Jouer dans la LNH, c'était leur but. Leur rêve. Pendant des années, ces quatre hommes ont gravi les échelons du hockey dans l'espoir de patiner un jour avec les plus grands. Mais leur rêve a pris fin de façon parfois abrupte, de façon parfois imprévue. Rencontre avec quatre anciens joueurs qui y étaient presque.

Mathieu Chouinard n'a pris part qu'à un seul match dans la LNH, mais il s'en souvient très bien. En fait, il se souvient de tout. Du moment précis où l'entraîneur l'a envoyé sur la glace. Des minutes et des secondes sur le cadran. Du nom des adversaires qui ont lancé sur lui.

Il se souvient de ses parents qui avaient fait le voyage pour le voir, lui, le gardien réserviste des Kings de Los Angeles.

«Je ne sais pas pourquoi, mais j'avais un feeling que j'allais jouer, alors j'ai fait venir mes parents en avion, se souvient Chouinard, qui a 30 ans aujourd'hui. C'était un match à Anaheim pendant la saison 2003-04. Les Ducks menaient 6-3 en troisième, et l'entraîneur Andy Murray m'avait envoyé devant le but pour prendre la place de Cristobal Huet. Mais avec un score de 6-3, Murray me demandait toujours de rentrer au banc pour être remplacé par un sixième attaquant. Ça fait qu'en tout, j'ai joué pendant deux minutes et 43 secondes!»

Deux minutes et 43 secondes, c'est la durée de la carrière de Mathieu Chouinard dans la LNH. Premier choix des Sénateurs d'Ottawa en 1998, ce gardien originaire de Laval n'a plus jamais joué dans la LNH par la suite. «C'est l'un des plus beaux moments de ma vie... J'ai reçu deux tirs ce soir-là, et je me souviens des joueurs qui avaient lancé: Martin Skoula, et Sergei Fedorov. J'ai donc un pourcentage d'arrêts de ,1000 dans la LNH!»

Aujourd'hui, Mathieu Chouinard trouve le moyen d'en rire. À l'époque, par contre, il ne riait pas. À la fin de la saison 2003-2004, son agent n'avait pu lui trouver du boulot dans la Ligue américaine de hockey. Résultat? Un séjour forcé dans la East Coast League, pour un salaire de 750 $ US la semaine, appartement fourni.

«C'est là que je me suis écoeuré. Je n'avais plus de plaisir à jouer au hockey, fallait que j'arrête. J'étais tanné de me promener. J'aurais pu aller jouer en Europe, mais je n'avais pas le goût de revenir de là à 35 ans sans trop savoir quoi faire de ma vie.»

Chouinard est aujourd'hui représentant pour une compagnie de transport à Laval. Il est aussi journaliste pour l'hebdo Nord Info («joueurnaliste», précise-t-il), en plus d'être entraîneur adjoint au Collège Saint-Laurent.

«Si c'était à refaire, je mettrais plus d'accent sur les études. Quand t'es jeune, un plan B, tu ne connais pas ça. Tu passes du midget AAA au junior, t'es pris dans l'engrenage, et tu ne penses à rien d'autre qu'au hockey. Tout le monde te met dans la tête qu'un jour, tu vas jouer dans la LNH et faire des millions.»

Mathieu Chouinard a mis fin à sa carrière de gardien en 2006, après un détour dans la Ligue nord-américaine de hockey. Il n'a pas remis les jambières et le masque depuis.

Des regrets?

«Non. Mais des fois, c'est sûr, quand je vois mes chums qui jouent dans la LNH, avec leur grosse voiture et leur grosse maison... Pascal Dupuis, c'est un ami d'enfance, et il a gagné la Coupe Stanley avec Pittsburgh. C'est fou. Si les Sénateurs m'avaient permis de jouer dans la LNH à 19 ans, je serais encore là. Mais ils m'ont tassé de leur club-école pour faire de la place à Ray Emery. J'ai eu une dispute contractuelle avec eux, et avec le recul, ce n'était peut-être pas la meilleure décision; dans ce temps-là, les dirigeants des Sénateurs avaient tenu tête à Alexei Yashin.

«Alors non, pas de regrets. Mais c'est sûr que des fois, je me dis que ç'aurait pu être moi.»

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Même après toutes ces années, Alain Héroux se fait encore reconnaître de temps en temps. «J'étais dans un magasin de meubles l'an dernier, et le vendeur m'a demandé si j'étais bien le Alain Héroux que le Canadien avait repêché en première ronde... C'est drôle. Ça fait quoi, 25 ans?»

