Le 20 avril 1984 au Forum de Montréal, Canadien et Nordiques s'affrontaient dans le cadre de la finale de la division Adams. La rivalité Montréal-Québec allait atteindre son paroxysme ce soir-là. Au final: deux bagarres générales, un joueur du Canadien assommé, quelques nez fracturés et une dizaine d'expulsions. Pour marquer le 25e anniversaire de ce qui a été baptisé le Massacre du Vendredi saint, La Presse a remonté le temps avec ceux qui étaient du match ce soir-là.

De la tension? Oui, on peut dire qu'il y avait de la tension au Forum de Montréal en ce vendredi soir d'avril 1984. Le Canadien et les Nordiques se préparaient à s'affronter dans le cadre du sixième match de cette série. L'enjeu? Une place en finale de conférence face aux puissants Islanders de New York. Mais le but premier était surtout de triompher dans la guerre du Québec, la «bataille de la 20», comme on le disait à l'époque. Et ça, c'était presque aussi important qu'une place en finale de conférence.

 

«C'était la guerre, les deux équipes voulaient prendre le contrôle de la province, se souvient le gardien Steve Penney, qui était devant le filet du Canadien ce soir-là. Tous les ingrédients étaient réunis pour que ça explose...»

On peut dire qu'il y a eu explosion, en effet. Au final, les joueurs des deux équipes ont écopé de 198 minutes de pénalité. Un patineur du Canadien, le défenseur Jean Hamel, a encaissé un coup de poing qui l'a envoyé à l'hôpital. Un joueur des Nordiques, l'attaquant vedette Peter Stastny, a dû quitter le Forum le nez cassé.

Pour ajouter au tableau, deux frères, Mark Hunter du Canadien et Dale des Nordiques, se sont retrouvés l'un par-dessus l'autre au cours de l'une des deux mêlées générales. Une scène surréaliste qui avait poussé René Lecavalier, le descripteur du match à Radio-Canada, à faire ce savoureux commentaire: «Un plongeon de Mark Hunter qui s'est jeté sur son frère... On aura tout vu!»

Le Canadien l'emportera finalement par la marque de 5-3, mais le score final demeure un détail. Ce que l'on retient, ce sont les taloches. Les deux bagarres générales.

Ce que l'on retient, c'est la rivalité.

«Tout a commencé en 1982 avec le but de Dale Hunter qui a éliminé le Canadien en séries, soutient Michel Bergeron, qui était l'entraîneur des Nordiques. Ce but-là a secoué les colonnes du temple. D'ailleurs, Irving Grundman (le DG du Canadien à l'époque) avait par la suite échangé quatre des cinq gars qui étaient sur la glace au moment du but de Hunter... Seul Bob Gainey avait été épargné!

«Avant les matchs Canadien-Nordiques, les gars des deux clubs étaient malades dans les vestiaires. On pouvait couper la tension au couteau. Moi, j'étais nerveux comme tous les autres. J'avais l'impression de charrier toute la ville de Québec sur mes épaules.»

Bien sûr, Michel Bergeron n'a rien oublié de ce fameux 20 avril 1984. «Je ne pourrai jamais l'oublier, parce qu'à chaque année, y'a du monde qui m'appelle pour m'en parler!» assure-t-il.

Pour souligner l'occasion, La Presse a contacté plusieurs membres des deux camps: John Chabot, Steve Penney, Guy Carbonneau, Jean Hamel et Steve Shutt, du Canadien, ainsi que Michel Bergeron, Michel Marois, Wilfrid Paiement, Jean-François Sauvé et Randy Moller, des Nordiques.

LE FIL DES ÉVÈNEMENTS

1ère période

Le match est à peine commencé et déjà, Mike McPhee du Canadien et Wilfrid Paiement des Nordiques engagent le combat.

WILFRID PAIEMENT: «C'est arrivé en partant en arrière du filet. Le Canadien menait 3-2 dans la série, on avait un travail à faire. On ne s'aimait pas, je peux vous dire ça...»

JOHN CHABOT: «On ne pensait jamais que ça irait jusque-là. Il y avait de la tension et de l'émotion, on le sentait en début de match, mais on ne pensait pas que ça airait aussi loin.»

5:12 Peter Stastny marque le premier but et c'est 1-0 Nordiques.

RANDY MOLLER: «C'est très dur de repenser à tout ça, parce que j'étais sûr qu'on allait gagner le match. On dominait au cours des deux premières périodes. Je me disais que si on pouvait retourner à Québec pour un septième match, on serait en bonne position...»

