Kerry Fraser a vécu quelques-uns des moments forts de sa carrière dans la poudrière de la rivalité Canadien-Nordiques. Il y a 15 ans déjà que les Fleurdelisés ne sont plus. Mais l'arbitre au célèbre toupet, lui, est toujours là. Mais plus pour longtemps: il prend sa retraite le 11 avril, après trois décennies dans la Ligue nationale de hockey, un record. La Presse l'a rencontré.

Vingt-trois ans plus tard, Kerry Fraser n'en démord pas: le fameux but d'Alain Côté n'était pas bon.

Fraser, qui s'apprête à mettre un terme définitif à une carrière de 30 ans dans la LNH, restera du même avis jusqu'à son dernier jour. «Je ne pourrais pas me regarder en face si j'avais accordé ce but», m'a-t-il dit hier dans une longue entrevue, quelques heures avant d'arbitrer son dernier match à Montréal.

Rappel pour les plus jeunes: l'histoire se passe le 28 avril 1987, au Forum, dans le cinquième match de la série Canadien-Nordiques. Avec trois minutes à faire et un pointage de 2-2, Alain Côté, des Nordiques, bat Brian Hayward d'un tir de l'enclave. Mais Fraser juge que Paul Gillis a causé de l'obstruction aux dépens du gardien du Canadien. Il refuse immédiatement le but. Michel Bergeron pète les plombs derrière le banc des Bleus. Rien n'y fait. Gillis aboutit au banc des punitions avec Mats Naslund, qui l'avait poussé. Quelques secondes plus tard, le Canadien marque. Le vent a tourné. Le CH gagne la partie et remporte la série en sept matchs.

Vingt-trois ans plus tard, on en parle encore. Mais Fraser ne regrette rien. Serge Savard, à l'époque directeur général du Canadien, lui avait envoyé une bande vidéo l'été suivant qui démontrait clairement, selon Fraser, qu'il avait pris la bonne décision. «Paul Gillis a accroché le patin de Brian Hayward avec sa jambe, puis a utilisé son bâton sur le torse du gardien pour le tirer hors de son filet pendant qu'Alain Côté s'apprêtait à lancer de l'enclave. Tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas sortir le gardien de son filet. J'avais une fraction de seconde pour prendre une décision. J'ai sifflé avant même que le lancer ne quitte la palette de Côté et j'ai refusé le but.»

Fraser avait eu une discussion très animée avec Bergeron dans le hall du Forum après le match. Mais les deux hommes, qui ont tous deux commencé leur carrière dans la LNH en 1980, ont enterré la hache de guerre depuis longtemps. Bergeron m'a raconté que lorsqu'il a fait une crise cardiaque, Fraser a été parmi les premiers à l'appeler à l'hôpital. Hier, avant la rencontre, les deux ont échangé une franche poignée de main. «C'est devenu moins le fun depuis que Michel est parti», a lancé Fraser avec un grand sourire.

Le syndrome des petits

Démonisé à Québec, Fraser est encore plus détesté à Toronto. En prolongation du sixième match de la demi-finale Toronto-Los Angeles, en 1993, il avait, de son propre aveu, manqué une punition pour bâton élevé à Wayne Gretzky, privant les Leafs d'une supériorité numérique. Gretzky avait donné la victoire aux Kings peu après, avant de réussir un tour du chapeau dans le septième match.

Ces épisodes difficiles n'ont pas empêché Fraser de se bâtir une excellente réputation. Il demeure l'arbitre le plus apprécié des joueurs, selon un sondage effectué par ESPN récemment. Le quart d'entre eux le placent au sommet de leur palmarès personnel. «Ça signifie beaucoup pour moi», dit le natif de Sarnia.

Pas particulièrement grand, Fraser a réalisé tôt dans sa carrière qu'il devait lutter contre la perception qu'il était arrogant. «Il fallait que je surmonte le syndrome des petits. J'ai compris qu'il fallait que j'établisse de bonnes relations avec les joueurs. Mon plan a été d'écouter avant de parler et de toujours contrôler mes émotions. Ça a marché.»

Fraser arbitrera son dernier match le 11 avril, à l'occasion d'un affrontement entre les Flyers de Philadelphie - sa ville d'adoption - et les Rangers de New York. Le vétéran de 57 ans, père de sept enfants et cinq fois grand-père, a obtenu de la Ligue nationale le privilège de conclure sa carrière en arbitrant des matchs des six équipes originales.

Encore Canadien-Nordiques

Fraser prévoit publier en août un livre dans lequel le récit de sa dernière saison sera entrecoupé de souvenirs de sa longue carrière. Le septième match de la série Canadien-Nordiques de 1985 risque d'y figurer en bonne place. Les Fleurdelisés l'avaient emporté en prolongation grâce à un but de Peter Stastny aux dépens de Steve Penney.

«J'avais 32 ans seulement et c'était mon deuxième match dans cette série. La ville et la province n'en avaient que pour cette partie. J'étais arrivé à Montréal tôt la veille et tout le monde, du préposé aux bagages de l'aéroport au réceptionniste de l'hôtel en passant par le chauffeur de taxi, m'appelaient par mon nom. C'était un peu déconcertant pour un jeune arbitre comme moi.»

La situation était d'autant plus stressante que tous avaient encore en tête les images disgracieuses du match du Vendredi saint, un an plus tôt. «L'intensité était telle qu'on n'avait qu'à respirer pour la sentir, dit Fraser. Ce n'était pas juste sur la glace, c'était partout.»

Finalement, les choses s'étaient bien passées pour Fraser et ses deux juges de lignes, John D'Amico et Ray Scapinello. «Nous n'avions pas été un facteur dans le résultat, et nous avions permis aux joueurs d'exprimer leur talent. La meilleure équipe l'a emporté, mais ça aurait pu pencher de l'autre côté. On ne peut demander mieux.»

Il ne fait aucun doute que Fraser rejoindra D'Amico et Scapinello au Temple de la renommée du hockey. Quand le rideau tombera sur sa carrière, il aura arbitré le total record de 1904 matchs en saison régulière, en plus de 261 parties en séries éliminatoires. Personne n'a arbitré aussi longtemps, ni à un âge aussi avancé, que l'homme à l'indestructible toupet roux.

Sa coupe de cheveux est née lors de vacances en Floride, en 1987. «Avant, j'avais une coupe Beatles. Ma femme Kathy m'a dit que je devais faire quelque chose et ça a donné ma coupe actuelle. À mon match suivant, entre les Rangers et les Islanders, Pat Price ne m'avait pas reconnu. Il m'avait demandé si j'étais venu à l'aréna en décapotable!» raconte Fraser en riant.

Obligé de porter le casque depuis 2006, Fraser ne cache pas qu'il s'ennuie du temps où les arbitres, dont le nom apparaissait sur leur chandail, étaient plus que de simples numéros. «Je ne prétends pas que nous faisions le spectacle, mais nous faisions partie du jeu. Au même titre que les descripteurs comme Dick Irvin, Danny Gallivan ou Foster Hewitt, nous avions chacun notre personnalité, comme les entraîneurs avaient la leur. Les gens nous reconnaissaient. Maintenant, il n'y a qu'une seule saveur, la vanille.»

Photo: François Roy, La Presse

Kerry Fraser, âgé de 57 ans, prendra sa retraite à la fin de la saison.