À 3 ans, Michael Cammalleri patinait déjà. À 9 ans, il était la star de la «mini-LNH» de Toronto. À 13 ans, il menait son équipe au championnat du tournoi pee-wee de Québec. À 17 ans, il dominait le circuit universitaire américain. À 28 ans, on lui demande maintenant d'être le meilleur franc-tireur de la concession depuis Stéphane Richer. Un défi à la hauteur de ses ambitions.

L'histoire se passe en février 1996. Le Tournoi international de hockey pee-wee de Québec va bientôt commencer et les Red Wings de Toronto sont parmi les favoris pour tout rafler dans la catégorie AA. Mais voilà que dans l'entourage des Wings, la machine à rumeurs s'emballe à propos d'une équipe de Boston. On murmure que les joueurs des Flames du Massachusetts sont plus rapides. Plus gros. Plus forts. On chuchote, horreur, qu'ils peuvent vaincre les puissants Red Wings.

On organise à la hâte un match hors-concours contre l'équipe américaine, sur la patinoire d'un centre commercial de Québec. Les parents des jeunes Torontois s'agitent. Il paraît - les rumeurs, encore - que des recruteurs vont assister à la rencontre. Certains réclament de l'entraîneur Craig Clark qu'il abandonne sa politique de jouer à trois trios et qu'il donne plus de temps de glace aux stars de l'équipe.

Clark, qui guide le groupe de joueurs depuis quatre ans, est un homme de principes. Et il finit par en avoir assez.

«Il est entré dans le vestiaire, furieux. Il nous a lancé: 'Vous pensez être capables de les battre? Ben allez donc les battre tous seuls!' Et les coachs sont allés regarder le match du haut des gradins. Nous avions 13 ans, nous affrontions une équipe censée nous battre et nous n'avions plus d'entraîneurs! Nous avons demandé au frère cadet d'un des joueurs de s'installer derrière le banc - il devait avoir 10 ans! -, nous avons décidé de faire alterner nos trois trios comme d'habitude... et nous avons gagné 4-0. Personne n'allait nous battre après ça. Ça a été une grande leçon de leadership et d'esprit d'équipe.»

Quatorze ans plus tard, attablé dans un restaurant du Vieux-Montréal, le capitaine des petits Red Wings, Michael Cammalleri, rigole en racontant l'anecdote. Les Red Wings avaient finalement remporté le tournoi - «l'équivalent au hockey de la série mondiale des petites ligues», comme il l'appelle - en battant Drummondville en prolongation lors de la finale, dans un Colisée plein à craquer et acquis à la cause de l'équipe québécoise. Cammalleri avait marqué le but égalisateur, tard en troisième période.

«Je n'aime pas trop repenser à mes buts importants. C'est agréable de verser dans la nostalgie de temps en temps, mais dans la vie, ce qui compte c'est que tu vas faire, pas ce que tu as fait. Ce qui compte, c'est le prochain gros but que tu vas marquer. Alors je ne veux pas trop revenir en arrière. Mais ce but-là, avec le stress de jouer devant 13 000 personnes qui appuyaient l'autre équipe... wow!»

Des expériences comme celles-là aident à comprendre pourquoi Cammalleri n'a pas hésité à signer un contrat de cinq avec le Canadien l'été dernier. Les 30 millions de dollars que lui a accordés Bob Gainey n'ont pas nui, c'est évident. Mais il fallait être prêt à composer avec la pression qui existe dans un marché comme celui de Montréal. Et Cammalleri était prêt. Depuis longtemps.

«Michael est un grand romantique et l'idée de jouer pour le Canadien de Montréal l'attirait, dit son père, Leo. Les gens disent qu'il y a de la pression à Montréal, mais Michael vit avec la pression depuis l'âge de neuf ans. Ici, à Toronto, il était comme sous un microscope.»

Une mini-LNH

Aux côtés de sa soeur cadette, Melanie, Michael Cammalleri a grandi à Richmond Hill, une banlieue cossue de Toronto. Son père, immigré d'Italie quand il était enfant, est propriétaire d'une entreprise d'imperméabilisation; sa mère, Ruth, d'origine juive, est technicienne en radiologie.

Le jeune Michael n'avait que trois ans quand il a donné ses premiers coups de patins, sur un étang gelé de Richmond Hill. Il a fait ses débuts au hockey l'année suivante, son père ayant menti sur son âge pour qu'il puisse jouer avec les enfants de cinq ans. À neuf ans, il s'est joint aux Red Wings, qui évoluaient dans la ligue métropolitaine de Toronto, la puissante MTHL.

«Il y avait les Red Wings, les Mississauga Reps, qui jouaient dans uniforme des Blackhawks de Chicago, les Canadiens de North York, les Marlies, qui représentaient les Maple Leafs. C'était comme une mini-LNH», raconte Cammalleri. Les Wings disputaient leurs matchs locaux le vendredi soir, à l'aréna de Chesswood, dans le nord de la Ville reine, dans une atmosphère digne de Friday Night Lights. «Il y avait tellement de hype. L'énergie et les vibrations dans l'aréna étaient incroyables, on avait l'impression que le match serait à Sportscentre

Les idoles de Cammalleri s'appelaient Pavel Bure, Joe Sakic et Wayne Gretzky. Et il leur faisait honneur. «De tous mes joueurs, il était de loin le meilleur, dit Clark. Il avait les meilleures mains, les meilleures aptitudes. Et surtout, il avait une qualité unique : il rendait meilleurs les joueurs qui l'entouraient. Il était la bougie d'allumage de l'équipe et n'avait pas une once d'égoïsme en lui.»