STEVE PENNEY: «On sentait que c'était sur le point de sauter. C'était le summum de la rivalité, on ne pouvait pas aller plus loin que ça. Et ces matchs-là étaient très durs physiquement. Bob Gainey a joué les deux épaules disloquées. C'est pas un mythe!»

2e période

20:00 - La tension grimpe d'un cran en deuxième, quand Dale Hunter charge Steve Penney à deux reprises. Après 40 minutes de jeu, c'est toujours 1-0 Nordiques... et les choses commencent à se gâter au son de la sirène, quand Dale Hunter se jette sur Guy Carbonneau près du filet québécois.

GUY CARBONNEAU: «Je m'en allais vers le filet de Daniel Bouchard. Il a mis la main sur la rondelle et j'ai essayé de la déplacer. Dale Hunter est arrivé par la suite en pensant que je cherchais à déranger son gardien. C'est là que tout a commencé. Faut dire que dans ce temps-là, ça ne prenait pas grand-chose...»

MICHEL BERGERON: «Il y a eu ça, mais ce qui a vraiment parti le bal, c'est quand Chris Nilan a sauté sur Randy Moller juste après...»

RANDY MOLLER: «Je me souviens qu'il y avait une mêlée, puis Nilan m'a frappé par derrière. Je n'étais pas prêt à ça et j'ai été coupé au-dessus d'un oeil, j'ai dû recevoir des points de suture. Il n'y avait plus de règles lors de ces matchs-là.»

MARIO MAROIS: «C'est l'incident Chris Nilan-Randy Moller qui a parti le bal. Après, ça a dégénéré. C'était pas chic...»

GUY CARBONNEAU: «C'est sûr qu'avec Mario Tremblay, Jacques Lemaire, Michel Bergeron, Dale Hunter, Peter Stastny et moi-même, on avait tous les éléments pour se haïr...»

Le calme semble être revenu quand, tout d'un coup, Louis Sleigher, des Nordiques, assomme Jean Hamel, du Canadien, d'un coup de poing sorti de nulle part.

JEAN HAMEL: «Les arbitres venaient de nous séparer. Je pensais que c'était fini, surtout que j'avais une épaule disloquée, alors ça ne me tentait pas vraiment de me battre... Mais Louis Sleigher avait un travail à faire. Dans ce temps-là, on jouait à cinq défenseurs et, en me sortant, les Nordiques savaient très bien qu'on allait tomber à quatre défenseurs. Ça faisait partie de leur plan de match.»

GUY CARBONNEAU: «Quand on a vu Jean Hamel tomber sur la glace, on a tous réalisé que c'était allé trop loin.»

STEVE SHUTT: «C'est vraiment à cause de ça que ça s'est gâté par la suite. Jean n'était pas un joueur salaud, il ne méritait pas ça. Le pire, c'est que lui et Sleigher étaient des compagnons de chambre la saison précédente avec les Nordiques!»

WILFRID PAIEMENT: «Jean était avec notre équipe la saison d'avant et je pense qu'il avait fait certains commentaires contre nous dans les journaux en arrivant en Montréal.»

JEAN HAMEL: «Avant le début de la série, j'avais dit que la clé face aux Nordiques, c'était de les frapper. J'imagine que ça avait mis le feu aux poudres...»

MARIO MAROIS: «Dans la mêlée, Louis s'est senti pris et c'est Jean Hamel qui a payé pour.»

JEAN HAMEL: «J'ai pris la direction de l'hôpital après ça. J'avais le nez cassé en plus de mon épaule disloquée. C'est pas des bons souvenirs.»

3e période

L'arbitre Bruce Hood tarde à annoncer les suspensions à la suite de la bagarre générale. Résultat: tous les joueurs sont de retour sur la glace lors de l'échauffement d'avant la période... et ça repart de plus belle!

MICHEL BERGERON: «Au vestiaire après la deuxième, Bruce Hood m'a dit d'envoyer quand même mes gars sur la patinoire... Quand l'annonceur maison a nommé les expulsés au micro pendant l'échauffement, Richard Sévigny (le gardien substitut du Canadien), qui venait d'être expulsé, s'est lancé sur Dale Hunter! C'est surprenant que personne n'ait été blessé sérieusement.»

WILFRID PAIEMENT: «À ce moment-là, c'était évident que l'arbitre avait perdu le contrôle.»

