Des enfants qui perdent match après match. Des petites associations de hockey qui peinent à rivaliser. À Saint-Lin-Laurentides comme dans d'autres municipalités au Québec, le hockey mineur est avant tout une affaire de défaites. De génération en génération.

La gardienne tape sur la glace avec son large bâton dans un signe de frustration. Fin de deuxième période. Les visiteurs viennent de faire 3-3. Tommy, 12 ans, s'approche d'elle. Puis il fait ce qu'il a vu cent fois à la télé: il lui donne un coup amical sur les jambières. Il lui dit de ne pas lâcher.

Perdre ce match serait bête. Les Gaulois de Saint-Lin-Laurentides menaient 3-0 en début de deuxième. À un moment, un joueur plus âgé est entré dans l'aréna et a écarquillé les yeux: «Tabarnouche, Saint-Lin mène 3-0!» Il avait du mal à le croire.

Mais tout a fini par rentrer dans l'ordre. L'équipe pee-wee CC de Saint-Jérôme est revenue avec trois buts rapides. «Ils sont dix fois plus grands et plus gros», se désolait une mère dans les gradins.

Saint-Jérôme l'a finalement emporté en fusillade. Les petits Gaulois de 11 et 12 ans sont sortis de la glace avec une défaite de plus à leur fiche et un air de déception sur le visage. Dur de perdre quand on menait 3-0. Mais c'était au moins un match serré.

Cette saison, l'équipe pee-wee CC de Saint-Lin-Laurentides n'a pas tout le temps disputé des matchs serrés. Elle a été écrasée par des pointages de 9-0, 8-0, 7-0, 6-0, 9-1... Les Gaulois ont gagné en tout et pour tout un match. Ils en ont perdu 24.

«Je trouve ça plate de perdre tout le temps comme ça, s'est désolé Tommy après le match. On se fait niaiser. Y a des joueurs des autres équipes qui nous traitent de pas bons.»

À Saint-Lin-Laurentides, l'équipe pee-wee CC n'est pas la seule. Dans cette petite municipalité de Lanaudière, à moins d'une heure de Montréal, la défaite est le lot de toutes les équipes, à toutes les catégories et depuis des années.

Au Québec, une poignée d'associations se trouvent dans cette situation. Elles sont trop petites pour rivaliser avec leurs voisines. Mais Hockey Québec leur demande néanmoins de former des équipes double lettre, un meilleur calibre que le simple lettre. Résultat? Les jeunes perdent année après année.

«Nos enfants sont tellement habitués de perdre que ce n'est pas juste une job de coach qu'on a, mais aussi une job de vendeur, raconte Michel Bertrand, entraîneur des Gaulois pee-wee CC. Il faut leur vendre l'idée qu'ils sont capables de gagner. Il faut leur vendre l'idée qu'ils sont bons eux aussi. Des fois, c'est dur.»



David contre Goliath

Stéphane Huard a deux fils qui ont joué au hockey à Saint-Lin-Laurentides. Quand son plus vieux a enfilé le chandail des Gaulois pour la première fois, il ne savait rien des déboires de la petite association.

Il a vite mesuré l'ampleur du problème quand il s'est retrouvé entraîneur de l'équipe atome A. «C'était terrible, terrible. On avait commencé la saison avec des défaites de 19-0 et 17-0. Pour moi, c'était une surprise», raconte celui qui est aujourd'hui directeur des opérations hockey de l'association.

«Ça a écoeuré les jeunes. Mon plus vieux a lâché le hockey à sa première année midget. Il était devenu agressif, explique M. Huard. À force de perdre, il voulait tout le temps se battre. Il ne lui restait que ça.»

Le problème des équipes de Saint-Lin-Laurentides est simple: "On est à peine 300 joueurs et on est entourés de grandes associations. Il y a Terrebonne, Blainville, Mirabel", illustre Stéphane Huard.

«Souvent, on entend des gens dire: "Vous autres à Saint-Lin, c'est tout croche." C'est faux. On a des directeurs techniques, la MAGH pratique deux fois par semaine alors qu'ailleurs, souvent c'est une fois. J'ai des entraîneurs qui ont joué junior majeur. C'est du bon monde. C'est plein de bonne volonté, dit-il. Le problème n'est pas là. Le problème, c'est que sur un champ de bataille, la plus grosse armée va tout le temps écraser la plus petite.»

