L'abondance de défenseurs droitiers canadiens de premier plan a suscité bien des discussions et continuera de le faire avant et pendant le tournoi de hockey de Sotchi.

Brent Seabrook et le Québécois Kristopher Letang ont-ils été sacrifiés parce qu'ils étaient droitiers?

Qui de P.K. Subban, Drew Doughty, Alex Pietrangelo et Shea Weber sera utilisé à gauche ou, pire, écarté parce qu'il lance de la droite?

Historiquement, les défenseurs droitiers ne jouent jamais à gauche et sont très mal à l'aise quand ils sont appelés à le faire.

Ils n'ont pour la plupart jamais joué à gauche car la proportion de défenseurs gauchers est d'environ 71% par rapport aux droitiers.

La situation rappelle de douloureux souvenirs à Stéphane Robidas, droitier lui aussi, dont la carrière dans la LNH a presque pris fin après une saison cauchemardesque du côté gauche avec le Canadien en 2001-2002... sous l'autorité de Michel Therrien.

«Nous étions quatre droitiers avec Stéphane Quintal, Patrice Brisebois et Craig Rivet et comme j'étais le plus jeune, on m'a demandé de jouer à gauche», raconte Robidas.

«Ç'avait été une expérience horrible, une saison difficile pour moi, se rappelle Robidas. J'aime transporter la rondelle devant moi et la vision était complètement différente. La seule option qu'il me restait était la passe le long de la bande à l'ailier car je n'osais pas passer du revers d'un côté à l'autre de la glace. J'avais perdu mon synchronisme pour les mises en échec et il m'a fallu m'habituer à pivoter de l'autre jambe quand un attaquant me débordait à l'aile. Un défenseur doit être capable de pivoter des deux côtés, mais quand tu as pivoté du même côté toute ta carrière, c'est plus difficile.»

Robidas avait terminé l'année avec une fiche de -26, et on l'avait soumis au ballottage l'automne suivant. Il a mis quelques saisons à remettre sa carrière sur ses rails.

«J'ai toujours pensé que les gauchers devaient jouer à gauche et les droitiers à droite, dit Robidas. Mais il y a des situations incontrôlables, comme à l'époque à Montréal, ou dans ce cas-ci, avec l'équipe canadienne. Mais généralement, les défenseurs droitiers constituent une denrée rare. Avant l'arrivée de Dan Boyle, il n'y avait pas de défenseurs droitiers à San Jose. Je suis le seul droitier à Dallas.»

Perdre ses repères

L'ancien capitaine des Flyers de Philadelphie, et défenseur droitier du CH, Éric Desjardins, a brièvement joué du côté gauche dans sa carrière de 1143 matchs dans la LNH.

«Je n'étais vraiment pas confortable, raconte-t-il. Quand on te donne le choix, tu veux jouer de ton côté fort. J'avais beaucoup de difficulté à m'ajuster à un contre un à cause des pivots. J'avais l'habitude de placer mon bâton de façon à protéger le centre et forcer l'attaquant à rester en périphérie, mais j'avais perdu tous mes repères.»

L'entraîneur des défenseurs chez le Canadien, Jean-Jacques Daigneault, croit au contraire qu'il y a des avantages à jouer du côté opposé. Lui-même a joué à gauche comme à droite comme défenseur gaucher.

«Il y a des avantages et des inconvénients, dit-il. Les sorties de zone sont plus faciles du côté opposé; le défenseur est sur son côté fort lorsqu'il contourne le filet, sa vision est élargie. Le gaucher à gauche qui contourne son filet est sur son revers, ce sont des passes plus difficiles à faire.

«Par contre, poursuit Daigneault, j'admets que ça peut être plus difficile au plan des pivots pour un droitier qui se fait mettre à gauche pour la première fois.»

Le défenseur étoile des Predators de Nashville Shea Weber confiait la même chose à La Presse le mois dernier lorsque appelé à commenter l'ajustement qu'a dû faire le défenseur droitier Seth Jones à sa gauche.

«Moi, j'aimais bien défendre mon territoire comme gaucher du côté droit, dit Daigneault. Je pouvais harponner la rondelle plus facilement quand on me contournait car en plus des 60 pouces de mon bâton, j'avais deux pieds et demi de bras que je pouvais étirer en pleine extension. J'aimais garder mon bâton près de moi et quand l'attaquant entrait dans ma bulle, j'étirais le bras!»

On verra bien la stratégie employée par Hockey Canada, mais si la tendance se maintient, un Subban, Doughty, Weber ou Pietrangelo pourrait bien regarder les matchs du banc des joueurs...

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Photo Alain Roberge, archives La Presse

Le défenseur droitier Stéphane Robidas a connu une saison cauchemardesque du côté gauche avec le Canadien en 2001-2002.

Des exemples de défenseurs qui ont joué «hors position»

Serge Savard

L'ancien capitaine du Canadien était souvent amené à jouer à droite lorsqu'il formait un duo avec Larry Robinson ou Guy Lapointe. «Il feintait la passe à son défenseur et exécutait un tourniquet», se rappelle Jean-Jacques Daigneault. D'autres anciens grands défenseurs du Canadien comme Doug Harvey et Jean-Claude Tremblay étaient eux aussi des droitiers qui jouaient à gauche.

Bobby Orr

Le plus grand défenseur de l'histoire du hockey était un gaucher qui jouait à droite. Il a d'ailleurs révolutionné le hockey en se portant fréquemment à l'attaque. Dion Phaneuf et Chris Pronger ont aussi fréquemment joué à droite.

Teppo Numminen

L'un des rares droitiers à avoir joué toute sa carrière du côté gauche. Numminen, l'un des défenseurs les plus sous-estimés de l'histoire, a disputé 1372 matchs avec Winnipeg, Phoenix et Buffalo entre 1989 et 2009. «C'est probablement le meilleur droitier qui a joué à gauche, dit Jean-Jacques Daigneault. Il ne voulait même pas jouer à droite! C'était un excellent passeur, un joueur cérébral.»

Matt Niskanen

Le défenseur des Penguins de Pittsburgh est l'un des rares droitiers à gauche à l'heure actuelle dans la LNH. Niskanen dit avoir appris à jouer à gauche à ses débuts chez les Stars de Dallas puisqu'il formait une paire avec le vétéran droitier Sergei Zubov. Il est souvent amené à jouer avec le droitier Kris Letang à Pittsburgh.

Seth Jones

Le jeune défenseur des Predators de Nashville est employé du côté gauche car l'entraîneur Barry Trotz veut l'habituer à jouer de ce côté au sein d'un duo avec le droitier Shea Weber. L'entraîneur des défenseurs à Nashville, Phil Housley, dit avoir muté Jones à gauche après avoir appris que celui-ci avait déjà joué de ce côté avec la formation de développement américaine.

Photo Pierre McCann, archives La Presse

Serge Savard