Bientôt 28 ans, en fait. Oui, ce Alain Héroux est bien celui qui fut jadis repêché en première ronde par le Canadien. De nos jours, l'homme de 45 ans est représentant pour une compagnie de portes et fenêtres à Terrebonne. Mais en 1982, c'est lui que le CH avait choisi au premier tour du repêchage, le 19e joueur à être sélectionné cette année-là. Trois rangs juste après Dave Andreychuk, qui finira sa carrière dans la LNH avec 640 buts...

Alain Héroux, lui, n'a pas donné un seul coup de patin dans la Ligue nationale de hockey.

«J'étais le choix du directeur général Irving Grundman, explique-t-il. Mais Grundman a été remplacé par Serge Savard, et je n'étais pas le choix de Serge Savard. C'est comme ça que ça fonctionne au hockey. Quand la direction du Canadien a changé, les données ont changé pour moi aussi. Ils ne m'ont pas donné ma chance. Je les comprends, je n'étais pas leur choix.»

Alain Héroux le dit souvent: il a tourné la page. Pourquoi s'accrocher au passé? Les regrets, l'amertume, très peu pour lui. «Le hockey est ainsi fait. C'est une minorité qui aboutit dans la LNH», dit-il en rappelant au passage que son frère Yves, lui, a joué un match avec les Nordiques lors de la saison 1986-87.

En tout, Alain Héroux a passé deux saisons dans l'organisation du Canadien, dont la dernière, celle de 1984-85, avec le Canadien de Sherbrooke, le club-école champion de la Ligue américaine cette saison-là. Un club qui misait sur plusieurs futurs gagnants de la Coupe Stanley de 1986, incluant un certain Patrick Roy. «Je n'ai pas joué une seule fois en séries, mais j'étais le co-chambreur de Patrick ce printemps-là... je ne sais pas s'il s'en souvient», se demande l'ancien attaquant.

C'est en septembre 1985 qu'Alain Héroux a décidé qu'il en avait assez. Invité au camp des Penguins de Pittsburgh, il n'a pu obtenir un contrat. Un peu désabusé, il a choisi de rentrer chez lui.

«J'ai arrêté à l'âge de 21 ans. Je voulais retourner à l'école, et finalement, je suis devenu représentant pour une compagnie de bâtons de hockey. C'est sûr que si je me mets à y penser, je me dis que j'aurais pu faire ça différemment. Mais j'ai oublié tout ça.»

Reste les souvenirs. Son moment de gloire, Héroux l'a vécu sur la glace du défunt Forum, lors d'une rencontre préparatoire face aux Flyers de Philadelphie. «C'était mon premier match préparatoire, et j'ai marqué à ma deuxième présence, raconte-t-il. J'ai déjoué Michel Larocque.»

Avant de retourner au boulot, Alain Héroux lance une dernière phrase. «Au moins, je peux dire que j'ai marqué un but au Forum de Montréal...»

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En fouillant un peu sur l'internet, on réalise que les fidèles des Blackhawks de Chicago sont un peu durs envers Éric Lecompte. Des fans le qualifient de flop (bust en anglais), ou encore, de pire choix de l'histoire du club. C'est vrai que les attentes étaient énormes envers Lecompte. Gros attaquant (6'4, 215 livres), le Montréalais avait tout pour réussir.

Du moins, c'est ce que les Hawks croyaient, et c'est pourquoi ils en ont fait leur premier choix au repêchage de 1993, le 24e au total. Mais une sévère blessure à un genou est venue tout foutre en l'air.

«À l'été 1995, je me suis fait reconstruire le genou, relate-t-il. À un moment donné, je voyais bien que d'autres joueurs de l'organisation passaient devant moi. J'ai demandé à être échangé.»

Les dépisteurs professionnels le disent souvent: pour réussir, il faut être à la bonne place au bon moment. L'ennui pour Éric Lecompte, c'est que dans la Ligue nationale, il a rarement été à la bonne place au bon moment. «J'ai finalement été échangé aux Ducks, et cela a donné un second souffle à ma carrière. Pierre Pagé était l'entraîneur, et il me voyait déjà sur le troisième trio de l'équipe, avec Matt Cullen.»