STEVE PENNEY: «L'arbitre a fait une erreur en attendant trop longtemps avant d'annoncer les suspensions. Je pense qu'ils ont banni les échauffements d'avant la période après ça...»

JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ: «La stratégie du Canadien, c'était de sortir nos meilleurs joueurs.»

MICHEL BERGERON: «C'est la LNH qui en est responsable, mais c'est Bruce Hood qui a payé la note. Si la ligue avait annoncé la liste des joueurs expulsés avant le début de la troisième période, il n'y aurait pas eu de deuxième bagarre générale. Ça aurait pu être évité.»

On finit par annoncer les suspensions: Dale Hunter, Peter Stastny, Wally Weir, Louis Sleigher, Clint Malarchuk et Randy Moller écopent pour les Nordiques; Mario Tremblay, Richard Sévigny, Chris Nilan, Mark Hunter et Mike McPhee écopent pour le Canadien.

MICHEL BERGERON: «J'ai perdu Dale Hunter et Peter Stastny. Deux joueurs de centre en moins, ça paraissait. J'étais mal pris. Eux, ils avaient encore leurs gros joueurs.»

GUY CARBONNEAU: «C'est sûr que les Nordiques ont perdu au change. Nous, ce ne sont pas nos joueurs d'impact qui ont écopé.»

STEVE PENNEY: «Perdre Peter Stastny, c'était grave pour eux. C'est là que Michel Bergeron a pogné les nerfs et c'est là que la panique s'est installée chez les Nordiques. Quand tu vois ton coach paniquer sur le banc, c'est sûr que ça déconcentre le reste de l'équipe. L'allure du match a complètement changé à ce moment-là.»

RANDY MOLLER: «Michel Bergeron était hors de lui quand on a perdu ces gars-là. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, on jouait surtout avec deux trios et quatre défenseurs. L'expulsion de Dale et de Peter, ça faisait un grand trou dans notre alignement.»

Le calme revenu, les Nordiques amorcent la troisième période avec un but de Michel Goulet pour faire 2-0. Mais le Canadien réplique: deux buts rapides de Steve Shutt portent la marque à 2-2.

STEVE SHUTT: «Après les deux bagarres générales, je pense qu'il nous restait huit attaquants sur le banc! J'avais passé la presque totalité des deux premières périodes sur le banc. Mais après toutes les suspensions en troisième, j'ai dit à Jacques qu'il n'avait pas le choix de me faire jouer!»

JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ: «Le premier but de Shutt nous a vraiment fait mal. Il y a eu une erreur en défense sur le jeu, et Shutt a placé la rondelle dans le haut du filet. Après ça, le Canadien avait le vent dans les voiles et la foule était de plus en plus bruyante. C'était comme si le ciel venait de nous tomber sur la tête.»

STEVE SHUTT: «Daniel Bouchard était leur gardien, et il m'offrait toujours une cible du côté du gant. C'est là que j'ai lancé pour mon premier but. Je crois que mes deux buts leur ont coupé les ailes. Deux buts rapides comme ça, ça tue toujours une équipe. Le vent s'est mis à tourner par la suite.»

Le vent à tourné, en effet. Rick Green, John Chabot et Guy Carbonneau ont marqué tour à tour pour faire 5-2 Canadien et enfoncer le dernier clou dans le cercueil des Nordiques.

JOHN CHABOT: «On sentait que les Nordiques étaient frustrés en attaque. Avec Jacques Lemaire, c'était les premiers balbutiements du système de la trappe en formation 1-4... C'était différent comme style et ça frustrait les Nordiques.»

GUY CARBONNEAU: «Jacques Lemaire était comme ça. Il employait notre trio à profusion pour jouer contre les Stastny. On avait commencé à pratiquer la trappe vers la fin de la saison, on bloquait le centre de la patinoire.»

À la sirène finale, le score est de 5-3 en faveur du Canadien, qui remporte ainsi cette série 4 de 7, mais aussi l'un des matchs les plus marquants de l'histoire de la LNH. La rivalité Canadien-Nordiques, elle, survivra encore quelques années. Mais elle ne sera jamais plus aussi explosive qu'elle l'avait été en ce soir d'avril 1984.

MICHEL BERGERON: «Ça ne pouvait faire autrement que d'en arriver à ça. C'était fou partout, surtout dans les médias. On partait de Québec en autobus pour aller à Montréal, je lisais toutes les pages des journaux. J'en avais pour toute la durée du trajet! Souvent, en sortant du Forum, on avait besoin de 25 policiers pour se rendre à notre autobus.»

