Lorsque son fils Patrick avait 10 ans, John O'Sullivan, Crazy John pour les intimes, pouvait le brûler avec une cigarette ou l'étouffer à deux mains dans l'auto s'il n'était pas satisfait de son match.

Les sévices étaient presque devenus normaux pour le garçon puisque les corrections avaient commencé alors qu'il n'avait que 5 ans, dès ses premiers coups de patin, en fait.

Des milliers de coupures et d'ecchymoses plus tard, Patrick O'Sullivan a atteint la LNH. Choix de deuxième tour du Wild du Minnesota en 2003, il a même connu une saison de 22 buts et 53 points avec les Kings de Los Angeles en 2007-2008.

Retraité depuis trois ans de la LNH, il raconte dans un langage franc et direct un récit parfois insoutenable, pour sensibiliser les gens aux agressions envers les jeunes hockeyeurs.

«Il me lançait des coups de poing. Pas comme s'il frappait un enfant, mais comme s'il était impliqué dans une bagarre avec un autre adulte», écrit-il dans un texte publié sur le site theplayerstribune.com.

«Mon père me réveillait à cinq heures du matin pour que je m'entraîne avant l'école. S'il n'était pas satisfait de mes efforts, il utilisait la corde dont je me servais pour les exercices, me demandait de retirer mon chandail et me fouettait avec celle-ci. Si ça n'était pas la corde, c'était un fil électrique. Parfois, il s'introduisait dans ma chambre au milieu de la nuit pour me battre sans raison. Une bonne journée pour moi signifiait une raclée normale.»

Patrick O'Sullivan se demande pourquoi un père peut agir ainsi envers son fils. Il a compris avec les années que, dans sa démence, John O'Sullivan avait un plan. «Tout était justifié pour lui. Ces traitements allaient me permettre de m'améliorer comme joueur et éventuellement atteindre la LNH.»

Tout le monde «savait»

Cet ancien hockeyeur, aujourd'hui âgé de 30 ans, se demande aussi, surtout, pourquoi personne de son entourage n'a arrêté son père, alors que tout le monde «savait».

«J'entrais dans le vestiaire avec des coupures et des ecchymoses, ils voyaient mon père frapper dans la baie vitrée, gueuler et se battre avec d'autres parents, mais tout ce qu'on me demandait, c'est si j'étais correct. Et je répondais que oui. Personne n'a appelé la police, personne ne l'a affronté. C'était la même chose à la maison. Ma mère me suppliait, inquiète, de bien jouer pendant le match pour éviter la colère de mon père.

«Le pire, ajoute-t-il, c'est que mes succès sur la glace donnaient raison à mon père, poursuit ce premier choix au total dans la Ligue junior de l'Ontario. Les gens se disaient sans doute qu'il était fou, mais que ça rapportait des dividendes. Mais il n'avait rien à voir avec mes succès. Quand j'étais sur la glace, j'étais libre, c'est le seul endroit où il ne pouvait pas me toucher...»

Les agressions ont continué dans les rangs juniors, à Mississauga. Un soir que son père l'a extirpé de l'autobus dans lequel il était avec ses coéquipiers, une violente bagarre a suivi. O'Sullivan se rebellait pour la première fois. À 16 ans. La police a arrêté le père, et la Cour lui a ordonné de ne pas s'approcher à moins de 100 pieds de son fils. John O'Sullivan a éventuellement plaidé coupable à des accusations de voies de fait et été condamné à 30 jours de prison.

Par la suite, il a néanmoins continué d'assister aux matchs de son garçon. «Une équipe de sécurité mandatée par la LNH m'accompagnait lors du repêchage. Il s'est assis à un endroit d'où je pouvais le voir. Quand j'ai endossé le chandail du Wild sur l'estrade, je savais qu'il pouvait me voir et j'en étais furieux. Pas à cause de toute la souffrance qu'il m'avait causée, mais parce que je savais que ma sélection validait à ses yeux ses méthodes cruelles.

«Il n'y était pourtant pour rien. Quand on atteint les rangs professionnels, on réalise que ce ne sont pas les haltères soulevés ou les séances de course à pied de 10 km après un match qui font la différence, mais votre compréhension du jeu. Tu l'as ou tu ne l'as pas. Engueuler son enfant dans l'auto en route pour l'aréna ne l'aidera pas à se transformer en Jonathan Toews. On s'améliore en s'amusant et en usant de sa créativité sur la glace. Drew Doughty pouvait faire à peine une répétition sur le bench press, mais une fois sur la glace, il nous écrasait tous. Il était en forme pour le hockey.»

O'Sullivan, qui a aussi publié un livre sur sa vie, espère que les gens saisiront le message. «Je n'écris pas ce texte pour mon père, mais pour les gens «du stationnement». Ceux qui n'ont rien fait, qui ont craint une scène devant les autres parents, qui ont craint de devoir faire une déposition à la police.

«Ce que vous voyez dans un stationnement de la part d'un père violent n'est que la pointe de l'iceberg. L'enfant est prisonnier dans sa propre maison. C'est drôle parce qu'on évoque souvent le courage dans le milieu du hockey. Le courage de dénoncer les agressions est beaucoup plus difficile que de se battre ou de bloquer un tir. Je suis convaincu que des centaines d'enfants en Amérique du Nord s'habilleront terrifiés ce week-end, l'estomac en boule, parce que s'ils ne sont pas à la hauteur, ça ira mal.»

Patrick O'Sullivan vit en Floride avec sa femme et ses deux fils. Il tente de panser ses plaies.

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