Les partisans de longue date du Canadien de Montréal, qui célébrera son 100e anniversaire d'existence le 4 décembre, n'ont pas oublié l'époque où la conquête de la coupe Stanley était davantage une attente qu'un souhait.

Entre 1956 et 1979, soit une période couvrant 23 saisons, le Tricolore a raflé le précieux trophée en 15 occasions. Cette domination s'est amorcée avec la naissance d'une dynastie et s'est conclue avec la fin d'une seconde.

Alors, comment y est-il arrivé?

Des choix judicieux aux postes de directeur général et d'entraîneur en chef ont beaucoup aidé.

Remontons à l'époque des six équipes originelles.

Hector «Toe» Blake a été nommé entraîneur en chef du Canadien, le 8 juin 1955. On lui a confié une formation étoile réunie de toutes pièces par le directeur général Frank Selke fils et qui comprenait le gardien Jacques Plante, un quatuor de défenseurs formé de Doug Harvey, Dollard St-Laurent, Tom Johnson et Emile «Butch» Bouchard, de grands marqueurs tels Maurice Richard, Jean Béliveau et Bernard «Boum Boum» Geoffrion, deux combatifs ailiers en Dickie Moore et Bert Olmstead, et trois spécialistes de la défensive en Ken Mosdell, Floyd Curry et Claude Provost.

Ajoutez à cette liste le nom de Henri Richard, un joueur recrue âgé de 19 ans. Le frère cadet du Rocket et Don Marshall, un spécialiste des désavantages numériques, ont également aidé le Canadien à récolter cinq coupes Stanley consécutives, un record inégalé dans les annales de la Ligue nationale de hockey. Les adultes assez âgés pour avoir été témoins de ces exploits jureront, sur une pile de bibles, n'avoir jamais vu meilleure équipe.

Quel jeu de puissance! Harvey orchestrant l'attaque à cinq de la pointe gauche, «Boum Boum» perfectionnant le tir frappé de l'autre extrémité de la ligne bleue, Olmstead sortant le disque du coin de la patinoire, Béliveau, le fabricant de jeu par excellence, et le Rocket mettant la touche finale à ces furieuses attaques.

Durant ce règne de cinq ans, le Canadien a gagné 40 de ses 49 matchs éliminatoires et n'a jamais tiré de l'arrière lors d'une série. Blake a su motiver des joueurs dotés d'un riche talent.

Tout en douceur, le centre recrue Ralph Backstrom a été inséré dans la formation en 1958-1959 et Plante a changé le visage du hockey, l'année suivante, en arborant un masque. Lorsque le Canadien a tour à tour balayé les Black Hawks de Chicago et les Maple Leafs de Toronto au printemps de 1960, le patron des Leafs, Conn Smythe, a rendu l'hommage suprême à la troupe montréalaise.

«Nous avons été battus par la meilleure équipe de tous les temps», a-t-il clamé.

Léger creux de vague

Après la retraite de Maurice Richard en 1960, à l'âge de 39 ans, le Canadien a vu les Black Hawks sabler le champagne en 1961, puis ses grands rivaux de la Ville-Reine dominer la LNH pendant trois saisons d'affilée.

Le vent a de nouveau tourné en faveur du Canadien avec l'entrée en scène de Sam Pollock au poste de directeur général, en 1964.

La brigade défensive regroupait Jacques Laperrière, Jean-Claude Tremblay, Terry Harper, Ted Harris et Jean-Guy Talbot, qui avait vécu la gloire des cinq coupes Stanley de la fin de la décennie précédente. Béliveau, élu capitaine par ses coéquipiers en 1961, Backstrom et Henri Richard pivotaient avec brio les trios offensifs, appuyés par des ailiers tels Robert Rousseau et John Ferguson.

Lorsque l'attaquant Gilles Tremblay a été victime d'une fracture de la jambe droite tout juste avant Noël, Pollock a acquis les services de l'ailier gauche Dick Duff des Rangers de New York, le 22 décembre 1964, en retour de Bill Hicke, un autre attaquant.

Le Canadien a éventuellement mis fin au règne des Maple Leafs, les éliminant en quatre matchs en demi-finale, avant de vaincre les Black Hawks en sept rencontres lors de la série ultime.

Lors de cette finale, Claude Provost a anéanti les efforts du dangereux ailier gauche Bobby Hull et Lorne «Gump» Worsley a brillé devant le filet du Tricolore. Mais c'est à Béliveau qu'est revenu l'honneur de remporter le trophée Conn-Smythe, remis pour la toute première fois au joueur par excellence des séries éliminatoires.

Le Canadien était de retour au sommet et a défendu son titre avec succès au printemps de 1966, défaisant les Red Wings de Detroit en six rencontres en grande finale, après avoir perdu les deux premiers duels au Forum. Mais les Maple Leafs ont causé une énorme surprise en 1967, battant le Canadien en six matchs. Puis, la LNH a doublé ses effectifs la saison suivante passant de six à 12 équipes.

Appuyé par l'arrivée des recrues Serge Savard, Jacques Lemaire et Mickey Redmond, le Canadien a terminé au premier rang du classement général en 1967-1968 et n'a eu besoin que de 13 matchs pour gagner trois rondes éliminatoires, et la 15e coupe Stanley de son histoire.

Il s'agissait d'un huitième championnat pour Blake à titre d'entraîneur en chef et, à l'âge de 55 ans, après 13 ans à faire les cent pas derrière le banc de l'équipe, il a jugé qu'il en avait assez fait et remis sa démission.