MARIO MAROIS: «Pour les gars de Québec, l'été était long quand on perdait en séries face au Canadien.»

STEVE PENNEY: «Il y avait beaucoup de joueurs francophones des deux bords, il y avait la guerre des brasseries Molson et O'Keefe. Si tu commandais une Molson dans un bar de Québec, tu te faisais regarder de travers...»

GUY CARBONNEAU: «Disons que le match du Vendredi saint, ce n'est pas un match que j'ai dans ma collection de DVD...»

STEVE SHUTT: «Ç'aurait dû être une meilleure série que ça. La série précédente contre Boston, c'était du hockey dur, mais dans les limites de la légalité. Contre les Nordiques, il se donnait un nombre incroyable de coups vicieux. Un joueur des Nordiques m'a déjà donné un coup de patin à la jambe qui a nécessité 106 points de suture.»

WILFRID PAIEMENT: «Bof... On se donnait des p'tits coups de poing sur le nez de temps en temps, mais personne n'est mort!»

JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ: «La rivalité était si grande qu'à Québec, les gens nous parlaient tout le temps du Canadien. Même si on jouait contre le Canadien dans une semaine, c'est de ce match-là que les gens voulaient nous parler. Y'aura jamais rien d'autre comme ça.»

***

 

Que sont-ils devenus?

Guy Carbonneau

Entraîneur du Canadien jusqu'en mars.

John Chabot

Entraîneur-adjoint des Islanders de New York.

Chris Chelios

Toujours actif avec les Red Wings de Detroit.

Bob Gainey

DG et entraîneur du Canadien.

Rick Green

Consultant auprès du personnel d'entraîneurs des Cougars du collège Champlain.

Jean Hamel

À l'emploi de l'entreprise Cascades à Kingsey Falls.

Mark Hunter

Vice-président et directeur général chez les Knights de London.

Guy Lafleur

Propriétaire du restaurant Bleu Blanc Rouge à Rosemère.

Jacques Lemaire

Entraîneur du Wild du Minnesota jusqu'à cette semaine.

Craig Ludwig

Entraîneur-adjoint du Texas Tornado, un club de hockey mineur au Texas.

Mike McPhee

Courtier immobilier à Halifax

Pierre Mondou

Dépisteur chez les Devils du New Jersey.

Mats Naslund

Travaille dans le milieu du hockey mineur en Suède.

Chris Nilan

Aux dernières nouvelles, il travaillait pour une entreprise de voeux téléphoniques dans la région de Boston.

Steve Penney

Représentant pour une compagnie de montures de lunettes.

Larry Robinson

Consultant chez les Devils du New Jersey.

Richard Sévigny

Administrateur du collège de l'Assomption.

Steve Shutt

Travaille en Alabama pour un fabriquant de patinoires artificielles.

Bobby Smith

Propriétaire des Mooseheads de Halifax.

Mario Tremblay

Entraîneur-adjoint du Wild du Minnesota.

Ryan Walter

Entraîneur-adjoint chez les Canucks de Vancouver.

Daniel Bouchard

Entraîneur de l'équipe de hockey de l'Université Life, en Géorgie.

Alain Côté

Propriétaire d'une compagnie de pièces d'automobile.

Michel Goulet

Directeur général-adjoint de l'Avalanche du Colorado.

Clint Malarchuk

Entraîneur des gardiens des Blue Jackets de Columbus.

Mario Marois

Dépisteur pour les Hurricanes de la Caroline.

Tony McKegney

Ambassadeur du programme «Hockey is for Everyone» de la LNH.

Randy Moller

Descripteur à la radio des matchs des Panthers de la Floride.

Wilfrid Paiement

Entrepreneur à Niagara Falls.

Jean-François Sauvé

Représentant des ventes de la compagnie Sher-Wood.

André Savard

Dépisteur avec les Penguins de Pittsburgh.

Louis Sleigher

Travaille pour Volvo Canada.

Anton Stastny

Propriétaire d'une compagnie de fabrication de meubles en Suisse.

Marian Stastny

Directeur du club de golf Stastny, à Saint-Nicolas.

Peter Stastny

Député de la Slovaquie au Parlement européen.

Wally Weir

Employé du Port de Montréal.

Blake Wesley

Directeur de l'académie de hockey de l'Okanagan, en Colombie-Britannique.