On l'appellera peut-être un jour la «clause Marc Bergevin».

En adoptant la ligne dure à l'égard de P.K. Subban l'an dernier et en lui refusant une entente à long terme à l'expiration de son contrat de recrue, le DG du Canadien a été un précurseur.

Depuis un an, au moins trois équipes ont réglé le dossier avec leur jeune vedette de façon semblable: les Maple Leafs de Toronto avec Nazem Kadri, les Flyers de Philadelphie avec Sean Couturier et les Capitals de Washington avec Marcus Johansson.

Tous les trois ont accepté un contrat «passerelle» de deux ans dont la valeur totale n'excédait pas 6 millions, comme Subban avec le Canadien l'an dernier.

«Marc Bergevin ne l'a probablement pas fait avec l'idée de modifier la structure salariale de la LNH, mais effectivement, plusieurs autres clubs l'ont imité par la suite», a confié au bout du fil l'agent de joueurs Philippe Lecavalier.

«Il a dicté l'allure des négociations parce qu'il jugeait sans doute qu'un contrat à court terme allait amener Subban à se surpasser et ainsi atteindre un autre niveau, a ajouté l'agent. Avec le recul, la stratégie coûtera plus cher au Canadien, mais P.K. aurait-il nécessairement gagné le trophée Norris avec un contrat à long terme en poche?»

Une approche prudente et très logique

Le directeur général des Capitals de Washington, George McPhee, a d'ailleurs déclaré récemment au quotidien Washington Post qu'il accordait désormais la priorité aux contrats «passerelles» pour une foule de raisons. «C'est une approche prudente et très logique. Avant d'offrir un contrat à long terme, le club veut toujours savoir le plus précisément possible la valeur de son jeune joueur. Celui-ci demeure aussi plus affamé. Sans oublier les blessures. Ça contribue à prendre une décision plus avisée.»

Il ne faut pas croire pour autant que les contrats «passerelles» plaisent uniquement aux organisations. Les agents non plus ne détestent pas cela. «Les gens présument que nous n'aimons pas ce type de contrat, mais il y a des cas où nous-mêmes préférons les contrats à court terme pour nos clients, indique Allan Walsh. De toute façon, on peut renégocier un an plus tard, et le joueur a ainsi l'occasion de faire augmenter sa valeur.»

À une époque, les clubs n'avaient pas à se préoccuper d'offrir des contrats à long terme à leurs jeunes avant leur cinquième ou sixième année dans la LNH. Les équipes n'avaient qu'à déposer une offre qualificative majorée à 10% du salaire de leurs jeunes joueurs pour conserver leurs droits sur eux.

Mais le DG des Oilers d'Edmonton à l'époque, Kevin Lowe, a ébranlé la structure contractuelle de la LNH à l'été 2007 en offrant des contrats faramineux à Thomas Vanek, des Sabres de Buffalo (50 millions pour 7 ans), puis à Dustin Penner, des Ducks d'Anaheim (21 millions pour 5 ans). Vanek et Penner étaient des joueurs autonomes avec compensation, et leurs clubs respectifs s'attendaient à les garder quelques années supplémentaires au rabais grâce à une offre qualificative.

La stratégie de Lowe avait soulevé l'ire du DG des Ducks d'Anaheim, Brian Burke. Celui-ci avait accusé son homologue de faire grimper en flèche le salaire des jeunes joueurs. Lowe avait répliqué lors d'une interview à la radio en invitant Burke à régler ça aux poings.

Le flamboyant Burke a confié à un ami commun, Glen Sather, qu'il serait à Lake Placid au camp de l'équipe junior américaine prochainement et qu'il était prêt à louer une grange pour régler l'algarade. Le commissaire Gary Bettman a eu vent de l'histoire et mis fin au cirque en menaçant les deux hommes d'une longue suspension.

«On a assisté depuis 2007 à une recrudescence de contrats à long terme après le premier contrat de trois ans, comme ce fut le cas pour Sidney Crosby, Evgeni Malkin, Patrick Kane et Jonathan Toews, et quelques rares contrats "passerelles", comme celui de Marc-André Fleury en 2006. Mais ça semble beaucoup plus courant depuis un an, entre autres en raison des contraintes du plafond salarial», explique Allan Walsh.

Les contrats à long terme ne cesseront toutefois pas d'exister, au contraire. Au cours des dernières semaines, Cody Hodgson à Buffalo et Alex Pietrangelo à St. Louis ont signé des ententes de longue durée.

«Ça reste du cas par cas, selon la situation», a dit Walsh.

«Certains de nos joueurs préfèrent obtenir une sécurité rapidement avec un contrat à long terme, mais ils doivent être prêts à laisser de l'argent sur la table si leur valeur augmente dans les années suivantes, mentionne Philippe Lecavalier. P.K. Subban, lui, va maximiser son salaire. Je dirais que la grande majorité de nos clients préfèrent une entente passerelle de courte durée à un contrat à long terme après leur premier contrat. Le joueur affamé à l'idée d'obtenir un plus gros contrat augmente ses chances d'améliorer ses performances.»

Marc Bergevin nous a poliment indiqué qu'il préférait décliner notre demande d'interview, puisqu'il semblait se trouver au coeur du dossier. Une humilité qui l'honore...

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QUATRE CONTRATS «PASSERELLES»

P.K. Subban: 2 ans, 5,75 millions

Sean Couturier: 2 ans, 3,5 millions

Nazem Kadri: 2 ans, 5,8 millions

Marcus Johansson: 2 ans, 4 millions