Des rencontres déterminantes

Quand il a accordé à Cammalleri son lucratif contrat, l'été dernier, Bob Gainey n'a pas seulement mis la main sur un tireur d'élite qui venait de marquer 39 buts pour les Flames de Calgary. Il a aussi ajouté à sa formation un maniaque du détail aux habitudes de travail exemplaire.

«Mike est un gars mature et il prend sa carrière très au sérieux. Il sait que pour avoir du succès, il faut travailler fort et essaie toujours de nouvelles choses pour s'améliorer», dit Luc Robitaille, qui a servi de mentor à Cammalleri chez les Kings de Los Angeles, à ses deux dernières saisons dans la LNH.

Cammalleri n'est pas devenu ainsi par accident. Comme n'importe quel athlète, il a été façonné par les rencontres qu'il a faites au cours de sa carrière. Craig Clark et son co-entraîneur, Guy Dion, notamment, ont eu une influence déterminante. «Craig avait des valeurs admirables, dit Leo Cammalleri. Il a toujours mis l'accent sur les habiletés, la persévérance et le travail.»

Mais ils n'ont pas été les seuls. À 15 ans, après une seule année chez les bantams, Cammalleri a fait le saut directement dans le junior Tier II, avec les Blues de Bramalea, dirigés par Lindsay Hofford.

«Lindsay est l'un des cerveaux de hockey les plus brillants que j'ai rencontrés. J'ai beaucoup appris de lui, dit Cammalleri. Il était très fort tactiquement - et un peu fou, parfois intimidant. Quand je suis arrivé dans la LNH, j'avais joué pour des coachs tellement intenses que c'était presque rafraîchissant de jouer pour des entraîneurs comme Crawford et Mike Keenan!»

Cammalleri avait déjà décidé que son avenir passait par l'université et non par le junior majeur. «Mon père me parlait beaucoup de Ken Dryden (qui a terminé son diplôme à Cornell avant de se joindre au Canadien). Il me rappelait que la Ligue nationale avait attendu après lui pendant qu'il était à l'école. Mon père a toujours insisté sur l'importance de l'éducation.»

Hofford avait envoyé plusieurs de ses joueurs à Michigan State, y compris Mike York, Mike Weaver et Adam Hall, qui ont tous joué dans la LNH. «Lindsay n'a pas été égoïste. Il a été de très bon conseil. Il m'a dit «ne reste pas plus de deux ans assez dans le Tier II, sinon tu vas stagner. Il faut que finisses ton secondaire plus rapidement pour pouvoir jouer universitaire à 17 ans. Alors, j'ai commencé à suivre des cours d'été et des cours du soir, en plus de toutes les heures que je passais à jouer au hockey. Ça a été deux années ardues.»

Heureusement, il était un bon élève et il est débarqué à l'Université du Michigan à l'automne 1999. Parmi les autres recrues des Wolverines cette année-là figurait Jed Ortmeyer, aujourd'hui avec les Sharks de San Jose. «Ortmeyer avait 21 ans. C'est lui qui payait la bière!», dit Cammalleri, le bébé de l'équipe, à 17 ans.

Michael Cammalleri a remporté le Tournoi international de hockey pee-wee de Québec avec les Red Wings de Toronto en 1996.

Miracle à la «Guerre froide»

Au Michigan, Cammalleri a eu le privilège de participer à la «Cold War», ce match en plein air disputé devant 74 544 personnes, dans le stade de football de Michigan State, le 6 octobre 2001.

Cammalleri ne devait même pas être en uniforme ce jour-là. Il s'était déchiré le muscle fléchisseur de la hanche pendant l'été et avait de la difficulté à patiner. «Après ma sieste d'avant-match, j'étais incapable de lever ma jambe, raconte-t-il. J'ai appelé mon père, qui était là avec le reste de la famille, pour lui dire que je ne pourrais pas jouer. Mais quand je suis arrivé au stade dans l'autocar de l'équipe, c'était fou comme ambiance et je me suis dit qu'il fallait que j'essaie. On m'a bandé la hanche et la blessure a littéralement disparu pendant le match!» Score final: 3-3, avec deux buts et une mention d'aide pour la première étoile de la rencontre, Mike Cammalleri. «Il raffolait des gros matchs et avait le don de briller quand ça comptait», dit Berenson.

Même s'il n'a pas complété son diplôme, Cammalleri a adoré son expérience dans la NCAA. «Ce n'est pas une option qui convient à tout le monde. Certains sont mieux dans le junior. Mais pour moi, c'était le meilleur endroit pour devenir un joueur de la LNH, pour améliorer mon jeu et travailler sur ma musculature. Et ça a fini par être la meilleure manière possible pour développer ma personnalité.»

