De Brent Bilodeau à Matt Higgins en passant par Brad Brown, le Canadien s'est fabriqué dans les années 90 une belle ribambelle de flops avec ses choix de première ronde.

Mais ces joueurs-là n'ont jamais entaillé les côtés de leur casque avec une lame de rasoir pour qu'un adversaire se blesse pendant un combat. Ils n'ont pas plongé dans la fontaine d'un hôtel vêtus d'un complet. Ils n'ont pas traversé le pays en auto pendant quatre jours (au lieu de prendre l'avion) après avoir été rappelés par le CH.

Et ils ne publient pas ces jours-ci un livre autobiographique intitulé Tales of a First-Round Nothing.

Terry Ryan, lui, a fait tout cela.

Conçu à partir d'un journal de bord qu'il a tenu au fil des années, l'amusant Tales of a First-Round Nothing raconte les pérégrinations de ce Terre-Neuvien que le Canadien avait repêché au huitième rang en 1995. De ses années dans le Junior A jusqu'à ses derniers milles dans une ligue semi-pro où il jouait encore cette année, Ryan relate des anecdotes savoureuses qui démontrent jusqu'où l'ancien espoir était prêt à aller pour dérider ses coéquipiers.

Et l'on comprend vite que ce globe-trotter des ligues mineures n'avait pas tout le sérieux nécessaire pour réussir.

Entre Doan et Iginla

Au repêchage de 1995, le Canadien n'avait d'yeux que pour Shane Doan, sauf que les Jets de Winnipeg lui avaient coupé l'herbe sous le pied avec la septième sélection. Déterminé à sélectionner un attaquant robuste, le CH s'était donc tourné vers Ryan, un ailier des Americans de Tri-Cities.

Un certain Jarome Iginla était toujours disponible à ce moment-là.

Même s'il n'a joué que huit matchs avec le Tricolore et que sa carrière professionnelle a été un échec, Ryan continue de croire, presque 20 ans plus tard, que son rang de sélection était justifié.

«À mon année de repêchage, j'avais marqué 50 buts dans la Ligue de l'Ouest, en plus de me battre 25 fois, a-t-il rappelé lors d'un entretien avec La Presse. J'offrais une combinaison intrigante parce que je pouvais contribuer de plus d'une façon.

«Dans le hockey d'aujourd'hui, mon rang de sélection serait probablement différent. Mais c'était l'époque de la "Legion of Doom" à Philadelphie et la mode était aux attaquants de puissance. Je venais de connaître une saison magique et je savais que je n'allais pas être choisi beaucoup plus tard que ça.»

Photo Frank Gunn, archives PC

Terry Ryan entouré des recruteurs André Boudrias et Doug Robinson lors du repêchage.

En grève

On prévoyait un bel avenir à ce jeune homme qui a entrepris la saison 1996 à Montréal avant d'être retourné dans le junior. L'entraîneur-chef du Canadien à l'époque était Mario Tremblay et son ancien numéro 14 avait été confié à Ryan, ce qui n'est pas peu dire.

À bien y penser, c'est peut-être un Tremblay nouveau genre que le DG de l'époque, Serge Savard, espérait avoir repêché. Un joyeux drille pouvant détendre l'atmosphère, certes, mais surtout un joueur capable de marquer des buts et de mettre son bouillant caractère au service de l'équipe.

Or, Ryan reconnaît que ce côté intempestif l'a mal servi lorsqu'il a refusé de se présenter au camp d'entraînement du Canadien en 1999. Cette erreur lui a coûté cher.

«J'estimais ne pas avoir obtenu une chance honnête de me tailler un poste dans l'équipe, explique-t-il. C'est davantage ma faute que celle de n'importe qui d'autre. Je continue de croire qu'un joueur qui est repêché huitième au total peut se faire donner 200 matchs dans la LNH avant qu'on détermine s'il est de calibre ou non.

«Mais maintenant, je comprends que j'aurais dû avaler ma pilule...»

À l'âge de 19 ans, Ryan a raté presque une saison complète en raison d'une commotion cérébrale.

«Si je n'avais pas eu cette commotion, ça aurait peut-être changé la donne à Montréal», estime l'homme de 37 ans qui travaille aujourd'hui sur le plateau de l'émission Republic of Doyle.

