Un jour, les joueuses des Canadiennes de Montréal pourront vivre de leur sport et s'y consacrer entièrement, rêve la directrice générale de l'équipe. En attendant, la majorité travaille tout en s'entraînant en vue de la prochaine saison.

«De mieux en mieux après chacun des Jeux olympiques»

La situation des athlètes s'est améliorée, constate Emmanuelle Blais, qui entamera sa neuvième saison avec les Canadiennes à l'automne. Elle se souvient du temps où les joueuses devaient payer le transport et l'hébergement.

C'était à l'époque de l'Axion de Montréal, avant les Stars de Montréal, devenues les Canadiennes. Elle a joué pour l'équipe pendant une demi-saison, en 2005, avant d'aller à l'Université de Minnesota-Duluth.

« C'est de mieux en mieux après chacun des Jeux olympiques, mais pour avoir vu les débuts du hockey féminin, c'est difficile d'imaginer quand nos conditions seront égales à celles des joueurs dans la LNH, fait remarquer l'attaquante de 30 ans. Du côté affaires, tout dépend vraiment du nombre de gens qui viennent voir les parties, pour intéresser des commanditaires. »

Pour la première fois, la saison dernière, les joueuses de la Ligue canadienne de hockey féminin (LCHF) ont été rémunérées, recevant de 2000 $ à 10 000 $, selon leur ancienneté. Le plafond salarial a été fixé par la ligue à 100 000 $ par équipe.

« Nous avons été payées en deux versements, explique Emmanuelle Blais. Moi, quand j'ai reçu le premier chèque, sachant à quel point on partait de loin, je me suis dit "ha ! c'est le fun". Les filles à leur première année ont plutôt dit "hey, c'est rien." Quand on joue à Montréal, nous sommes l'équipe avec le plus grand nombre de partisans. L'aréna Michel-Normandin du complexe sportif Claude-Robillard est presque toujours plein. Nous sommes chanceuses, nous avons un excellent support. »

Les recrues ont reçu 2000 $, les joueuses à leur deuxième année, 2500 $, celles à leur troisième année, 3000 $, et ainsi de suite, révèle Meg Hewings, directrice générale des Canadiennes. Un système de bonis ayant été instauré, chaque joueuse a obtenu 1000 $ supplémentaires pour avoir terminé la saison en tête de la LCHF. Il s'agissait, pour l'équipe, d'un huitième trophée Chairman, établissant un record de 22-5-1. À cela s'ajoutent des prix individuels, accordés par la ligue.

« C'est un début, une première étape dans un plus grand processus de professionnalisation. Le montant n'est pas vraiment un salaire. Il paie les coûts dans un sport qui coûte cher », explique Meg Hewings.

Les commandites sont bienvenues. Bauer fournit par exemple aux joueuses l'équipement externe, comme les casques, gants et pantalons, ainsi qu'un rabais sur les bâtons et les patins. « J'ai dû acheter des patins, qui coûtaient 1000 $, indique l'attaquante Kim Deschênes. Heureusement, j'ai eu un rabais. Et grâce à un partenariat entre les Canadiennes et Énergie Cardio, on n'a pas besoin de payer pour s'entraîner. »

Il faut qu'il y ait des revenus pour avoir une ligue professionnelle, fait remarquer Meg Hewings. « C'est encore à bâtir. Le partenariat conclu avec le Canadien de Montréal en mars 2015 est très important. C'est énorme d'avoir le soutien de nos confrères. »

La ligue de hockey féminin progresse à tous les niveaux chaque année, note-t-elle.

« Cela a pris des décennies à la LNH pour avoir sa structure professionnelle actuelle. Je fais un parallèle avec les joueurs des années 50. Maurice Richard travaillait. Il y a encore beaucoup d'étapes à franchir, mais nous pouvons être fières du travail qui a été fait. »

Le nerf de la guerre ? Emplir les arénas. Or elle envisage la prochaine saison avec enthousiasme, alors que les trois athlètes ayant participé aux Jeux olympiques de PyeongChang, Marie-Philip Poulin, Mélodie Daoust et Lauriane Rougeau, réintégreront l'équipe.

« On va être capables de monter à un autre niveau, croit-elle. L'alignement sera encore exceptionnel et ce sera du jamais-vu si on peut assembler les joueuses qu'on veut. »

Vers l'avant

Poulin, l'une des meilleures joueuses de hockey féminin au monde, est l'une des seules joueuses des Canadiennes à pouvoir vivre de son sport, grâce à ses nombreux commanditaires. Elle admire le courage de ses coéquipières.

« Je suis chanceuse, reconnaît-elle. Je les vois arriver aux pratiques, elles ont travaillé toute la journée et elles viennent s'entraîner. Elles ont des parties le week-end et elles retournent au travail le lundi matin. Je leur lève mon chapeau. C'est inspirant de voir ce qu'elles font. Elles sont passionnées. Ce serait bien que toutes soient récompensées. »

La défenseure Melanie Desrochers, qui a 26 ans et entamera sa troisième saison chez les Canadiennes, reconnaît que c'est difficile de travailler huit heures par jour, en plus de faire le sport qu'elle adore.

