Fraîchement embauché à titre d'entraîneur-chef du Lightning de Tampa Bay, Guy Boucher a vécu une journée folle jeudi dernier. Le Québécois nous raconte son aventure en Floride, et révèle en outre les épreuves traversées au fil des années en compagnie de son épouse Marsha: la maladie qui l'a hypothéqué pendant quelques années, ses salaires modestes, des difficultés qui ont contribué à forger sa personnalité.

Il y a d'abord eu la limousine à l'aéroport. L'immense bouquet de fleurs à l'attention de madame dans la chambre d'hôtel de Tampa. Les affiches géantes au St.Pete Times Forum pour leur souhaiter la bienvenue. Les petites attentions des membres de l'organisation du Lightning, les cadeaux.

À plusieurs moments, jeudi, Guy Boucher, 38 ans, et son épouse Marsha se sont regardés d'un sourire complice en se remémorant les temps durs: la maladie de Boucher qui a mis fin à sa carrière de joueur et qui l'a alité pendant presque un an et demi. Les salaires de famine, les appartements minuscules, passage presque obligé entre les rangs mineurs et la Ligue nationale de hockey.

«C'était important que mon épouse Marsha soit avec moi à la conférence de presse, a confié Guy Boucher, le nouvel entraîneur du Lightning, au téléphone jeudi dernier. Je l'ai rencontrée au moment où je commençais à être malade, où j'étais à mon plus bas. Nous avons vécu beaucoup d'émotions depuis la signature de mon contrat parce qu'on réalise à nouveau toutes les étapes que nous avons traversées ensemble depuis 13 ans.»

Alors qu'il tentait sa chance avec les Rafales de Québec, après quelques saisons avec les Redmen de McGill, où il était capitaine, puis avec le club de Viry, en France, Boucher, 25 ans, s'est réveillé mal en point un matin: le côté droit de son corps était complètement engourdi; il a perdu la vision de l'oeil droit et a ressenti une immense fatigue.

Entre l'hôpital et la maison

Les tests médicaux se sont multipliés. On croyait d'abord à la sclérose en plaque, puis à un cancer des muscles. On n'a rien trouvé. Mais son état ne s'améliorait pas.

«J'ai passé un an et demi entre l'hôpital et la maison et passé des tests à la tonne; j'étais couché tout le temps, raconte l'ancien entraîneur des Bulldogs de Hamilton et des Voltigeurs de Drummondville. Ça m'a pris au moins trois ans avant de pouvoir vivre normalement. Ç'a été très, très difficile pour elle. Ce n'est pas évident quand tu rencontres quelqu'un et que tu ne peux pas sortir quand tu veux, faire ce que les autres font, que tu restes constamment auprès de quelqu'un. Il faut que tu sois capable de penser à l'autre tout le temps, c'est très prenant. Les trois premières années où elle m'a connu, elle me voyait batailler tout le temps pour vivre du mieux que je le pouvais.»

«C'est pour ça qu'aujourd'hui, j'ai vécu la journée intensément avec mon épouse, poursuit-il. Nous avons une fierté de couple d'avoir persévéré. C'est facile de lâcher quand ça va mal. Je regarde notre cheminement, on a eu des enfants, mais c'est plus que ça. J'ai pris des décisions un peu spéciales. Je suis allé coacher à Rouyn-Noranda pour 12 000 $ comme adjoint il y a 14 ans, à une époque où les salaires n'étaient pas les mêmes. Quand tu as des années d'université dans le corps, que tu vis dans un minuscule appartement, ce n'est pas évident pour une fille d'accepter ça. Tu vis avec pas grand-chose, et à un moment donné, tu vis même à distance parce qu'elle était à l'université McGill.

«Elle a laissé ses rêves de côté pour les miens, ce n'est pas tout le monde qui ferait ça. Mais aujourd'hui est une journée improbable dans la vie d'un être humain. J'ai une vie improbable. Il fallait absolument qu'elle soit à mes côtés parce qu'elle représente ma force et de ma persévérance.»

Une dure épreuve

Guy Boucher n'en était pas à sa première épreuve. Déjà à 17 ans, il a vécu un drame. Son père Wilfred, actuaire de profession, a ressenti un malaise à la maison. On lui a diagnostiqué un cancer des os. Il est décédé deux semaines plus tard. Boucher, l'aîné, a multiplié les boulots à temps partiel pour aider la famille financièrement.

