Le nom Ftorek est connu des amateurs de hockey québécois qui se souviennent de Robbie Ftorek, à l'époque où ce dernier jouait pour les Nordiques de Québec. C'était au début des années 80.

Aujourd'hui, c'est son fils Sam qui fait parler de lui dans les ligues mineures. En effet, à l'extérieur de la LNH, Sam Ftorek est le doyen des joueurs de hockey professionnels. À 39 ans, on peut certes trouver quelques joueurs de la LNH plus âgés que lui, mais personne ne s'accroche à la vie des ligues mineures depuis aussi longtemps.

«Je ne me perçois pas comme étant vieux, a confié à La Presse le défenseur des Wings de Kalamazoo. En tout cas, je ne me comporte pas comme le plus vieux, ça, c'est sûr! Le fait d'être le meneur actif au chapitre des matchs joués met tout ça en perspective, mais ma principale préoccupation est d'entretenir ma passion. Ça aide à oublier le fait que le corps ralentit.»

Même s'il aspire à devenir entraîneur un jour, Ftorek n'est pas joueur-entraîneur comme Reggie Dunlop dans le film Slap Shot. En fait, on pourrait davantage le comparer à Crash Davis dans Bull Durham.

Tout comme le vétéran receveur interprété par Kevin Costner, Ftorek connaît les mineures comme le fond de sa poche. Et malgré son âge avancé, il continue de dominer son circuit. Encore cette année, il est le premier marqueur parmi les défenseurs de l'ECHL.

Ftorek a surtout bourlingué dans l'East Coast, mais il a aussi trempé dans la défunte Ligue internationale, dans la Ligue centrale en plus de jouer quelques matchs en Europe.

Son principal fait d'armes? Avoir fait partie des Monarchs de Manchester, dans la Ligue américaine, durant la saison 2003-2004. Michael Cammalleri et George Parros comptaient parmi ses coéquipiers.

«J'ai été rappelé à l'âge de 28 ans, se souvient Ftorek. Malheureusement, il y a eu le lock-out l'année suivante, et je n'ai même pas été invité au camp d'une autre équipe de la Ligue américaine. C'est cette année-là que j'ai compris.»

S'il a compris à ce moment-là qu'il n'atteindrait plus de nouvel échelon, Ftorek dit avoir refusé la complaisance, préférant se mettre au service de ses jeunes coéquipiers pour qui tous les espoirs étaient encore permis.

«Tous ceux qui viennent jouer à Kalamazoo aiment ça, mais ce n'est pas ce à quoi ils aspirent, observe Ftorek. Ils rêvent tous d'aller plus haut. Or, si je n'ai pas la même attitude qu'eux, je vais les ralentir.»

Et s'il se montre prêt à continuer sa route, c'est aussi parce qu'après toutes ces années de carrière, Ftorek n'a jamais gagné de championnat, hormis un titre obscur en Hongrie.

«Si j'avais su...»

À sa sortie de l'école secondaire, une blessure à un genou a empêché Ftorek de se joindre à une université de renom. Il a dû se rabattre sur une toute petite école.

«J'ai été chanceux de signer un contrat en tant que joueur autonome avec les Devils du New Jersey, dit-il. J'avais joué avec l'un de leurs recruteurs. Au fil de ma carrière, j'ai participé à six camps de la LNH, mais sans jamais signer d'autre contrat.»

Ça ne fait que trois ou quatre ans que Ftorek a délaissé son rôle d'attaquant de puissance pour devenir défenseur.

«Ça a pris une vague de blessures à la ligne bleue pour convaincre mon entraîneur-chef de m'utiliser à la ligne bleue. Mais si j'avais su à l'époque ce que je sais aujourd'hui, je serais devenu défenseur. J'aurais eu une meilleure chance de percer. On le voit constamment dans l'ECHL: dès qu'il y en a un bon, il est rappelé. Il ne reste jamais là.»

À la défense de l'ECHL

Ftorek ne se fait pas prier pour défendre la réputation de l'ECHL. Prenant l'exemple de David Desharnais, il soutient que c'est le meilleur circuit pour se développer.

«Desharnais a affiché des statistiques exceptionnelles dans l'ECHL, il a joué un an et remporté un championnat avec Cincinnati à sa seule année là-bas, et il a remporté au passage le titre de joueur par excellence.

«Mais l'ECHL, ce n'est pas du semi-pro! Les organisations n'envoient plus des joueurs là-bas pour les enterrer, mais pour qu'ils prennent de l'expérience professionnelle. Notre gardien Jordan Binnington faisait partie d'Équipe Canada junior l'an passé. Il va jouer dans la Ligue américaine l'an prochain, mais l'organisation des Blues de St. Louis ne voulait pas l'envoyer avec les Wolves de Chicago dès cette année, car il n'aurait pas joué.»

Selon Ftorek, l'East Coast n'est tout simplement plus la ligue de matamores qu'elle était autrefois.

«Quand j'ai commencé ma carrière, il y avait des bagarres impliquant tous les joueurs sur la glace toutes les deux semaines. Et les bancs se vidaient tous les mois, c'était la norme.

«Les premiers trios sont aussi bons qu'autrefois, mais c'est la profondeur des deuxièmes et troisièmes trios qui a changé. Il y a des joueurs autonomes, des choix au repêchage et des joueurs sortis des milieux universitaires assez doués pour jouer dans la Ligue américaine. C'est effrayant de voir à quel point le calibre est bon aujourd'hui.»