« Tu es qualifiée de professionnelle, mais tu ne peux pas gagner ta vie. Nous avons par contre fait beaucoup de progrès, c'est motivant. Il faut continuer », dit-elle.

« Si nous arrêtons toutes de jouer, il n'y aura pas d'avancées. C'est seulement comme cela qu'on pourra apporter un changement positif, pour les filles qui ont 10 ans aujourd'hui, pour nos enfants. »

Les joueuses des Canadiennes s'impliquent toutes à un niveau ou un autre dans le développement de la relève, transmettant leur passion ici et en Chine, où deux équipes de hockey féminin ont été créées à Shenzhen en vue des prochains Jeux olympiques d'hiver, à Pékin.

« On est des pionnières et on se donne pour assurer le futur du hockey féminin, indique l'attaquante Ann-Sophie Bettez, nommée capitaine par intérim des Canadiennes, la saison dernière, lorsqu'il est devenu clair que Poulin ne reviendrait pas après les Jeux olympiques.

« On le fait pour que la roue continue à tourner et qu'un jour, d'autres puissent en vivre. Quand on regarde le hockey masculin, les filles ont encore du chemin à faire ! »

Photo André Pichette, La Presse

Ann-Sophie Bettez

Photo André Pichette, La Presse

Marie-Philip Poulin

Un été chargé

Que font les joueuses des Canadiennes de Montréal une fois la saison terminée ? Profitent-elles de la venue des beaux jours pour prendre des forces et jouer au golf, comme leurs confrères masculins ? Voici à quoi ressemble l'horaire de cinq membres de l'équipe.

Marie-Philip Poulin

L'attaquante vedette des Canadiennes fait figure d'exception, puisqu'elle est l'une des rares joueuses de hockey féminin à pouvoir vivre de son sport. Elle partage son temps entre son entraînement, le matin, et ses nombreux engagements auprès de ses commanditaires, qui prennent diverses formes : conférences, soupers, tournois (eh oui) de golf, etc. À travers tout cela, elle trouve le temps de visiter des écoles.

« C'est le fun de pouvoir redonner quand j'en ai la chance, explique la double championne olympique de 27 ans, qui a étudié en psychologie à l'Université de Boston. Je dis aux enfants de rêver grand, que ce soit dans le sport, la musique, les arts, peu importe. Tout n'est pas toujours rose, il faut se retrousser les manches et ne jamais abandonner. »

Elle a annoncé au début du mois qu'elle renouait avec le programme de hockey féminin de l'Université McGill, à titre d'entraîneuse spécialisée dans les habiletés techniques. Elle pourra ainsi aider de jeunes joueuses dans leur cheminement.

La capitaine des Canadiennes est consciente qu'elle est un modèle pour plusieurs. « Quand, dans des écoles de hockey, les filles me regardent avec de grands yeux éblouis, cela me fait chaud au coeur, dit-elle. Dans mon cas, ce sont Caroline Ouellette et Kim St-Pierre qui m'ont inspirée. Elles sont maintenant mes amies. J'ai la chance de pouvoir inspirer à mon tour et j'en suis reconnaissante. »

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Marie-Philip Poulin en visite dans une école de Sainte-Marthe-sur-le-Lac.

Emmanuelle Blais

L'attaquante de 30 ans, qui a étudié en communication et psychologie à l'Université du Minnesota-Duluth, a une autre passion : le CrossFit. À l'invitation d'un ami, Yannick Haineault, depuis devenu un associé dans l'entreprise Summit Station athlétique, elle a découvert ce sport et en est tombée amoureuse. Elle est entraîneuse à la fois chez CrossFit 514, à Verdun, et CrossFit Villeray.

« Je suis au gym six jours sur sept, explique-t-elle. Les lundis, mardis, jeudis et vendredis, j'arrive à 5 h 30 pour donner des cours de 6 h à 10 h. Jusqu'à 17 h ou 18 h, je vois des clients privés, je donne des cours de groupe ou je suis avec des athlètes aux objectifs spécifiques de performance, à l'intérieur de Summit Station athlétique. Le mercredi, je travaille de 11 h 30 à 21 h 30, puis le samedi, je vois des clients privés. Pendant la saison, je pourrai presque garder le même horaire, puisque nos pratiques sont les mardis et jeudis soir, et nos parties, le week-end. Je vais juste réduire un peu.

« Je suis chanceuse, rester en forme fait partie de mon travail, précise-t-elle. Je fais des programmes pour plusieurs de mes coéquipières. Comme je connais leurs habitudes et leurs besoins, je m'organise pour que cela fitte dans leur horaire. »

A-t-elle de la pression pour performer pendant les parties ? « Ce serait mal vu si je me traînais les pieds en troisième période ! », dit-elle en riant.

