Guy Lapointe visualise le moment où la bannière à son nom sera hissée dans les hauteurs du Centre Bell depuis que le Canadien lui a annoncé la nouvelle. Il sait qu'il pensera d'abord à son père, Gérard, qui l'a convaincu de tenter sa chance au hockey. Ses pensées se porteront ensuite vers ses anciens coéquipiers ainsi que celui qu'il considère comme son mentor, Claude Ruel. Accompagné des membres de sa famille, de son épouse Louise et de leurs trois enfants, ce boute-en-train qu'on appelle «Pointu» s'attend à être fort émotif.

«Il n'y a pas une journée que ça ne me trotte pas dans la tête depuis que Geoff Molson (le propriétaire du Canadien) est venu m'apprendre la nouvelle (en juin)», affirme Lapointe, qui multiplie les entrevues depuis lundi.

La cérémonie du 18e retrait de chandail de l'histoire du Canadien, samedi, marquera la consécration attendue du redoutable «Big Three» - encore à ce jour le plus grand trio de défenseurs jamais regroupé au sein d'une équipe. Le numéro 5 de Lapointe ira donc s'insérer entre les numéros 18 et 19 de Serge Savard et de Larry Robinson, respectivement, qui ont été retirés en 2006 et en 2007. Mieux vaut tard que jamais...

«Je suis heureux qu'on lui rende cet hommage de son vivant», souligne un de ses anciens coéquipiers Yvan Cournoyer, qui sera de la fête en compagnie des Savard, Robinson, Réjean Houle, Pierre Bouchard, Pierre Mondou, Yvon Lambert, Mario Tremblay et autres.

«Il a été un joueur exceptionnel et une formidable personne», ajoute Cournoyer.

La cérémonie se mettra en branle à 18h30, une demi-heure avant le début de l'affrontement contre le Wild du Minnesota. Lapointe oeuvre chez le Wild à titre de recruteur depuis septembre 1999.

Pour être passé par là en 2005, Cournoyer sait combien la soirée sera mémorable pour Lapointe.

«C'est mieux encore qu'une soirée d'intronisation au Temple de la renommée, opine-t-il. C'est tout un honneur quand on pense à tous les joueurs qui ont porté le chandail du Canadien depuis plus de 100 ans. Quand on fait monter la bannière, c'est toute votre vie et votre carrière que vous voyez défiler. Vous vous dites que tous les sacrifices faits, toutes ces blessures et ces cicatrices, ont valu le coût. Et que vous seriez prêt à tout recommencer.»

Dans l'ombre de Orr

Lapointe a été un défenseur à caractère offensif qui a évolué dans l'ombre de Bobby Orr dans les années 1970.

«Quand «Pointu» décidait d'appuyer l'attaque, il y allait pas à peu près. C'était: "Tassez-vous de là", dit Réjean Houle. Il possédait toute une accélération et un puissant lancer.»

Dire qu'à l'adolescence le Montréalais maintenant âgé de 66 ans ne s'estimait pas suffisamment talentueux et qu'il a failli faire fi de la recommandation de son père qui lui suggérait de privilégier le hockey au métier de policier ou de pompier qu'il désirait exercer.

À ses débuts dans la LNH en 1970-71, Lapointe a pu côtoyer son idole de jeunesse, Jean Béliveau, qui en était à ses derniers milles. Il cite d'ailleurs son premier match dans la LNH comme son plus beau souvenir, en raison de toute l'admiration qu'il vouait à Béliveau.

Lapointe s'est mis en évidence dès sa première saison en réussissant 15 buts, une marque à l'époque pour un défenseur recrue. Au terme des séries éliminatoires, il allait savourer la première de ses six conquêtes de la coupe Stanley. En 1974-75, il a établi un record d'équipe de 28 buts pour un défenseur, record qui ne sera pas éclipsé de sitôt.

«Il n'avait pas de lacunes, l'encense Serge Savard. Il était très bon offensivement, mais aussi défensivement.»

Au final, Lapointe a disputé 777 de ses 894 matchs dans la LNH dans l'uniforme bleu-blanc-rouge, marquant 166 buts en plus d'ajouter 406 aides pour 572 points. Il a connu sa meilleure saison en 1976-77, avec une production de 25 buts et de 51 mentions d'assistance pour 76 points.

Il a porté son total à 622 points en carrière, incluant 171 buts, après des passages chez les Blues de St. Louis (1981-83) et les Bruins de Boston (1983-84). Il n'avait pas froid aux yeux non plus, comme en fait foi son total de 893 minutes de pénalités.

En séries, il a joué 112 matchs avec le Tricolore, obtenant 25 buts en plus d'ajouter 43 aides.

Le grand-père de six petits-enfants a également pris part à la Série du Siècle de 1972, en formant un duo avec Savard qui a aidé le Canada à venir à bout de l'Union soviétique. Il a été intronisé au Temple de la renommée en 1993.

Plaisantin par excellence

Lapointe s'est rendu célèbre et très populaire auprès de ses coéquipiers grâce aux coups pendables qu'il leur a joués par dizaines.

Lacets de patins coupés, sous-vêtements découpés, dentier subtilisé et retourné par la poste, crème à barbe dans des patins, ketchup dans des souliers au resto, vaseline dans les pare-brise d'autos, rien n'était à l'épreuve de ce plaisantin par excellence et tout le monde y goûtait.

«C'est un roger-bontemps. Il aime avoir du plaisir et répandre la joie de vivre autour de lui», mentionne Houle.

Pour une fois samedi, ses vieux potes n'auront pas à être sur leurs gardes. Quoique vaut mieux être toujours être aux aguets quand il est dans les parages. Le joyeux drille ne s'est pas complètement assagi. Dernièrement encore, il a sévi. L'anecdote est d'Yvan Cournoyer:

«Il a contacté Yvon Lambert après qu'on ait appris qu'il avait perdu une bague de la Coupe Stanley, l'été dernier. Il a changé sa voix pour se faire passer pour quelqu'un d'autre. Il lui a fait accroire qu'il avait retrouvé sa bague et il lui demandait un bon montant d'argent pour la ravoir.»

Aussi détestable pouvait-il être à l'époque, il ne franchissait pas les limites du bon goût. Aucune de ses victimes ne lui tenait rigueur pendant longtemps.

«Tout le monde aimait Guy. Jamais personne n'a dit du mal de lui, avance Cournoyer. Il détendait l'atmosphère. Et quand les joueurs ont du plaisir à se présenter à l'aréna, ça ne peut que mieux aller sur la glace. Ç'a été notre cas pendant toutes ces années.»

Lapointe appréciait au plus haut point l'esprit de camaradie qui existait au sein du groupe.

«J'ai connu une carrière magique et je me considère chanceux d'avoir toujours été bien entouré», résume-t-il.