Claude Ruel, recruteur en chef du Canadien, a succédé à Blake et le Tricolore a de nouveau terminé au premier rang du classement général. Yvan Cournoyer s'est vu confier une plus grande part de responsabilités et il est sorti de l'ombre grâce à des récoltes de 43 buts et 87 points. La formation montréalaise n'a eu besoin que de 14 matchs pour gagner le précieux trophée, et Savard est devenu le premier défenseur dans l'histoire de la LNH à se voir remettre le trophée Conn-Smythe.

Elimination et triomphe inattendu

Durement touché par les blessures - Savard a été victime d'une fracture d'une jambe et Béliveau s'est cassé une cheville - le Canadien a raté les séries pour la première fois en 21 saisons en 1969-1970, les Bruins buvant dans la coupe Stanley, un tour de force qu'ils n'avaient pas accompli depuis 1940-1941.

En décembre 1970, Ruel a cédé sa place à Al MacNeil et le Canadien a terminé la saison au troisième rang de sa section. Au premier tour des séries, le Tricolore avait rendez-vous avec les puissants Bruins, qui avaient devancé le Canadien par 24 points au classement et marqué 399 buts, dont 76 par Phil Esposito en 78 matchs.

Mais le Canadien devait jouer les trouble-fêtes. L'échange de Pollock lui permettant de mettre la main sur Frank Mahovlich - qui rejoignait ainsi son frère cadet Pete - a été d'une importance capitale, et le gardien recrue Ken Dryden est sorti de nulle part pour mériter le trophée Conn-Smythe après avoir disputé seulement six parties en saison régulière. Le Canadien a éliminé les Bruins en sept matchs, les North Stars du Minnesota en six rencontres puis les Black Hawks grâce à un gain de 3-2 lors du septième match, à Chicago.

«C'est la plus satisfaisante de mes 10 coupes Stanley, a lancé Henri Richard, après avoir été invité à classer cette conquête par rapport aux précédentes. C'est la meilleure, meilleure que les neuf autres parce que nous étions tellement négligés que c'en n'était même pas drôle.»

Bowman et Lafleur arrivent

La saison 1971-1972 en aura été une de transition chez le Canadien alors que Béliveau, l'un des plus grands centres de l'histoire et reconnu pour sa grande classe, a annoncé sa retraite, à l'instar du fougueux John Ferguson.

Une séance de sélection universelle avait été implantée et Pollock avait brillamment manoeuvré pour accumuler les choix au repêchage. Il a utilisé la toute première sélection de 1971, obtenue des pauvres Golden Seals de la Californie, pour réclamer Guy Lafleur.

Le 18 septembre 1971, une nouvelle ère commençait alors que Lafleur revêtait l'uniforme Bleu-Blanc-Rouge pour la première fois, lors d'une rencontre préparatoire, et Scotty Bowman amorçait une nouvelle étape de sa carrière derrière le banc du Canadien.

Les Bruins ont gagné la coupe Stanley au printemps de 1972, mais le Canadien l'a récupérée un an plus tard. Henri Richard était alors le capitaine, et il a fait graver son nom sur le trophée pour la 11e fois de sa carrière. Cournoyer, surnommé le Road Runner, en raison de sa petite taille et de son incroyable rapidité, a reçu le Conn-Smythe après le sixième match de la finale à Chicago.

Les Flyers de Philadelphie ont mérité la coupe Stanley en 1974 et 1975. Malheureux de sa situation contractuelle, Dryden a pris une année sabbatique, en 1973, et Mahovlich a choisi de joindre l'Association mondiale de hockey (AMH), un circuit rival fondé en 1972. Laperrière, qui n'appréciait pas jouer sous les ordres de Bowman, a annoncé sa retraite et Richard a accroché ses patins en 1975.

Le leadership se trouvait dorénavant dans les mains de Cournoyer, le nouveau capitaine, Lemaire et Savard. Lafleur était devenu le joueur étoile que tous attendaient, le jeune ailier gauche Bob Gainey prenait de plus en plus d'assurance et Dryden était revenu de son exil d'un an au sein d'un cabinet d'avocats. A compter du printemps de 1976, le Canadien devait remporter la coupe Stanley lors de quatre saisons consécutives.

Savard, Guy Lapointe et Larry Robinson formaient le «Big Three», un trio de défenseurs imposants et mobiles. Lafleur, champion marqueur pour une deuxième saison d'affilée, Lemaire et Steve Shutt ont totalisé 150 buts en 1976-1977. Cournoyer, Pete Mahovlich et Réjean Houle, de retour avec le Canadien après un séjour avec les Nordiques de Québec de l'AMH, formaient un deuxième trio de qualité. Yvon Lambert, Doug Risebrough et Mario Tremblay donnaient au Canadien une troisième unité des plus énergiques tandis que Gainey, Doug Jarvis et Jim Roberts tenaient en échec les meilleurs trios adverses.

Mais ça ne pouvait durer éternellement.

Des changements de personnel ont suivi. Pollock a quitté pendant l'été 1978; une sérieuse blessure au dos a poussé Cournoyer à la retraite après seulement 15 matchs, ce même automne; Bowman, déçu d'avoir été ignoré pour le poste de directeur général, a fait ses valises; enfin, Dryden et Lemaire ont annoncé leur retraite après le triomphe de 1979, avant la mi-trentaine.

Le Canadien avait accumulé 15 titres en 23 ans.

Incroyable!

La LNH n'a jamais rien vu de tel au fil des 50 ans où, pour la dernière fois, Maurice Richard paralysait un rival de son regard...