Dix ans déjà. Dix ans que le propriétaire de l'équipe à l'époque, George Gillett, a placé son directeur général André Savard sur une tablette au profit de Bob Gainey. Celui-ci devait mener le Canadien à la terre promise. Il a quitté l'équipe en laissant un sentiment d'inachevé. Sans parler de l'échange de Ryan McDonagh pour Scott Gomez, que les fans avalent toujours de travers.

Dix ans plus tard, André Savard accepte-t-il mieux qu'on lui ait retiré le privilège de faire ce qu'il aimait le plus au monde? Savard prend une longue pause. Question, sans doute, de bien peser ses mots. «La seule chose que je peux répondre, c'est que je crois avoir sorti Montréal du trouble. Je regarde Edmonton qui n'arrive pas à s'en sortir. Atlanta et la Floride qui ont eu de la misère à sortir de la cave. Ça peut être très long parfois. Nous étions au 30e et dernier rang quand j'ai accepté le poste. On n'avait pas un gros "line-up". Aujourd'hui ça va bien. Les ventes aux entreprises sont relancées, le bassin des détenteurs de billets de saison s'est élargi. Mais à l'époque, laissez-moi vous dire qu'il y avait des gens inquiets au sein de l'organisation. On a participé aux séries éliminatoires dès l'année suivante [en 2002], on a éliminé Boston, et c'est à ce moment-là que l'engouement est revenu.»

Pour la première fois depuis des lustres, André Savard ne travaille pas pour un club de la LNH cet automne. Il a quitté les Penguins de Pittsburgh cet été et accepté un contrat d'analyste avec RDS. «Je faisais du recrutement dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec et c'était devenu difficile ces dernières années de "vendre" des joueurs québécois. J'avais parfois l'impression de travailler pour rien. Ils ont leur façon de faire et travaillent avec des listes étroites d'espoirs. Ils ont leurs critères. J'essayais de les convaincre de mettre Anthony Mantha sur leur liste, mais ils trouvaient qu'il manquait de caractère. J'ai préféré me retirer cet été. Je ne ferme aucune porte pour l'avenir.»

Il dit avoir vécu les moments les plus satisfaisants de sa carrière à titre de DG du Canadien et il a le sentiment du devoir accompli.

Le Canadien d'aujourd'hui est à des années-lumière de la formation de la saison 1999-2000, vidé de son talent et de sa banque d'espoirs. «Marc Bergevin a reçu le plus bel héritage», a-t-il confié la semaine dernière.

Savard a dû colmater les brèches avec des joueurs autonomes puisque les Éric Chouinard, Éric Houde, Jason Ward, Matt Higgins, Terry Ryan et Alexander Buturlin n'étaient pas outillés pour prendre la relève. «La clef de la relance était d'acquérir des joueurs autonomes en attendant que les jeunes se développent. Mais l'âge de l'autonomie complète était fixé à 31 ans à l'époque, c'était plus difficile, rappelle Savard. On a embauché Yanic Perreault, Joé Juneau, Stéphane Quintal. Puis, Saku a eu le cancer. Tu fais quoi? On a approché l'agent de Doug Gilmour. Il avait le choix entre Ottawa et nous. Il voulait jouer au centre. J'ai dit à notre entraîneur Michel Therrien, qui en était à son premier passage à Montréal, de le faire jouer au centre et de bien lui vendre sa salade. Les premiers mois ont été difficiles. Il avait mal au dos. Il a même voulu arrêter. On a réussi à le convaincre de prendre une pause et de revenir en pleine forme. Ce qu'il a fait. Il nous a rendu de grands services.»

Le Canadien n'aurait sans doute jamais éliminé les Bruins de Boston ce printemps 2002 si Savard avait cédé à la pression populaire et congédié Michel Therrien. «Après un match où nous avions été complètement déclassés par les Bruins en novembre, je me suis retrouvé dans l'ascenseur avec des joueurs et j'ai vu que la défaite ne les dérangeait pas. J'ai fait venir Michel à mon bureau. Il s'attendait à ce que je lui annonce son congédiement. Je lui ai plutôt offert une prolongation de contrat en lui disant qu'il n'allait pas diriger ce club avec un contrat à échéance dans quelques mois et qu'il pouvait brasser s'il avait à brasser...»

André Savard a aussi résisté à la tentation d'échanger José Théodore et quelques joueurs importants pour obtenir le premier choix des Thrashers d'Atlanta. Théodore a permis au Tricolore d'accéder aux séries et d'éliminer les Bruins. Il a gagné les trophées Hart et Vézina en 2002.

Des paris qui ont raté

Michel Therrien avait déjà été congédié au profit de Claude Julien lorsque Savard a été tassé au profit de Bob Gainey. Savard avait repêché Mike Komisarek, Chris Higgins et Alexander Perezhogin en 2001 et 2002, avant de nommer Trevor Timmins au poste de directeur du recrutement en 2003. Ce trio devait constituer la pierre angulaire de la relance. Mais s'en est suivie une période sous l'ère Gainey où les jeunes ont manqué d'encadrement et où la fête rognait un peu trop de place à l'entraînement. Higgins, après une prometteuse saison de 27 buts, s'est effacé.

«Higgins a manqué de maturité. Mais il s'est repris en main et il joue encore au sein d'un deuxième trio à Vancouver aujourd'hui. Perezhogin est ma plus grande déception. Il était dominant dans la Ligue américaine jusqu'à ce qu'il reçoive cette suspension [d'un an] pour coup de bâton. Il méritait une suspension, mais pas aussi longue. Il se défendait. Il n'a plus été le même par la suite. Komisarek a été victime d'un changement de règlements en 2004 qui a mis un frein à l'obstruction. Il n'a pu s'ajuster.»

Savard est demeuré dans l'organisation pendant quelques saisons dans un rôle secondaire et Timmins a repêché les joueurs qui allaient constituer la formidable fondation de l'équipe actuelle, les Carey Price, P. K. Subban et Max Pacioretty. «Est-ce que j'ai été assez récompensé pour avoir sorti cette organisation du trouble? Je vais me contenter de laisser un point d'interrogation», conclut-il.