Mais quelques mois plus tard, Pagé était renvoyé pour être remplacé par... Craig Hartsburg, l'ancien entraîneur des Blackhawks! «Le même gars qui ne voulait pas de moi à Chicago, ajoute Lecompte. Quand j'ai appris ça, je me suis dit, ouf... Alors, j'ai accepté une offre de l'Europe à 24 ans. J'ai fini par passer ma carrière là-bas. En Suisse, on me donnait près de 150 000 $ par année sans impôt, et on me fournissait la voiture et l'appartement.»

Aujourd'hui, Éric Lecompte est entraîneur à temps plein au Collège Harrington, à Oka. «Je suis revenu au Québec pour être près de ma fille, qui est atteinte du syndrome de la Tourette. J'ai eu des belles saisons en Europe. Sans les blessures, peut-être que j'aurais pu faire carrière dans la LNH. Je pense que j'avais le talent.»

Il prend une pause, puis offre sa propre conclusion: «Le hockey, c'est une question de circonstances...»

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Benoit Doucet, lui, n'a jamais été repêché. Ce qui ne l'a pas empêché d'être invité au camp des Flames de Calgary, en 1985. «J'ai eu un très bon camp, et à un moment donné, je jouais avec Brett Hull, dit-il en fouillant dans ses souvenirs. Je me souviens qu'un soir, après un match préparatoire, les Flames ont dit à mon agent qu'ils allaient m'offrir un contrat.»

Mais les Flames du milieu des années 80 misaient déjà sur plusieurs bons attaquants, et Doucet, un ancien des Olympiques de Hull, n'avait pas le goût de perdre son temps dans la Ligue américaine. «J'aurais pu rester dans la Ligue américaine pour 35 000 $ par année, mais j'ai eu des offres pour aller jouer en Europe. J'ai joué 11 ans là-bas, je ne l'ai jamais regretté.»

Là-bas, Doucet épousera une Allemande et obtiendra la citoyenneté du pays, en plus d'une place sur l'équipe nationale. Dans le maillot allemand, il participera aux Jeux de Lillehammer et de Nagano, en plus de participer à la Coupe du monde de hockey en 1996. «Tout allait bien, j'étais à l'aise financièrement, et les clubs allemands me payaient en plus une voiture et une maison», précise-t-il.

C'est à la retraite que les ennuis ont commencé. Divorce. Mauvais placements. De l'argent prêté à des «amis» sans scrupule.

«J'ai perdu plus d'un million de dollars à cause d'investissements qui ont mal viré. J'ai investi dans des projets de certains amis, j'ai investi dans une compagnie qui fabriquait des équipements de premiers soins, et la compagnie a fait faillite. Au moment de prendre ma retraite il y a 10 ans, je n'avais aucun problème financier. Là, je suis obligé de me refaire financièrement. J'ai presque tout perdu.»

Parfois, les joueurs de hockey deviennent des cibles. Benoit Doucet en sait quelque chose.

«Quand les gens savent que t'as de l'argent, ils viennent te voir pour te parler de leurs projets. Mais ces projets-là tombent à l'eau, ce sont des flops, et tu ne revois plus jamais la couleur de ton argent.»

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Mathieu Chouinard, Alain Héroux, Éric Lecompte et Benoit Doucet ont chacun leur histoire.

Mais au final, c'est un peu la même conclusion, inévitable: ils n'auront pas été au bon endroit au bon moment. «Pour jouer dans la LNH, c'est souvent une affaire de timing», résume Éric Lecompte.

Un timing qui fait toute la différence entre le rêve et la réalité.

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4 JOUEURS, 4 DESTINS

Mathieu Chouinard

> Premier choix des Sénateurs d'Ottawa en 1998

> Le Lavallois n'a joué qu'un seul match dans la LNH, comme gardien réserviste des Kings de Los Angeles

Alain Héroux

> En 1982, choisi par le Canadien de Montréal au premier tour du repêchage, il fut le 19e joueur à être sélectionné cette année-là

> Ce hockeyeur de Terrebonne n'a pas joué en saison régulière dans la LNH

Éric Lecompte

> En 1993, premier choix au repêchage des Blackhawks de Chicago, il fut le 24e joueur à être sélectionné cette année-là

> Ce Montréalais n'a jamais disputé de match dans la LNH

Benoit Doucet

> Invité au camp des Flames de Calgary en 1985, ce Longueuillois n'a jamais été repêché

Photo: André Pichette, La Presse

Alain Héroux a été repêché en première ronde par le Canadien en 1982. Aujourd'hui, l'homme de 45 ans est représentant pour une compagnie de portes et fenêtres à Terrebonne.