Qui est Pierre Gauthier, au juste? Ça dépend à qui vous parlez. Ceux qui l'admirent vous décriront un homme flegmatique, un travailleur infatigable, le genre à toujours viser la perfection sans jamais compter ses heures. Ceux qui l'aiment moins vous décriront un homme dur à suivre, froid et distant, qui essaie toujours de tout contrôler.

Mais alors, qui dit vrai?

«On pourrait affirmer qu'il est un peu tout ça à la fois, répond Guy Charron, qui a été l'un des entraîneurs de Gauthier chez les Ducks d'Anaheim. Pierre s'assure toujours de garder une distance entre lui et ses employés. Il est très réservé. À Anaheim, on ne le voyait même pas aux soupers d'équipe!»

Des histoires du genre sur Pierre Gauthier, il y en a des dizaines. À Ottawa, certains membres des médias aiment encore raconter qu'il avait instauré une limite d'un seul biscuit par personne dans la salle média des Sénateurs. Une autre façon de tout contrôler, avait-on alors chuchoté...

Pierre Gauthier, c'est aussi celui qui avait juré ne pas être intéressé au poste de DG pour les Ducks d'Anaheim... avant d'accepter le poste en question quelques jours plus tard! C'est sous Gauthier que les Ducks ont échangé leur patineur le plus populaire, Teemu Selanne.

À Ottawa, l'ère Gauthier aura été brève - à peine trois saisons, de 1995 à 1998 - mais elle aura été marquée par des changements parfois brusques, comme le congédiement de l'assistant Pierre McGuire, aujourd'hui analyste à la télé. Lorsque contacté par La Presse pour discuter de Pierre Gauthier, McGuire a rapidement mis fin à la discussion. «Je préfère ne rien ajouter à ça», s'est-il limité à dire.

McGuire n'est pas le seul qui aime mieux passer son tour quand le nom de Pierre Gauthier est prononcé; d'autres intervenants du monde de la LNH. ont aussi refusé de parler à La Presse pour cet article. Incluant Pierre Gauthier lui-même.

«Ce qui est certain, c'est qu'il ne laisse personne indifférent», a résumé un dépisteur de la LNH.

En effet.

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C'est à titre de dépisteur chez les Nordiques de Québec que Pierre Gauthier s'est fait un nom. De 1979 à 1993, ce Montréalais érudit - il a complété ses études en éducation physique à l'Université Syracuse, ainsi qu'une maîtrise en Administration du sport à l'Université du Minnesota -, a été membre de l'équipe de dépisteurs des Nordiques, agissant comme dépisteur en chef pendant cinq saisons, de 1988 à 1993. On lui attribue plusieurs bons coups au repêchage, dont l'acquisition de l'attaquant suédois Mats Sundin, en 1989.

«On pouvait toujours se fier sur lui, se souvient Maurice Filion, ex-DG des Nordiques. Pierre faisait souvent de très bons choix au repêchage, des choix judicieux. C'est un gars qui sait où il s'en va.»

Après plusieurs saisons à flairer du talent pour les Nordiques, Gauthier obtient enfin un poste de DG chez les Sénateurs en décembre 1995. Les Sénateurs de Gauthier seront des séries à deux reprises, et atteindront le deuxième tour en 1997-98.

À Ottawa, toutefois, on semble surtout se rappeler de ses mauvais coups. Ses détracteurs évoquent le souvenir du repêchage de 1998, alors que Gauthier avait insisté pour repêcher un gardien, même si ses dépisteurs avaient à l'oeil Simon Gagné. Avec leur premier choix cette année-là, les Sénateurs ont donc opté pour Mathieu Chouinard, un gardien qui a pris part à un seul match dans la LNH... et pas dans l'uniforme des Sénateurs!

«Je suis sûr que tous les DG de cette ligue ont une histoire comme celle-là, pense Greg Millen, ancien gardien devenu analyste à la CBC. Je suis sûr que tous les DG ont en tête un mauvais choix au repêchage qu'ils aimeraient reprendre, ou un échange qu'ils aimeraient faire annuler. Ça fait partie du jeu. Mais en même temps, cette histoire vient prouver que Pierre est prêt à prendre des risques. Il était le DG, et il a tranché. Il a montré à tout le monde que c'était lui, le patron.»

C'est à Anaheim que Gauthier réussira l'un de ses meilleurs coups: un échange avec les Flames de Calgary, qui lui permettra de mettre la main sur le gardien Jean-Sébastien Giguère, en retour d'un choix de deuxième ronde au repêchage de 2000.