Un rêve d'entraîneur

Il reste que, pour tenir le coup aussi longtemps dans une ligue de troisième calibre, il faut aimer ça!

«Je n'ai jamais voulu vieillir et avoir un vrai travail, confie Ftorek. Je ne serais pas capable de faire du 9 à 5. À l'aréna, tout le monde a toujours des histoires, ça rigole... C'est pour ça que je veux jouer jusqu'à ce que je puisse me trouver un job d'entraîneur. Je veux rester dans le hockey.»

En ce sens, il espère suivre les traces de son père Robbie, qui a été entraîneur-chef dans la LNH et qui est aujourd'hui adjoint dans la Ligue américaine.

Quand il voit des exercices qui lui plaisent à l'entraînement, Ftorek les prend en note. Et lorsqu'il croise d'anciens adversaires devenus entraîneurs, il les questionne sur la façon dont ils ont opéré la transition.

Tel Crash Davis dans Bull Durham, s'il n'a pas atteint les grandes ligues en tant que joueur, il a une seconde chance de le faire en qualité d'entraîneur.

«C'est mon grand rêve. J'ai joué contre Davis Payne, qui a dirigé les Blues, et contre Brent Thompson (adjoint chez les Islanders de New York) à l'époque où il dirigeait les Aces de l'Alaska. Il y a plusieurs gars qui sont passés d'une ligue à l'autre. Je ne pense pas que le chemin pour s'y rendre importe beaucoup, ni le circuit où notre carrière de joueur a pris fin.»

Ftorek fait circuler son nom pour des postes à pourvoir. En attendant, son jeu et son enthousiasme lui permettent de suivre le tempo de l'ECHL.

«Je pense pouvoir jouer quelques années encore. Ma règle, c'est que si, trois jours de suite, je me sens misérable en me rendant à l'aréna, je vais prendre ma retraite. Mais ce n'est pas arrivé encore.»

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Une enfance à Québec

C'est à Québec que Sam Ftorek est tombé amoureux du hockey.

Son père Robbie a porté les couleurs des Nordiques pendant un peu plus de deux ans, dès leur entrée dans la Ligue nationale. C'était l'époque de Marc Tardif et de l'arrivée des frères Stastny...

«Québec a été mon endroit préféré où vivre, raconte le défenseur des Wings de Kalamazoo. J'allais à l'école primaire à Sainte-Foy et j'étais en immersion française. Toute la ville était folle de hockey. Pourvu qu'ils aient un bâton, les enfants pouvaient se trouver un endroit où jouer partout où ils allaient.»

Ftorek se souvient de sa maison surplombant le fleuve Saint-Laurent et du balcon arrière, desservi par un escalier sur lequel son père avait construit une glissoire de glace.

«Nous avions aussi une petite patinoire extérieure, se souvient Ftorek. À l'époque, on hébergeait deux recrues, Dale Hunter et Jamie Hislop, et je jouais continuellement avec eux. C'est vraiment là que j'ai commencé à me passionner pour le hockey.

«Encore aujourd'hui, quand on me demande de nommer mon équipe préférée, je réponds les Nordiques. J'adore regarder du hockey, mais je n'ai d'attachement pour aucune équipe, alors je réponds les Nordiques.»

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Photo Bernard Brault, archives La Presse

Robbie Ftorek, le père de Sam, a été entraîneur-adjoint avec les Nordiques en 1990-1991.

Sam, le portraitiste

Outre son profil de vieux de la vieille, Sam Ftorek redoute une autre étiquette chez les Wings de Kalamazoo. Celle d'être un artiste.

C'est que depuis des années, le défenseur de 39 ans a créé un style de dessins bien à lui. Il adapte des photos d'athlètes professionnels en éliminant tout le bruit ambiant pour le remplacer par un fond noir étoilé. Le résultat est parfois étonnant.

«Je fais des dessins, mais je ne suis pas à la veille de me couper une oreille (comme Vincent van Gogh)», a-t-il déjà dit lors d'une entrevue avec le descripteur des matchs des Wings.

«Plusieurs de mes coéquipiers ne savent même pas que je fais ça, a-t-il confié à La Presse. Je ne veux pas nécessairement être étiqueté comme étant "l'artiste". Mais notre gardien Jordan Binnington a vu mes dessins et il m'en a commandé un pour son père.»

À ce jour, son portrait préféré est celui de Martin Brodeur. D'ailleurs, sa voix s'anime lorsqu'il est question du légendaire gardien québécois, de loin le hockeyeur ayant créé la plus forte impression chez lui.

«J'avais fait son portrait à l'université et j'avais pu le lui faire signer ensuite quand j'étais au camp des Devils. J'en avais fait mon projet de fin de trimestre avant d'obtenir un diplôme en beaux-arts.

«De temps à autre, je sors mes crayons, je regarde les photos et je me laisse aller. Ça libère mon esprit et ça me permet de m'évader.»

Ftorek aimerait en arriver un jour au point où des joueurs de la LNH lui feraient des commandes. Mais pour l'heure, il se contente de démontrer son savoir-faire dans certaines expositions. «D'ailleurs, j'en aurai une autre en juin après la fin des séries éliminatoires», souligne-t-il.

Photo fournie par la famille

De tous ses dessins, celui de Martin Brodeur est le préféré de Sam Ftorek.