Le sort des bagarres dans la LNH se joue peut-être présentement à Chicago. Pas au United Center, où les Blackhawks affrontent les Bruins en finale de la Coupe Stanley, mais dans un tribunal civil où la famille de Derek Boogaard poursuit la LNH pour négligence ayant causé sa mort, il y a deux ans.

L'ex-bagarreur souffrait de dépendance aux médicaments et d'encéphalopathie traumatique chronique, une conséquence de ses commotions cérébrales, selon sa famille. La LNH peut-elle être tenue responsable? Quelles en seraient les conséquences?

Au dire des deux expertes de droit américain consultées par La Presse, la jurisprudence a tendance à favoriser la LNH, mais elles ne s'étonneraient pas de voir les tribunaux prendre le parti de la famille Boogaard, qui a «une bonne cause à faire valoir». Quatre questions sur cette cause qui pourrait avoir des répercussions jusqu'au Centre Bell.

Que reproche la famille de Derek Boogaard à la LNH?

En six saisons dans la LNH, Derek Boogaard a marqué trois buts, mais il s'est battu à 66 reprises. Sa famille allègue en cour que le circuit Bettman n'a pas prévenu, surveillé ou réglé adéquatement les problèmes liés à ses commotions cérébrales (son encéphalopathie traumatique chronique) et sa dépendance aux médicaments qui en a suivi. Elle allègue aussi que ses problèmes de santé ont miné sa qualité de vie et l'ont conduit à la mort.

La famille Boogaard fait également valoir que les médecins des équipes de la LNH lui prescrivaient des médicaments de façon exagérée pour qu'il puisse continuer à se battre. Seulement durant la saison 2008-2009, Derek Boogaard s'est fait prescrire par des médecins 1021 comprimés de médicaments. Il a fait deux cures de désintoxication pour sa dépendance aux médicaments et est mort à 28 ans le lendemain de sa sortie de sa deuxième cure. La famille Boogaard n'a pas précisé le montant qu'elle réclame à la LNH, laissant cette tâche à un jury civil.

Quelle sera la défense de la LNH?

La LNH, qui dispose encore de quelques jours pour déposer sa défense en cour, alléguera vraisemblablement que les batailles sont un risque inhérent à la pratique du hockey et sont acceptées par les joueurs. «Les risques inhérents couvrent même les conséquences normales d'infractions qui sont dangereuses tant qu'elles surviennent relativement fréquemment, comme les bagarres», dit Paula Berg, professeure de droit des délits à la City University of New York (CUNY).

Cette défense est-elle efficace?

Généralement, oui. «Un juge pourrait dire que le joueur accepte ce haut niveau de risque et qu'il est bien payé pour le faire», dit Lesley Wexler, professeure de droit des délits à l'Université de l'Illinois. «Mais il y a toujours une limite», dit la professeure Paula Berg. Prenons un exemple fictif extrême : même si les règlements d'un sport le permettaient, les tribunaux n'accepteraient pas que ses athlètes se poignardent. Ce serait un niveau de violence trop élevé pour être accepté.»

Si les bagarres semblent constituer actuellement un risque inhérent acceptable, les deux professeures ne s'étonneraient pas de voir les tribunaux renverser cette tendance jurisprudentielle dans un dossier comme celui de Derek Boogaard. «La famille Boogaard a une bonne cause à faire valoir», dit la professeure Paula Berg. «Je peux voir un tribunal dire que c'est allé trop loin, que les blessures entraînées par les bagarres sont trop importantes, que la LNH a été négligente de ne pas avoir protégé ses athlètes.»

Une victoire judiciaire de la famille Boogaard signifierait-elle la fin des bagarres dans la LNH?

Pas nécessairement. Sans condamner directement les bagarres, les tribunaux de l'Illinois pourraient aussi donner raison à la famille Boogaard en se basant sur le rôle des médecins de la LNH. Selon la famille Boogaard, ils lui auraient prescrit tellement de médicaments pour faire son travail qu'il en aurait développé une dépendance ayant réduit sa qualité de vie et l'ayant conduit à la mort.

«En droit américain, vous n'avez pas de devoir d'aider les gens, sauf si vous avez causé en partie ce problème», dit la professeure Paula Berg. «La LNH est responsable de ce que ses médecins ont fait, et ils semblaient avoir de bonnes raisons de savoir que ce gars-là était un mauvais état», souligne la professeure Lesley Wexler.

Si la LNH est condamnée seulement sur la base de la conduite de ses médecins, elle aurait alors un dilemme. «Les médecins jouent un rôle important pour permettre les bagarres en prescrivant des médicaments», dit Paula Berg. «S'ils ne pouvaient plus le faire, ce serait peut-être une façon indirecte d'éliminer les bagarres.»