oufa, Los Angeles et Trencin. Des anecdotes en vrac, mais aussi une intéressante compilation de ses meilleures et pires entrevues avec des espoirs du repêchage.

La plus grande surprise? Assurément le nom d'Alex Galchenyuk au deuxième rang de ses meilleures entrevues! Pas mal pour un joueur qui n'a pourtant jamais gagné de concours d'éloquence lors de ses entrevues avec les médias.

«Il avait l'ensemble de ses rapports médicaux en main, lit-on. Son regard était vif et on a senti sa passion pour le hockey.»

On est moins surpris de voir que Sidney Crosby vient au premier rang de cette liste.

Perry, Getzlaf...

Mais revenons au talent. Les Ducks ont été sacrés champions en 2007 grâce à un savant mélange de jeunes et de vétérans. Deux joueurs repêchés par Chainey en 2003 étaient au coeur de ce mélange : Ryan Getzlaf (19e) et Corey Perry (28e). Dans les deux cas, les dépisteurs avaient des craintes pour différentes raisons. Chainey, lui, voyait le talent.

«Getzlaf, son astérisque, c'était son manque de constance, raconte Chainey en entrevue à La Presse lors du lancement hier. Tu pouvais arriver à un match, et ce soir-là, ça ne lui tentait pas, il arrivait tranquillement pas vite. Et deux jours plus tard, c'est une vedette sur la patinoire. Mais quand on le voyait jouer, huit fois sur dix, on voyait le vrai Getzlaf, le A. Peut-être que les autres équipes ont vu le B. On l'adorait, on n'avait pas peur.

«Perry, les gens avaient peur parce qu'il ne patinait pas. Mais on l'avait vu aller pendant les séries, il était tellement intelligent, il anticipait, il avait le désir de vaincre, le désir de marquer, donc il compensait. C'est pour ça qu'on a repêché ces joueurs-là assez tard.»

Il y avait eux, mais aussi un certain Chris Pronger, qui était un des piliers à la défense. Pronger n'a pas été repêché par Chainey, mais deux de ses choix, Joffrey Lupul et Ladislav Smid, ont permis aux Ducks de l'acquérir des Oilers d'Edmonton. Ça aussi, ça fait partie des succès d'un recruteur en chef.

«Quand un de nos choix est échangé, ça nous fait toujours mal au coeur. C'est comme un enfant qui s'en va, rappelle Chainey. Mais il faut comprendre que ces choix deviennent des atouts pour un directeur général, et qu'il peut s'en servir pour répondre aux besoins de l'organisation. Avec le temps, j'ai appris à être moins émotif. Moi, j'ai fait mon travail en le repêchant. Lui, il s'en sert pour obtenir autre chose.»

De la pression malgré tout

Ça, ce sont les exemples positifs. Mais il n'y a pas eu que des bons coups. Stanislav Chistov au 5e rang en 2001, quand Mikko Koivu a été réclamé au 6e rang par le Wild du Minnesota, ça paraît mal. «Si on avait une boule de cristal, on serait tous multimillionnaires!», lance Chainey.

On le voit à Montréal, dès qu'il est question d'analyser le bilan d'une équipe au repêchage, le directeur du recrutement amateur a soudainement le dos bien large. Récemment, on évoquait le maigre bilan du Canadien au repêchage de 2013. Il n'en fallait pas plus pour que des lecteurs réclament la tête de Trevor Timmins.

Pourtant, la situation est plus nuancée et la faute, partagée. Dans ce cas-ci, le mot d'ordre de l'état-major était de se grossir, ce qui a fortement orienté les sélections de Michael McCarron et Connor Crisp. Sven Andrighetto, un choix pas vilain pour une fin de troisième tour, a été sacrifié dans une transaction. Comment les joueurs ont-ils été pris en charge par le système de développement de l'organisation?

Bref, il y a plus que la simple projection que fait le directeur du recrutement en regardant aller un jeune de 17 ans...

«J'ai déjà repêché un joueur au troisième tour qui a vécu une peine d'amour et qui a arrêté de jouer au hockey! Il y a des choses impossibles à prévoir.

«Tu dois garder en tête que t'as fait ton travail. T'as repêché le joueur. Ensuite, c'est à l'organisation de le faire progresser. Si ça ne fonctionne pas, le DG va prendre des décisions dans le développement des joueurs. Mais même si des joueurs ont du talent et sont bien développés, ils ne réussiront pas toujours, parce qu'ils n'ont pas le caractère, la détermination, ils abandonnent trop facilement.»

Cela dit, Chainey n'a sans doute jamais été un sujet de discussion des partisans de son équipe comme peut l'être Timmins. Le marché d'Anaheim étant ce qu'il est, le bilan des Ducks au repêchage n'y était pas un sujet chaud comme il peut l'être par ici. Ce qui ne veut pas dire qu'il y a moins de pression!

« Rater un choix à Anaheim, ce n'est pas une tempête dans les médias, mais c'en est une dans les bureaux de l'organisation ! Ton DG te dit toujours la même chose: Alain, ce n'est pas compliqué, t'as juste à prendre le bon joueur. La pression est là, tu as toujours le fusil sur la tempe. Oui, tu peux te tromper, mais tu ne peux pas te tromper trop souvent. On avait peut-être moins de pression des médias, mais la pression intérieure est toujours la même pour un recruteur en chef. »

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Alain Chainey - Souvenirs d'un recruteur

Frédéric Lord

Éditions La Semaine 176 pages

Photo fournie par les Éditions La Semaine

Alain Chainey, souvenirs d'un recruteur, de Frédéric Lord, 176 pages, Éditions La Semaine