«Les blessures ont joué un rôle énorme dans ma carrière. Je peux encore jouer dans le semi-pro parce que c'est un calendrier de 24 matchs qui n'est pas aussi exigeant, mais à partir de 2001, j'étais trop mal en point pour envisager une carrière dans la LNH.»

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Photo Éric Saint-Pierre, archives La Presse

Terry Ryan a livré un combat contre Grant Ledyard, des Bruins de Boston, lors d'un match préparatoire en 1998. Il n'a disputé qu'un seul match cette saison-là, son dernier dans la LNH.

Therrien n'est pas épargné

Dans son livre, Terry Ryan réserve ses mots les plus percutants à Michel Therrien, qui a été son entraîneur-chef avec les Canadiens de Fredericton, l'ancienne filiale du Tricolore dans la Ligue américaine. En décriant les méthodes qu'utilisait Therrien à l'époque pour «réveiller la bête intérieure», Ryan ne le présente pas sous un jour favorable.

Or, la description de sa relation tendue avec lui place aujourd'hui Ryan dans une position un peu inconfortable.

«Quand j'ai été sollicité pour ce livre, Mike n'était pas encore l'entraîneur du Canadien, précise-t-il. Je ne veux pas que les gens pensent que j'ai ajouté ces trucs-là pour faire de la publicité.

«J'espère qu'à Montréal, le message ne sera pas interprété de la mauvaise façon. J'ai adoré jouer pour le Canadien et j'en suis encore fier. Je sais que certains trucs peuvent être perçus comme controversés, mais ça venait du fond de mon coeur. Si je voyais Michel Therrien demain, je lui serrerais la main.»

L'entraîneur-chef du Canadien a eu vent du fait que Ryan, qu'il a dirigé de 1997 à 1999, tenait des propos cinglants à son endroit. Il admet que ça n'a pas toujours été facile entre eux.

«Comme tout choix de première ronde, il avait des qualités qui laissaient croire qu'il pouvait devenir un joueur de la LNH, mais ce n'est pas pour autant un laissez-passer, a indiqué l'entraîneur.

«Terry manquait beaucoup de maturité. Quand tu as affaire à un jeune sur qui l'organisation fonde beaucoup d'espoir et qu'il manque de maturité, il faut que tu essaies, en bon père de famille, de le replacer sur le droit chemin. Dans ce temps-là, les relations sont plus tendues.»

Ryan soutient entre autres que Therrien est le seul entraîneur à lui avoir donné une tape pour lui demander d'aller se battre.

«Ça doit être l'interprétation que le joueur en a faite parce que jamais je ne placerais un gars dans cette position-là», a répliqué Therrien.

Quoi qu'il en soit, Ryan assure qu'il ne garde aucune animosité envers son ancien coach.

«C'était un entraîneur recrue tout comme j'étais un joueur recrue, et chacun apprend de ses expériences, écrit-il d'ailleurs dans Tales of a First-Round Nothing. Si ça se trouve, il était aussi passionné de hockey que moi, et je respecte cela.

«En regardant les séries de 2013 et en voyant Michel être interviewé durant la série Habs-Sénateurs, dans des circonstances assez compliquées, j'ai réalisé à quel point il avait mûri en tant qu'entraîneur. Je ne serai probablement jamais son meilleur ami, mais nous sommes tous différents et ainsi va la vie.»

Ryan rêvait de porter l'uniforme du Canadien quand il était petit, et même s'il n'a pu le réaliser que dans huit petits matchs et que l'expérience ne s'est pas conclue de façon positive, il repense à ces années-là avec le sourire.

«Je continue de prendre pour les Habs, s'exclame-t-il. Je me considère comme une partie de leur héritage même si, dans l'opinion publique, je peux avoir l'air d'un échec. Je suis toujours très fier. Je vais faire mon tour de temps à autre au Salon des anciens et si jamais l'équipe gagne la Coupe, je serai à Montréal et j'irai célébrer chez Hurley's!»

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Photo Ryan Remiorz, archives PC

Michel Therrien a été l'entraîneur-chef du club-école du Canadien pendant quatre saisons, d'abord à Frederiction puis à Québec, avant de remplacer Alain Vigneault à la barre du Tricolore à l'automne 2000.

