Le mois dernier, la Fédération internationale de hockey sur glace annonçait qu'elle permettait à la Corée du Sud de participer au tournoi des Jeux d'hiver de 2018, à Pyeongchang. Au nom du développement du sport, a-t-on dit. Le défi consiste maintenant à présenter un club qui ne se fera pas rosser 15-0 à la première occasion, pour préserver l'intégrité du tournoi.

«As-tu un plan pour moi?»

Jim Paek n'a visiblement pas peur des défis. Car c'est bel et bien ce qu'il a devant lui, en tant qu'entraîneur-chef de l'équipe de hockey de la Corée du Sud, qui participera aux prochains Jeux olympiques.

Que les joueurs de la LNH y soient ou non, les Sud-Coréens devront entretenir des attentes modestes. Dans un pays qui compte, selon le dernier rapport de la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG), 109 joueurs d'âge senior et 38 arénas, le hockey y est aussi populaire que le boulingrin par ici. Au dernier classement de la FIHG, la Corée du Sud se retrouvait au 23e rang mondial, derrière des pays tels que l'Italie, le Japon et l'Angleterre...

Alors, la question: que fait-on pour bâtir une équipe quand on part de zéro?

«As-tu un plan pour moi?, lance Paek à la blague, au bout du fil. J'ai certaines idées de base: changer la structure, le système, donc j'espère que les joueurs pourront s'adapter. On espère compter assez de vétérans pour aider les plus jeunes à se développer. On doit trouver de la bonne compétition internationale pour élever le niveau de jeu et voir ce qu'il nous faut pour être dans le top 16 mondial.»

Avis de recherche

Les figures coréennes de hockey sont rarissimes. Paek est l'unique joueur né dans ce pays à avoir atteint la LNH. Né à Séoul, mais élevé au Canada, il a disputé 217 matchs dans le circuit et portait les couleurs des Penguins quand ces derniers ont remporté deux Coupes Stanley de suite, en 1991 et 1992. Il a ensuite été entraîneur adjoint dans la Ligue américaine pendant neuf saisons, toutes chez les Griffins de Grand Rapids.

Par la suite, ça se complique. Il estime à 60 ou 70 le nombre de joueurs parmi lesquels il peut piger pour sa sélection. Ces joueurs évoluent principalement dans la Ligue asiatique, un circuit de neuf équipes, dont trois sont en Corée. L'une d'elles est réservée aux membres de l'armée sud-coréenne.

«Et quelques joueurs en Amérique du Nord détiennent un passeport sud-coréen. On doit les retrouver. Au moins, ils sont faciles à repérer, car le mot se passe. Mais il n'y en a pas beaucoup», rappelle Paek.

Le choc culturel

En plus du défi d'assembler une équipe, Paek devra trouver une façon de communiquer avec ses joueurs. Même si ses parents sont coréens, il ne maîtrise pas vraiment leur langue.

«Je ne le parle pas couramment, admet-il. Je parle ce que j'appelle le "konglish". Je parle aussi un peu le français, grâce notamment aux enseignements de Mario Lemieux! Mais je comprends un peu le coréen. Seulement, quand j'essaie de le parler, je me mélange. J'aimerais mieux le parler.»

Et le choc culturel excède la simple barrière de la langue. Dave King est bien placé pour en parler, lui qui a dirigé l'équipe japonaise aux Jeux de Nagano en 1998.

«À l'époque, je regardais un entraînement du Japon et je remarquais que c'était toujours le même joueur qui tirait au but, raconte King, un ancien adjoint chez le Canadien, aujourd'hui consultant pour les Coyotes de Phoenix. J'ai arrêté le jeu et j'ai demandé à l'interprète de demander aux joueurs une explication. En fait, c'était toujours le plus vieux joueur qui tirait au but. Quand il y avait des temps d'arrêt, les plus jeunes allaient chercher de l'eau pour les plus vieux. C'est le principe du senpai-kohai.

«Je leur ai dit: conservez votre culture dans la vie de tous les jours, mais pas au hockey! Je ne connais pas les nuances de la culture coréenne, mais Jim devra s'y habituer. Travailler dans une autre culture, c'était le plus grand choc.»

Un autre exemple: la dimension physique du hockey.

«Ils ne jouaient pas avec la même intensité physique. Cette mentalité était le plus grand problème», se souvient King.

«On a tenté de changer cette mentalité en invitant Tony Fasano, qui était alors l'entraîneur-chef de l'équipe de football des Dinos de l'Université de Calgary. Pendant huit jours, on a fait des exercices de plaqués au football, hors glace. Nos joueurs devaient s'habituer à donner et à recevoir des coups. On a vite réalisé qu'on se faisait bousculer, donc on leur a enseigné des techniques et on les a appliquées sur la glace.»

