L'incident a eu lieu il y a plus de 10 ans; il a suscité le dégoût même chez les partisans de hockey les plus endurcis et il a fait couler beaucoup d'encre. Mais mardi, l'annonce d'un règlement à l'amiable entre Todd Bertuzzi et Steve Moore a été accueillie par un silence assourdissant.

La Ligue nationale de hockey s'est contentée d'une phrase de circonstance. «Nous sommes contents que le règlement de cette affaire permette aux parties de tourner la page», a simplement dit le commissaire adjoint Bill Daly. L'Avalanche du Colorado, équipe pour laquelle évoluait Moore lors du coup fatal, a également joué de prudence. «Personne ne va commenter au nom de l'équipe, puisque ça relève d'une question judiciaire», a dit un porte-parole.

La nouvelle a été accueillie par le monde du hockey comme un vieux parent éloigné qui vous rend visite à l'improviste par une belle journée d'été.

Comme les choses ont changé depuis ce mois de mars 2004! À l'époque, plusieurs acteurs importants de la LNH pensaient que l'image de Moore étendu sur la glace, inerte, était si puissante qu'elle changerait à elle seule la culture de violence au hockey.

«Il est temps de poser les vraies questions, avait déclaré Ken Hitchcock, alors entraîneur-chef des Flyers de Philadelphie. Comment en est-on rendus là? C'est le temps de se poser cette question avant tout.»

Mais le hockey a vite oublié Steve Moore qui, le 8 mars 2004, a disputé son dernier match dans la LNH.

Quelques semaines plus tôt, il avait blessé le capitaine des Canucks de Vancouver, Markus Naslund. Le coup n'avait pas entraîné de pénalité. Mais Naslund était la vedette des Canucks, et la tête de Moore a été mise à prix.

Le 8 mars, donc, les deux équipes se retrouvaient. Au milieu de la troisième période, Bertuzzi a invité Moore à se battre. Devant son refus, il l'a tout bonnement frappé derrière la tête. Moore s'est effondré. Il est resté étendu sur la glace pendant dix minutes, inconscient, avec trois vertèbres fracturées, avant d'être sorti sur une civière.

Deux ans plus tard, il a poursuivi Bertuzzi pour 38 millions de dollars. Sa carrière dans la LNH était terminée. «Je n'ai presque plus de symptômes de la commotion. Mais les médecins ne me donnent pas le feu vert pour jouer de nouveau dans la ligue», a-t-il dit à l'époque.

Le processus a duré plus de huit ans. Cet été, Moore a bonifié ses demandes à 68 millions. La date de procès était fixée au 8 septembre. Mais finalement, mardi, les parties ont annoncé avoir conclu un règlement à l'amiable.

Une agression

Cette entente tenue secrète ajoute au statut tout à fait anonyme de la nouvelle de mardi. Un procès aurait pu lever le voile sur la culture de la violence au hockey. La divulgation de la somme à payer aurait pu avoir un caractère dissuasif sur les joueurs tentés d'imiter Bertuzzi.

Mais après 10 ans d'attente, le cas Moore-Bertuzzi n'aura finalement pas changé grand-chose: le procès n'a pas eu lieu, et la somme que devra payer Bertuzzi restera secrète.

Selon Dave Ellemberg, chercheur à l'Université de Montréal et spécialiste des commotions cérébrales, le cas de Moore pourrait tout de même avoir un certain écho.

«Ç'a le mérite de faire un peu peur aux gens. Les coups sournois, les bagarres, les gestes illégaux, il y en a dans le hockey mineur, dit-il. Mais il s'agit d'une agression. Si on réalise qu'on peut se faire poursuivre et qu'il y aura des conséquences, ça peut changer la culture du sport.»

Certes. Mais pour «changer la culture du sport», il faudra plutôt attendre l'issue du recours collectif intenté par 200 anciens joueurs victimes de commotion cérébrale contre la LNH.

Pour Moore, l'entente de mardi vient mettre un terme à 10 ans de bataille. Il n'a pas gardé de séquelles importantes du coup. Dans une entrevue récente à la radio, il disait que la principale conséquence de l'incident avait été la fin de sa carrière. «Une chance que j'ai pu vivre un peu de mon rêve par procuration, grâce à la carrière de mon frère Dominic dans la LNH», a-t-il dit.

Bertuzzi, quant à lui, se retrouve sans contrat à la veille de la nouvelle saison. Mardi, il n'a fait aucun commentaire. Mais dans les semaines qui ont suivi l'incident, en 2004, il avait rencontré les médias. «Steve, je veux m'excuser pour ce qui s'est passé sur la glace, a-t-il dit, les larmes aux yeux. Je n'avais aucune intention de te blesser.»