Extraits de Tales of a First-Round Nothing

«Je dois admettre que l'équipe ne connaissait pas grand-chose de moi à part mes statistiques, ce qui est assez étonnant compte tenu du fait que j'avais été interviewé par toutes les équipes sauf quatre avant le repêchage. Les Habitants étaient l'une de ces équipes avec lesquelles je n'avais eu aucun contact. Pendant que ma famille et moi nous rendions à nos sièges, le jour du repêchage à Edmonton, le dépisteur-chef de Montréal, Doug Robinson, m'a félicité pour mon excellente saison. Il croyait que j'étais Shane Doan.»

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«En tant que choix de première ronde, je voulais impressionner tout de suite la ville de Montréal et Habs Nation. La pression d'être performant est immense, surtout pour un adolescent. (...) Était-ce une question d'ego? C'est sûr. Quand ils m'ont repêché dans les 10 premiers, je savais que je pouvais être le guerrier qui mènerait le reste des soldats à la guerre, et je savais qu'on pouvait gagner cette guerre parce que j'avais bon espoir que la direction doterait notre armée des outils nécessaires pour faire le travail. Je suis sûr que la compréhension subconsciente que je serais aimé si je répondais aux attentes était séduisante pour mon ego.»

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«Ce n'est pas que j'étais un cancer (j'aime à croire que j'étais le contraire), mais je faisais des choses stupides. J'étais le genre de gars à faire des vidéos porno et à les montrer aux gars. J'étais le gars qui se levait pour aller chanter au bar. J'avais besoin d'être le centre d'attention et chaque soirée était destinée à créer une autre "histoire de T.R.". Les gens parlent et, d'une certaine façon, j'étais toujours en représentation.»

«Un jour, nous étions sur la côte Ouest et Gwen Stefani était dans le hall de l'hôtel. Je suis allé la voir pour lui demander ce qu'elle voulait que je fasse pour garder tout le monde de bonne humeur puisque ça faisait plus d'une heure qu'on attendait nos chambres à la suite d'un imbroglio à la réception. No Doubt était un groupe extrêmement populaire à l'époque et le simple fait de la rencontrer était excitant. Elle m'a dit qu'on devrait tous relaxer et aller nous baigner en attendant nos chambres - l'hôtel avait, paraît-il, une piscine cotée cinq étoiles. En moins de temps qu'il en faut pour dire Spiderwebs (titre d'une chanson du groupe), j'ai sauté dans l'immense fontaine du hall habillé de mon complet trois-pièces Hugo Boss , j'ai fait des longueurs au grand amusement de tous et j'ai attiré, au passage, l'attention des gardiens de sécurité. Les gardes riaient, mais ils m'ont réprimandé assez fort. Ils m'ont sorti de l'eau, j'ai jeté mon complet aux ordures et je me suis dirigé vers le bar de l'hôtel en sous-vêtements mouillés et avec mes souliers de costume détrempés. (...) J'ai signé des autographes comme si j'étais le capitaine de l'équipe.»

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«Au milieu de notre repas de poulet, pâtes et légumes, nous pouvions sentir une odeur de fumée quelqu'un avait allumé une cigarette. À la table d'à côté, Therrien fumait une cigarette après son repas. Je trouvais cela étrange, pour ne pas dire non professionnel. (...) Mike a remarqué mon visage stupéfait et m'a fait signe de venir m'asseoir à côté de lui. Son accent demeure gravé dans mon lobe frontal comme une mauvaise chanson qui ne nous sort pas de la tête. C'était un mélange unique de français et d'anglais avec un soupçon d'ignorance et de narcissisme, mêlé au son râpeux du fumeur en série. «Sais-tu pourquoi je fume? a-t-il demandé. Because I fucking can. Et je peux t'envoyer dans la ECHL demain.» Ç'a été ça, mon étrange première rencontre avec Michel Therrien.»

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«Je ne garde aucune rancoeur envers le gars. Après tout, c'était un entraîneur recrue tout comme j'étais un joueur recrue, et chacun apprend beaucoup de ses expériences. Si ça se trouve, il était aussi passionné de hockey que je l'étais, et je respecte cela. En regardant les séries de 2013 et en voyant Michel être interviewé durant la série Habs-Sénateurs, dans des circonstances assez compliquées, j'ai réalisé à quel point il avait mûri en tant qu'entraîneur. Je ne serai probablement jamais son meilleur ami, mais nous sommes tous différents, et ainsi va la vie.»