Dans un monde idéal, les Gaulois aimeraient ne pas devoir former d'équipes double lettre. Il n'y a tout simplement pas assez de bons joueurs à Saint-Lin-Laurentides pour faire des équipes de ce calibre dans l'atome, le pee-wee, le bantam et le midget.

«Dans le pee-wee CC, il y a au moins la moitié de l'équipe qui n'a pas d'affaire là, lance le père d'un joueur, Denis Allard. Ce n'est pas la faute des jeunes. On les encourage. Sauf que tous les parents le savent.»

Les Gaulois sont forcés de former des équipes de ce calibre. La fédération québécoise de hockey a des barèmes clairs. Une association qui a entre 35 et 85 joueurs pee-wee doit obligatoirement avoir une équipe CC; une association avec plus de 85 joueurs de cette catégorie doit avoir une équipe BB, etc.



Photo François Roy, La Presse

L'entraîneur Michel Bertrand parle à ses joueurs pendant un arrêt de jeu.

Avec philosophie

Les Gaulois de Saint-Lin-Laurentides ont essayé de se jumeler à des associations voisines pour former ses équipes double lettre dans le passé. Mais cette année, aucune n'a voulu. L'association a donc demandé des dérogations pour abaisser de calibre de quatre de ses équipes.

Hockey Laurentides-Lanaudière a accepté ces demandes, même si elle les avait souvent refusées dans le passé. Les Gaulois entendent en présenter encore cet été pour ne pas être obligés de former des équipes double lettre, en espérant une solution plus permanente. Leurs quelques joueurs véritablement de calibre double lettre iraient jouer dans d'autres associations.

«Ça va toujours prendre un premier et un dernier au classement, fait valoir Valère Dubé, président de la Ligue intercités Laurentides-Lanaudière. Mais c'est vrai que la situation de Saint-Lin est particulière, comme d'autres petites associations au Québec. Ce n'est pas drôle pour les enfants.»

«Parfois, quand les autorités régionales reçoivent une demande de dérogation, elles se disent que l'accepter peut créer un précédent, que les autres équipes vont en faire aussi, ajoute-t-il. Mais je peux vous assurer que si les gens de Saint-Lin nous font des demandes la saison prochaine, je vais les soutenir.»

En attendant, les Gaulois font de leur mieux pour tenir le fort. L'équipe a créé un chandail spécial pour le double lettre, afin d'attirer les jeunes: ceux-ci préféraient rester dans le simple lettre pour ne pas se faire «rincer» à répétition.

«Il y a de moins en moins de jeunes qui jouent au hockey à Saint-Lin, déplore l'entraîneur Michel Bertrand. Pourquoi? Parce que les jeunes ont quatre ou cinq victoires en trois saisons. Alors, ils vont faire du ski. C'est plate, parce que le hockey, c'est le plus beau sport au monde.»

Roxanne Smith a deux fils qui jouent avec les Gaulois. Son plus vieux, Isaac, était sur la glace dans la défaite contre Saint-Jérôme. Dans toutes ses années dans le hockey mineur, Isaac n'a jamais connu une saison compétitive.

«On essaye de les outiller pour l'avenir, de leur apprendre à vivre des défaites dans la vie. Mais ma peur en tant que mère, c'est qu'il lâche le hockey pour, je ne sais pas, aller chiller au parc. Pourquoi aller à l'aréna, puisqu'il sait qu'il va perdre?», se demande la mère de famille.

Après la défaite, la énième de sa jeune carrière, Isaac s'assoit avec le représentant de La Presse. «Ta première entrevue!», lui lance sa mère, un sourire en coin.

Le garçon de 11 ans admet que «c'est plate» de perdre tout le temps. Mais il prend la situation avec philosophie. «C'est vrai que des fois, c'est difficile, dit Isaac. Mais le point positif, c'est que comme on ne gagne jamais, quand ça arrive, c'est vraiment plus savoureux.»

Isaac n'a pas goûté à la victoire en ce soir de février, à Saint-Lin. Mais les Gaulois ne désespèrent pas. Ils courent toujours derrière leur deuxième victoire de la saison. Elle n'arrivera probablement pas, mais si elle vient, Isaac sait qu'elle sera doublement savoureuse.

Photo François Roy, La Presse

Les joueurs des Gaulois de Saint-Lin-Laurentides reçoivent les encouragements de leurs parents.