«L'adversité nous donne l'occasion de chercher les solutions, dit Boucher. On ne peut pas se tirer de tout, mais en général, tu choisis entre la solution ou continuer à sombrer. Les épreuves ont fait de moi l'entraîneur et l'homme que je suis aujourd'hui.»

L'entraîneur québécois a retrouvé la santé sans que les médecins n'identifient le virus dont il était atteint. «Ce ne fut pas agréable à vivre, mais il y a pire; ceux qui perdent leurs jambes, la vue ou qui sont malades et dépérissent au point de mourir. Quand tu sais que tu n'y passeras pas, tu te sens déjà plus privilégié que d'autres, malgré tout.»

Boucher, qui a obtenu un contrat de quatre ans à Tampa pour diriger Vincent Lecavalier, Martin St-Louis, Steven Stamkos et compagnie, a été touché par l'accueil du Lightning. «L'accueil a été extraordinaire du début à la fin. Il y a eu énormément d'attention aux détails, comme le Canadien de Montréal sait si bien le faire. On sent déjà l'effet Steve Yzerman, et celui du propriétaire Jeffrey Vinik, évidemment. Difficile pour une personne d'avoir plus d'honnêteté et d'intégrité que Steve Yzerman. C'est quelqu'un qui est beaucoup à l'écoute. Il est transparent. C'était sa réputation; mais quand on le côtoie, tous ses gestes traduisent ça. C'est un gars très intelligent, pour qui les valeurs sont très importantes.»

Le bon choix

La présence d'Yzerman lui a confirmé qu'il faisait le bon choix de se joindre à l'organisation du Lightning. Il refuse de confirmer qu'il a parlé aux Blue Jackets, même si les journaux de Columbus affirment qu'il a reçu une offre de leur part.

«Ç'a cliqué dès ma première rencontre avec Steve», mentionne Boucher, détenteur d'un bac en histoire, d'un bac en génie des biosystèmes, d'une mineure en bio de l'environnement et d'une maîtrise en psychologie sportive. «Mais comme nous sommes des gens qui faisons nos devoirs, ça prend du temps. Au fil de nos nombreuses conversations, ton opinion se forge tranquillement. C'est une décision qui est devenue claire à un moment donné.»

Et l'équipe?

Il éclate de rire quand son interlocuteur lui mentionne au téléphone que son nouveau club est instable devant le filet et sa défense très faible en relance. «Je n'irais pas jusque-là, mais on regarde évidemment nos forces et nos faiblesses et il faut corriger nos faiblesses. Mais il faut éviter de s'attarder uniquement à celles-ci. Il faut aussi maximiser nos forces. Sauf que je n'aurai pas une idée précise de l'équipe avant le repêchage et l'ouverture du marché des joueurs autonomes le 1er juillet. Il faut attendre de voir ce qui va se passer. Steve et moi commencerons à avoir plus de discussions sur la façon dont on veut faire les choses.»

Le dossier des entraîneurs adjoints n'est pas réglé. Impossible pour l'instant de savoir si ses adjoints de Hamilton, Martin Raymond et Dan Lacroix, le suivront dans l'aventure floridienne.

«Je n'ai même pas parlé à mes adjoints. Je m'occupais de mes affaires. Tout ce qui a été dit sur les adjoints, c'est de la spéculation totale. La réalité, c'est qu'ils appartiennent au Canadien et que je n'ai pas encore identifié mes besoins. Il faut d'abord que je sache le genre d'équipe que j'aurai. Je dois m'asseoir avec Steve Yzerman pour ça. Aucune démarche n'a été entreprise, mais j'ai plusieurs candidats.»

Du temps à la famille

Boucher voulait s'accorder quelques jours de vacances en famille avant d'entrer en fonctions. «Je dois établir un échéancier. En ce moment, juste remplir les papiers d'immigration, trouver une nouvelle maison, changer d'école pour les enfants, il y a tellement de choses à faire, en plus de mes nouvelles fonctions, c'est très flou pour moi.

«J'aimerais déménager le plus tôt possible, mais il y aura le repêchage, puis l'ouverture du marché des joueurs autonomes. Je n'ai pas arrêté depuis le septième match. Je veux d'abord ces prochains jours accorder du temps à ma famille et à mes enfants qui m'attendent depuis des mois. Vincent va avoir huit ans le 24 juin et les jumelles ont six ans. On leur a expliqué la situation. Ce qu'ils ont compris, c'est qu'ils allaient être proches de Walt Disney!»

Guy Boucher a vécu des drames, mais aussi des événements d'une rare exaltation. N'est-ce pas l'apanage des gens au destin exceptionnel?