Hockeyeur, joueur de crosse, aviateur et pilote automobile, Jack Laviolette fut pendant 15 ans l'athlète le plus populaire à Montréal. Retour sur la vie mouvementée et spectaculaire du premier joueur du Canadien.

Jean-Baptiste Laviolette a été le premier joueur du Canadien de Montréal. Le premier capitaine de l'équipe. Le cofondateur du club. Trois faits d'armes qui assurent sa pérennité dans les encyclopédies du hockey. Mais l'histoire a oublié qu'il a aussi été l'athlète le plus casse-cou, le plus populaire et le plus progressiste de sa génération.

Pour avoir une idée de la grandeur du personnage, imaginez Guy Lafleur et Gilles Villeneuve dans un seul corps.

Comme Lafleur, Laviolette survolait la patinoire grâce à un coup de patin exceptionnel. «Un Français volant», commente La Presse en 1914. Un qualificatif qui a inspiré le surnom «Flying Frenchmen», dont était affublé le Canadien à cette époque. Et comme le Démon blond, le grand Jack avait le cheveu long et dans le vent.

«Laviolette sautait facilement par-dessus les bâtons des adversaires, tout comme un cheval passe facilement par-dessus les obstacles dans une course de turf. Il avait aussi une épaisse et large chevelure, une vraie crinière. Dans le temps, les joueurs portaient des tuques. À cause de sa vitesse, Jack perdait sa coiffure et ses longs cheveux flottaient au vent pour lui faire prendre la figure d'un bolide, d'un météore», s'est souvenu le journaliste Charles Mayer en 1960.

La métaphore du bolide n'est pas fortuite. Laviolette était un passionné de course automobile et ce, à une époque où il y avait bien plus de calèches que de voitures au centre-ville de Montréal. Son style casse-cou en a fait une idole du parc Delorimier, où plus de 5000 spectateurs s'entassaient les dimanches des années 10 pour assister à ses duels contre des pilotes anglais ou américains. Laviolette était aussi un pionnier de l'aviation. «Je n'ai jamais rencontré un homme aussi courageux», a rapporté son instructeur de vol dans La Presse en 1915!

Jack Laviolette et Gilles Villeneuve sont en quelque sorte faits du même bois. Au-delà de leur passion pour la vitesse, les deux hommes partagaient une fougue, un courage, un désir de sortir des sentiers battus.

Laviolette, qui est né en Ontario et a grandi à Valleyfield, a 22 ans lorsqu'il est recruté en 1902 par une équipe de hockey montréalaise. Un exploit pour un francophone: un seul Canadien français a alors remporté la Coupe Stanley! Deux ans plus tard, Laviolette devient le premier hockeyeur francophone à faire le saut chez les professionnels. Une hérésie dans le Québec français, où l'amateurisme est de rigueur.

En guerre contre le National

Son parti pris pour le professionnalisme l'éloigne du National de Montréal, la grande et puissante organisation qui fédère la crème des athlètes francophones. Pendant trois ans, il est contraint de s'exiler au Sault-Sainte-Marie, où il figure deux fois au sein de l'équipe d'étoiles de la Ligue internationale de hockey. En 1907, il revient avec l'équipe de crosse du National et prouve sa valeur en terminant en tête des marqueurs de l'équipe.

L'idylle est toutefois de courte durée.

En 1909, la ligue de crosse devient professionnelle. Laviolette conspire avec deux joueurs du National pour faire la grève et augmenter sa valeur. Le National, soutenu par une presse complaisante, tombe à bras raccourcis sur le joueur étoile. Les journalistes mettent en doute le patriotisme de Laviolette, qui nie l'histoire. S'il a raté des entraînements, dit-il, c'est pour être au chevet de son père malade.

«J'ai refusé de jouer pour les clubs (anglophones) Montréal et Shamrock, écrit-il dans une lettre ouverte. (Le Shamrock) m'offrait des avantages considérables et un salaire beaucoup plus élevé que le National. Je l'ai fait par patriotisme et afin de donner l'avantage à notre club canadien-français.»

Il se dit prêt à subir une diminution de salaire, quitte à revenir jouer gratuitement si le National a besoin de lui à la fin de l'année. Mais le National tient la ligne dure. Laviolette, malgré ses beaux discours, finira la saison avec les Anglais du M.A.A.A., les ennemis jurés du National.

Cet épisode laisse des cicatrices. En novembre 1909, le National est accepté dans la Eastern Canadian Hockey Association. C'est la première fois qu'une équipe francophone joint la meilleure ligue au pays. Pour faire une place au National, les Wanderers de Montréal sont exclus du circuit. Ceux-ci lancent donc une ligue rivale avec l'aide financière de la famille O'Brien de Renfrew. Les dirigeants des Wanderers ont une idée: créer un club francophone pour concurrencer le monopole du National sur les joueurs canadiens-français.

Et qui de mieux placé pour diriger cette nouvelle équipe que Jack Laviolette, qui est en froid avec le National?

C'est ainsi que le 4 décembre 1909, Jack Laviolette devient le premier capitaine du Canadien de Montréal. Pendant le mois qui suit, il livre une lutte épique au National pour la signature des joueurs francophones. Tous choisissent de s'aligner à ses côtés. En janvier 1910, le National s'incline. La ECHA est dissoute. Laviolette a remporté son pari.

Fin de carrière abrupte

Considéré comme le meilleur défenseur de la ligue, Laviolette pratique un style de jeu robuste qui le rend vulnérable aux blessures. Sa carrière gagne un deuxième souffle en 1915, lorsqu'il est promu ailier aux côtés de Didier Pitre et Newsy Lalonde. Ensemble, ils forment la plus spectaculaire ligne d'attaque de la jeune histoire de l'équipe et gagnent la Coupe Stanley en 1916.

Laviolette est encore dans la force de l'âge lorsqu'un grave accident de voiture, lors d'une banale promenade, met fin à sa carrière sportive en mai 1918. Son véhicule percute un poteau de fer. Son pied droit reste pris sous une pédale. Il est amputé. Il prend sa retraite du hockey avec 48 buts en 155 matchs de saison régulière avec le Canadien. Malgré son handicap, il vivra jusqu'à 80 ans. Il est décédé le 8 janvier 1960, deux ans avant d'être intronisé au Temple de la renommée du hockey.