La Ligue nationale de hockey promet de s'attaquer au dossier des coups à la tête à l'occasion de la rencontre des directeurs généraux la semaine prochaine, mais la question des bagarres ne sera pas abordée.

Les batailles au hockey sont pourtant d'actualité également à la suite de la divulgation d'une étude médicale affirmant que l'ancien dur à cuire Bob Probert avait le cerveau détruit de façon permanente.

L'histoire a semé beaucoup d'inquiétude parmi les bagarreurs de la LNH, actuels comme anciens, et même provoqué une surprenante déclaration de l'analyste Mike Milbury selon qui on devrait songer à abolir le rôle de dur à cuire au hockey.

«Ils parlent de régler le problème des coups à la tête et des commotions cérébrales et ils veulent maintenir les bagarres, confie l'ancien dur à cuire Dave Morissette. Pourtant, tu reçois des coups à la tête lors d'une bagarre...»

Morissette, qui s'est fait connaître avec le Canadien il y a une dizaine d'années, a subi une vingtaine de commotions cérébrales en carrière.

«Ce n'est pas vrai que les bagarres ne sont pas dangereuses. J'ai subi ma première commotion cérébrale à 16 ans dans les rangs juniors. Il m'est souvent arrivé de me lever dans le brouillard plusieurs jours de suite, sans contrôle sur mon corps ni mes émotions. La dernière fois, ça a duré plus d'un mois. Tu as tellement mal à la tête que tu ne peux même pas mettre ton casque sans ressentir la douleur.»

Morissette a été secoué par l'étude sur le cerveau de Bob Probert. «Je suis inquiet et je ne suis pas le seul. J'en parlais à des anciens joueurs, et même ceux qui n'avaient pas à se battre s'inquiètent parce qu'ils ont subi eux aussi des commotions. Quand j'ai lu l'article ce matin-là, j'ai dit à ma femme Nancy que si j'étais pour mourir demain, je souhaitais moi aussi donner mon cerveau à la science. Bob Probert n'est au moins pas mort pour rien.»

Morissette ressent-il encore des effets de ses multiples commotions cérébrales aujourd'hui?

«J'ai des troubles de mémoire et je ne sais pas comment je vais vieillir. Est-ce que je vais souffrir de la maladie d'Alzheimer? Je crois que nous sommes rendus à un point où il faut remettre en question la pertinence des bagarres au hockey. Avant, on avait l'excuse de ne pas être au courant. Maintenant, on commence à connaître les répercussions. Il faut penser à la sécurité des joueurs. Est-ce que je veux que mon fils suive mes traces? Absolument pas.»

L'ancien défenseur Stéphane Quintal, qui a eu à jeter les gants régulièrement au cours de sa carrière de 17 saisons dans la LNH, abonde dans le même sens.

«Je répète depuis plusieurs années que les bagarres n'ont plus leur place au hockey. Ceux qui se battent devraient être expulsés du match. À une certaine époque, l'intimidation était plus courante mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Detroit a gagné la Coupe sans dur à cuire. La meilleure façon de répondre, c'est comme le Canadien l'a fait en battant les Bruins 4-1.»

Quintal, 42 ans, est inquiet lui aussi des effets à long terme qu'il pourrait ressentir de ses nombreux combats.

«Je ne sais pas si j'ai envie d'aller passer des tests. Est-ce que je veux vraiment savoir? J'ai facilement eu une dizaine de commotions cérébrales, surtout en début de carrière avec Boston. On ne pouvait pas en parler parce qu'on passait pour un peureux aux yeux de ses coéquipiers et de la direction de l'équipe. Je me rappelle encore du goût que j'ai eu dans la bouche lors de ma première commotion. C'est comme une sensation de mauvaise haleine. Je ne le savais pas, mais ça s'est confirmé parce que ça revenait à chaque commotion.»

L'ancien pacificateur devenu agent de joueurs et analyste à la télé, Enrico Ciccone, est évidemment inquiet lui aussi, mais il n'en fait pas une maladie.

«J'ai fait beaucoup de recherche sur l'encéphalopathie ces dernières années et les facteurs de risque sont nombreux. Il y a des coups, mais aussi la consommation d'alcool qui peuvent affecter le cerveau. Je n'ai aucune commotion diagnostiquée, même si j'ai été sonné souvent. Probert, c'est le cocktail au complet. Ça aurait pu être diagnostiqué avant qu'on lui ouvre le cerveau.»

Dave Morissette rappelle cependant que de nombreux durs à cuire sont tombés dans l'alcool et la drogue pour s'évader de leur réalité.

«Ce n'est pas un métier normal. Notre stress de se battre peut mener à l'alcoolisme. Il y a aussi les stimulants, les gars qui prennent trois ou quatre pilules entre les périodes pour se motiver. Il faut être très fort psychologiquement pour pratiquer ce métier.»

Enrico Ciccone est favorable à l'abolition des bagarres, mais pas dans le contexte actuel.

«C'est rendu dangereux pour les gars parce que ce sont maintenant des machines à tuer et ils se battent à poings nus. Par contre, les coups salauds seraient encore plus nombreux parce qu'on laisse la Ligue s'occuper de la justice mais elle ne fait rien.

«Prenez le cas de Pacioretty, poursuit Ciccone. À l'époque, il y aurait eu une foire sur la glace. Le gars n'aurait peut-être pas osé faire ça. Quand les autres équipes venaient jouer chez nous à Chicago, il y avait Probert, Cummins, Russell, Morrow, McRae et moi, ils ne nous brassaient pas fort. Oui, on doit éliminer les bagarres, mais on doit aussi du même coup réécrire le livre des règlements.»

On doit aussi, surtout, changer la culture du hockey, estime Ciccone. «Je me suis fait taper sur les doigts depuis deux jours. Je ne défendais pourtant pas Chara. J'ai dit qu'il ne serait pas suspendu parce qu'il a agi dans les limites de ce que la Ligue nationale accepte. On tolère qu'un gars frappe un autre gars sur la cloison. Je ne suis évidemment pas d'accord avec son geste; il a essayé de tuer un gars. Mais on demande aux joueurs de jouer à la limite de l'agressivité pour connaître du succès. Les joueurs deviennent des guerriers et sont programmés pour la guerre par leur entraîneur, mais il ne faut pas que ça déborde. C'est un double discours et ça pue l'hypocrisie à plein nez. À un moment donné, un écervelé dépassera les limites et va en tuer un sur la glace.»