Michel Boucher voit encore son patron Al Murray lui tendre une lettre manuscrite à l'encre bleue sur feuille lignée.

Nous sommes en 2005. Boucher est recruteur chez les Kings de Los Angeles et la lettre porte la signature d'un certain David Desharnais.

«Il avait 19 ans, il venait de connaître une autre grande saison dans les rangs juniors et il nous écrivait qu'il ne comprenait pas que personne ne le repêche et qu'il voulait seulement qu'un club lui donne une chance de faire ses preuves», rappelle Michel Boucher.

Son initiative, bien qu'elle ait charmé Murray et Boucher, n'a pas suffi à lui valoir une invitation à l'époque malgré des statistiques impressionnantes avec les Saguenéens de Chicoutimi.

«Al m'avait demandé cependant d'aller lui parler et de lui expliquer ce que les dépisteurs pensaient de joueurs comme lui, dit Boucher. Je l'avais rencontré à Shawinigan dans une pièce attenante au vestiaire. Je lui avais mentionné que j'aimais son intelligence sur la glace, son caractère, mais que la route était plus longue pour les joueurs de sa taille, surtout à cette époque où l'accrochage était toléré davantage, et qu'il devait absolument améliorer son coup de patin. Il ne cadrait pas dans le style des Kings sous Dave Taylor, qui préférait les joueurs costauds et rapides.»

Desharnais est resté deux autres saisons à Chicoutimi.

Aujourd'hui, Murray est responsable du recrutement chez le Lightning de Tampa Bay, Boucher travaille à nouveau sous ses ordres et Desharnais est le premier centre du Canadien, auteur de 55 points en 74 matchs.

Desharnais fait la moue quand on lui raconte l'anecdote. « C'est juste drôle qu'ils s'en souviennent aujourd'hui, dit-il en soupirant. Si j'étais camionneur, est-ce qu'ils se souviendraient de moi? Je me souviens vaguement de cette idée d'écrire à des équipes. C'était l'initiative d'un ami. On avait écrit à plusieurs clubs, mais je n'avais pas reçu beaucoup de réponses...»

«Je comprends sa réaction parce que personne ne lui a fait de fleur, mentionne Boucher. Tout le mérite lui revient. La plupart ont eu la même réaction que moi. Mais je me serais souvenu de lui de toute façon, comme je me rappelle de Dean Lygitsakos, à qui j'avais eu à expliquer à l'époque pourquoi je ne le gardais pas avec les Draveurs de Trois-Rivières.»

Un seul club avait ouvert la porte à Desharnais à l'époque, le Lightning du DG Jay Feaster.

«Leur recruteur Bill Barber m'avait invité au camp des recrues, se souvient Desharnais. Ils m'ont finalement offert un contrat pour la Ligue de la Côte Est, mais j'ai préféré retourner avec Chicoutimi.»

Desharnais a obtenu sa chance de percer dans l'univers du hockey professionnel grâce à Guy Carbonneau, qui dirigeait alors le Canadien.

«C'est "Neppy" (Renald Nepton), notre soigneur, qui a dû parler à Guy, et probablement mon entraîneur Richard Martel aussi, relate Desharnais. "Neppy" a toujours cru en moi. Il me disait toujours que si ça ne fonctionnait pas quelque part, Carbo allait me donner un essai.»

«Étant gestionnaire des Saguenéens, je parle souvent avec "Neppy" et on tente toujours d'aider nos joueurs à percer, a dit Carbonneau au téléphone cette semaine. David a été un bon soldat pour nous pendant quatre ans, mais aussi un bon gars qui n'aurait jamais rien demandé. Vous ne me verrez pas dire aujourd'hui que je savais qu'il allait percer, mais je voulais au moins lui donner la chance de réaliser son rêve et je me disais: on ne sait jamais.»

Carbonneau en a parlé à Trevor Timmins. «Avec les statistiques qu'il avait au niveau junior, ç'a été plus facile à faire accepter, surtout pour un camp des recrues. Je n'ai pas eu un gros pitch à faire, en plus tout le monde de l'organisation l'avait vu jouer junior.»

Michel Boucher, qui travaillait désormais pour le Canadien, a été consulté.

«Trevor m'a téléphoné pour me demander ce que j'en pensais. Je croyais qu'il avait suffisamment de sens de hockey pour être invité. Est-ce qu'il peut jouer dans la LNH? Comme tout le monde aurait dit à l'époque, j'ai répondu à Trevor que je ne le croyais pas, mais qu'il pourrait être une vedette dans la Ligue de la Côte Est et ensuite évoluer dans la Ligue américaine.»

Desharnais a impressionné suffisamment pour décrocher un contrat des ligues mineures. Il a outrageusement dominé dans la Ligue de la Côte Est à Cincinnati avec 106 points en 68 matchs, avant de passer aux Bulldogs de Hamilton l'année suivante. Il avait 45 points en 35 matchs à sa troisième saison à Hamilton lorsqu'on l'a rappelé à Montréal pour ne plus jamais le rétrograder.

«Ça n'a pas été facile, relate Desharnais. C'est dur de percer quand on n'a pas été repêché. Je me souviens de mon premier camp des recrues. Carey Price était devant le filet, il venait de gagner la Coupe Calder, Ryan O'Byrne, qui avait joué déjà, était là aussi. J'étais intimidé. Et justement, c'est difficile de faire bonne impression la première fois parce qu'on est intimidé. La première année permet d'être prêt pour la deuxième. Mais quand on ne sait pas si on aura cette deuxième chance...»

Tout est bien qui finit bien pour un bon gars... et un sapré bon joueur.