«Les joueurs comprenaient pourquoi on faisait ça. Nous n'étions toujours pas robustes, mais nous avons resserré l'écart avec les autres pays.»

Finalement, les efforts de King n'auront pas été vains. Son équipe a arraché une nulle et même une victoire aux Jeux de Nagano, respectivement contre la Biélorussie et l'Autriche. Le hic, c'est que les effets n'ont guère duré, si bien qu'aujourd'hui, les Nippons pointent au 21e rang mondial.

«Je dois parler à Dave King pour savoir ce qu'il a fait avec le Japon pour qu'ils connaissent du succès, et les raisons pour lesquelles le hockey n'a pas grandi par la suite, explique Paek. Je crois que l'économie y est pour quelque chose. Mais mon travail est de bâtir pour 10-20 ans, et d'éviter que le hockey coréen ne décline au lendemain des Jeux.»

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Changer de nationalité pour vivre un rêve

L'histoire sportive récente est ponctuée d'exemples d'athlètes qui ont trouvé une terre d'accueil pour pratiquer leur sport au plus haut niveau et vivre le rêve olympique.

Aux Jeux de Sotchi, le patineur coréen Viktor Ahn et le planchiste américain Vic Wild ont représenté la Russie. Les deux ne se sont pas contentés de simplement participer; Ahn a ramené quatre médailles, Wild, deux.

L'équipe sud-coréenne de hockey sur glace pourrait vivre un tel phénomène aux Jeux de Pyeongchang, en 2018. Dans un pays à la tradition de hockey pratiquement inexistante, des joueurs d'autres pays pourraient profiter de l'occasion pour vivre le rêve olympique.

Jim Paek, entraîneur-chef de l'équipe coréenne, a déjà trouvé trois «transfuges»: Brock Radunske, Michael Swift et Bryan Young. «Ils jouent en Corée depuis quelques années. Ils sont bien intégrés à la société sud-coréenne», explique-t-il.

À Nagano, en 1998, l'équipe japonaise comptait sur quelques-uns de ces joueurs nés au Canada, notamment le gardien Dusty Imoo et l'ancien choix de deuxième tour du Canadien Ryan Kuwabara.

Un Québécois qui y pensait

Quand la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG) a annoncé qu'elle autorisait la Corée du Sud à participer au tournoi olympique de 2018, Paek a vite reçu un courriel de Francis Paré. «Il me disait qu'il voulait devenir coréen!», raconte Paek.

C'est qu'en tant qu'entraîneur adjoint pendant neuf saisons chez les Griffins de Grand Rapids, dans la Ligue américaine, Paek a dirigé Paré, ancien espoir des Red Wings de Detroit, pendant cinq saisons. Les deux sont restés proches depuis.

Mais l'idée n'est finalement restée qu'un projet, car les obstacles étaient nombreux. Le principal: pour qu'un joueur puisse changer de nationalité, la FIHG exige qu'il soit citoyen du pays, qu'il y vive et qu'il ait joué au moins deux saisons de suite dans ledit pays (quatre saisons pour les joueurs qui ont déjà représenté un autre pays sur la scène internationale).

Pour Paré, cela signifierait donc de résilier le contrat qui le lie au Metallurg de Magnitogorsk, en KHL, jusqu'en 2016, pour aller jouer dans la Ligue asiatique, où les foules s'élevaient en moyenne à 956 spectateurs par match en 2013-2014, selon un rapport de la FIHG. «Ce serait du délire», mentionne Paré.

La variable inconnue

À cela s'ajoute une autre variable dans l'équation: la présence ou non des joueurs de la LNH aux JO. Pour des Canadiens établis outre-mer comme Paré, la question est cruciale, d'autant plus que le récent retrait de la candidature d'Oslo pour les Jeux de 2022 fait croire à plusieurs que la perspective de tenir deux fois de suite des Jeux olympiques en Asie n'est pas le scénario idéal. Et si la LNH n'y allait pas?

«Quand tu enlèves ces gars-là d'Équipe Canada, ça pourrait me donner une chance, reconnaît Paré. Mais c'est tellement loin. Je veux me concentrer sur ce que je fais ici. Mais si ça va bien et que mon rêve le plus fou se réalise, pourquoi pas! Il faut rêver grand dans la vie et avoir de grands objectifs. Mais en ce moment, je joue quand même dans la deuxième ligue au monde et je m'en tire bien.»

Photo fournie par Mark Newman

Francis Paré a considéré la possibilité de changer de nationalité pour aller aux Jeux olympiques. Mais une telle décision impliquerait de laisser tomber son contrat dans la Ligue continentale, en Russie.