Photo Olivier Jean, La Presse

Emmanuelle Blais

Melanie Desrochers

La défenseure de 26 ans, qui était une recrue la saison dernière, est titulaire d'un baccalauréat de l'Université de St. Lawrence et d'une maîtrise en neurosciences obtenue à l'Université McGill. Après ses études, elle a pris trois mois de congé pour traverser le Canada à vélo, de Vancouver à Halifax. Avant de chercher un emploi dans son domaine, elle a voulu travailler dans des endroits avec un horaire flexible, qui lui permettent de pousser plus loin sa passion pour le hockey. « En faisant de la vente en magasin, je peux être remplacée, dit-elle. Cet hiver, j'ai ainsi pu m'absenter pendant une semaine à la fin de février pour aller avec l'équipe jouer quatre parties en Chine. Être dans une ligue internationale, c'est très bon. Cela donne plus de visibilité au hockey féminin. »

Comme elle aime le vélo, elle a décidé de travailler cet été dans la boutique spécialisée Cycle Néron. En plus de conseiller les clients cinq jours par semaine, huit heures par jour, elle s'entraîne quatre fois par semaine dans un gym de CrossFit où travaille sa coéquipière Emmanuelle Blais.

« C'est important de rester en forme », indique la jeune femme, qui se rend partout à vélo, que ce soit pour aller travailler, faire son épicerie, voir des amis, aller au gym. Elle court aussi régulièrement, environ 10 km sur le mont Royal.

« J'ai toujours été active, précise-t-elle. Je me sens physiquement fatiguée si je ne m'entraîne pas. »

Photo Olivier Jean, La Presse

Melanie Desrochers

Kim Deschênes

L'attaquante de 27 ans en avait assez de travailler de jour, de soir et de nuit, souvent 16 heures d'affilée, en tant que gardienne de sécurité à l'Université de Montréal, afin de pouvoir jouer avec les Canadiennes. En juillet 2016, elle est devenue courtière immobilière et s'est jointe à Via Capitale Rive-Nord. « Selon la saison, je travaille 70, 40 ou 30 heures par semaine, explique-t-elle. En étant mon propre patron, c'est plus facile de faire mon horaire. Mais compte tenu des visites et des inspections, ce n'est pas évident de trouver un équilibre. »

Avec le retour des olympiennes la saison prochaine, la compétition sera vive pour demeurer dans l'équipe, reconnaît la bachelière de l'Université de Montréal. Elle s'entraîne donc hors glace quatre fois par semaine, une heure et demie par jour, selon les trous dans son horaire.

Ayant contribué à mettre sur pied le Programme sport-études hockey féminin Laurentides à l'école Saint-Gabriel, avec Ann-Sophie Bettez et Caroline Ouellette, elle pourrait donner un coup de main quelques fois dans certains camps de hockey, cet été. Mais elle veut aussi se reposer.

« Je prends du temps pour moi, pour être plus performante. En vieillissant, ma famille devient plus chère à mes yeux. Ma soeur va accoucher en août, au Nouveau-Brunswick. Je vais y aller, mon horaire est planifié en conséquence. »

Surtout, elle veut en profiter pour s'entraîner beaucoup, afin d'être prête quand la saison débutera.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Kim Deschênes

Ann-Sophie Bettez

L'attaquante de 30 ans, finaliste pour le titre de joueuse la plus utile à son équipe, travaille depuis bientôt cinq ans en tant que planificatrice financière. Elle met à profit ses études en administration à l'Université McGill, où elle a fait une triple concentration en marketing, ressources humaines et entrepreneuriat. Afin de jouer une cinquième année dans le circuit universitaire, elle a ajouté un certificat en relations publiques à son arc.

« J'ai toujours été passionnée par l'enseignement, explique celle qui fut la capitaine par intérim des Canadiennes, la saison dernière. Au niveau de la planification financière, il y a beaucoup de choses méconnues, qu'il faut expliquer. »

Elle a choisi de travailler au sein de l'institution financière Groupe Investors, où elle détient le statut de travailleuse autonome. « Cela concorde avec mon mode de vie, explique-t-elle. Je peux avoir un horaire flexible. »

En février, elle s'est jointe à une équipe, au Faubourg Boisbriand, afin de pouvoir mieux concentrer ses énergies. Après avoir pris une pause, à la fin de la saison, elle se remet à l'entraînement dans un gym, respectant un cycle de quatre jours par semaine, avec des exercices différents. « Je ne peux pas dire que j'adore courir pendant 30 minutes, avoue-t-elle. Je m'entraîne parce que cela me permet d'être en forme. J'aime comment je me sens une fois que c'est fini ! »

Photo François Roy, La Presse

Anne-Sophie Bettez