«Ce fut sa meilleure décision avec les Ducks, estime Brian Hayward, ancien gardien du Canadien devenu analyste pour les Ducks. Giguère est par la suite devenu le gardien de concession de l'équipe pendant toute une décennie. La folle aventure des Ducks en finale de la Coupe Stanley, en 2003, c'était avant tout grâce à Giguère.»

Mais Gauthier ne survivra pas jusqu'à la saison magique des Ducks de 2003; après trois saisons de misère et trois saisons sans séries, il se fait virer par les dirigeants de l'équipe en 2002.

«Il faut dire qu'il était arrivé à Anaheim à un moment difficile, explique Brian Hayward. Disney, qui était propriétaire du club, sabrait dans les dépenses. À une époque sans plafond salarial, Pierre devait se débrouiller avec l'un des plus petits budgets de la LNH. C'était une situation difficile pour lui; il devait obtenir la permission de Disney avant de pouvoir faire quoi que ce soit.»

Après une année en congé forcé, Pierre Gauthier est finalement embauché par Bob Gainey en 2003, à titre de directeur du recrutement professionnel pour le Canadien. Sept ans plus tard, le revoici là où il adore se trouver: dans la chaise du DG.

«J'ai toujours apprécié le fait qu'il ne me mettait jamais de pression quand j'étais entraîneur pour lui, raconte Guy Charron, aujourd'hui entraîneur des Blazers de Kamloops. Pierre ne se mêlait jamais de nos décisions derrière le banc. Il nous appuyait, il nous laissait travailler. Tous les entraîneurs aimaient ça.»

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Après plus de 30 ans de travail dans l'univers de la LNH, après toutes ces années à marcher dans les corridors des arénas, Pierre Gauthier demeure ce qu'il a toujours été: une énigme. Un type qui est dur à suivre, que personne ne semble très bien connaître.

En fait, même ceux qui le connaissent très bien affirment ne pas le connaître si bien que ça! «On ne s'est jamais vu à l'extérieur de la glace», avoue Guy Charron.

«C'est un grand solitaire, répond Jean Perron, l'ancien entraîneur du Canadien qui a travaillé avec Gauthier chez les Nordiques. On voyageait souvent ensemble en Europe pour faire du dépistage, et dès qu'on arrivait quelque part, Pierre disparaissait en cinq minutes. Il préférait se retrouver seul. Les seules fois où je le voyais, c'était au moment du jogging le matin... Il ne partage pas ses opinions avec tout le monde, et il ne parle pas pour rien.»

Même genre de réponse du côté de Brian Hayward. «Pierre? Je ne le connaissais pas trop, parce qu'il avait l'habitude de tout garder pour lui. Il ne laissait jamais rien couler à qui que ce soit. Il ne voulait rien dévoiler, ne voulait rien dire à personne. Je l'ai côtoyé, mais je ne peux pas dire que je le connais vraiment...»

Greg Millen estime que le Canadien a fait un excellent choix. «C'est Pierre qui a contribué à faire des Sénateurs une organisation respectée, résume-t-il. C'est son arrivée qui a apporté de la stabilité à cette équipe. Pierre est un gars intense, il l'a toujours été. Je suis sûr qu'il le sera aussi à Montréal.»

C'est de cet homme que le Canadien hérite. Un homme taciturne et effacé, qui adore ne pas être vu. Au bout du compte, on ne jugera pas Pierre Gauthier sur ses qualités et ses défauts; on va le juger au nombre de bagues de la Coupe Stanley qu'il aura aux doigts quand ce sera terminé. Comme on le fait toujours à Montréal.

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Le cheminement de Pierre Gauthier

> Né à Montréal, en 1953, fils de l'avocat Wilbrod Gauthier.

> Premier emploi dans la LNH: dépisteur à temps partiel pour les Nordiques de Québec, en 1979. Deviendra éventuellement dépisteur en chef pendant cinq saisons chez les Nordiques, de 1988 à 1993.

> Deux ans à titre de DG adjoint des Ducks d'Anaheim, de 1993 à 1995.

> DG chez les Sénateurs d'Ottawa, de décembre 1995 à 1998.

> DG chez les Ducks d'Anaheim, de 1998 à 2002.

> Embauché par Bob Gainey et le Canadien à titre de directeur du recrutement professionnel, en 2003.

> Devient DG du Canadien le 8 février 2010.