«L'éducation que tu reçois ne se limite pas à la patinoire et à la salle de classe. Tu interagis avec des gens de toutes les origines, de toutes les races, de toutes les cultures et de tous les âges. Tu vis seul, tu bâtis des relations, tu apprends sur l'amitié, l'amour, la déception, toutes ces dynamiques qui façonnent ta personnalité. L'université offre ça. C'est ce qui manque dans le junior.»

«Comme un fils»

Mais après trois ans, deux participations au championnat du monde junior et autant d'éliminations crève-coeur lors du Frozen Four - la grand-messe annuelle du hockey universitaire américain -, Cammalleri, sélectionné par Los Angeles au 49e rang du repêchage de 2001, a fini par se laisser séduire par les sirènes de la LNH. Au grand dam de Berenson, qui n'a guère apprécié, cet été-là, de perdre coup sur coup les services de son meilleur attaquant et de son meilleur défenseur, Mike Komisarek.

À ses deux premières saisons dans l'organisation des Kings, Cammalleri a fait la navette entre L.A. et les Monarchs de Manchester, dans la Ligue américaine. Il y a fait la connaissance d'un entraîneur qui, dit-il, l'a traité «comme un fils»: Bruce Boudreau. «Je vivais des moments difficiles, car je n'avais pas l'impression que je méritais d'être rétrogradé. Bruce a compris ce que je traversais. Et il m'a beaucoup appris sur ce sport. Il me disait toujours: ce n'est pas comme un robinet que tu peux ouvrir et fermer. Tu dois toujours travailler à t'améliorer.»

Le courant a tout de suite passé entre les deux hommes. «Je m'identifiais à lui, car à l'époque où je jouais, j'étais moi aussi un petit joueur de centre qui excellait à l'attaque, dit Boudreau, aujourd'hui entraîneur des Capitals de Washington. Mike est l'un des joueurs les plus intelligents que j'ai dirigés. Je savais qu'il brillerait dans la LNH, car il a la confiance, les habiletés, l'intelligence et l'éthique de travail.»

Cammalleri a passé l'année du lock-out à Manchester et a été choisi joueur par excellence de la ligue. Les Monarchs ont toutefois été éliminés dès la première ronde des séries. «Il venait de finir deuxième au classement des pointeurs, il savait qu'il s'en retournait dans la LNH et pourtant, quand on a perdu le sixième match, il a pleuré dans le coin du vestiaire. Ce gars-là avait vraiment son équipe à coeur», dit Boudreau.

Au retour du lock-out, Cammalleri a commencé à donner la pleine mesure de son talent, avec une saison de 55 points, dont 26 buts, à Los Angeles. Et il a continué d'apprendre. «J'ai toujours aimé sa drive, dit Luc Robitaille, devenu président des opérations des Kings. Il observait constamment les autres joueurs pour devenir meilleur. Et si tu lui disais quelque chose, il n'oubliait jamais. Il me posait plein de questions sur le leadership, sur les joueurs que j'avais côtoyés comme Steve Yzerman et Brett Hull. Il marque souvent en lançant avec un genou par terre et ça, il l'a appris de Hull.»

Robitaille en connaissait lui aussi un bout sur l'art de marquer des buts et il s'est fait un plaisir de partager sa science avec son jeune coéquipier. «Luc me disait toujours, assure-toi de toucher le filet, ne le rate pas. C'était son message. C'est une question de pourcentage.»

Cammalleri a apprécié ses années à Los Angeles, mais les défaites à répétition des Kings ont fini par lui peser. La transaction qui l'a envoyé aux Flames de Calgary, lors du repêchage de 2008, a été une délivrance. «Au début, ce n'est pas si pire, car tu veux juste te faire une place dans la LNH. Ensuite, tu veux devenir un joueur d'élite sur lequel l'équipe peut compter. Mais quand tu y parviens, la victoire devient la seule chose qui compte. Ta joie dépend du fait que ton équipe compte plus de buts que l'adversaire. Ça devient frustrant d'aller travailler si cette récompense t'échappe.»

Avec Jarome Iginla, il a brillé à Calgary, terminant la saison avec une marque personnelle de 82 points. Mais les Flames, coincés par le plafond salarial, ne pouvaient plus s'offrir ses services quand son contrat est venu à échéance, l'été dernier. Et c'est comme ça qu'il a abouti à Montréal. Il n'a aucun regret. «Je savoure l'expérience. L'ambiance est tellement électrique au Centre Bell. J'ai des frissons quand je saute sur la glace, avec la foule déchaînée, les cris, les jeunes avec les drapeaux, les lumières.»

Sans le savoir, Cammalleri fait écho à son vieil entraîneur, Craig Clark. «Mike va exceller à Montréal. J'en suis certain. Parce qu'à Montréal, comme à Québec l'année où on a gagné le tournoi pee-wee, il y a la passion. Vous allez aimer Mike, parce qu'il est comme vous.»

Photo: AP

Michael Cammalleri avec les Wolverines de Michigan en 2001.