Martin Brodeur tentera, ce soir, au Centre Bell, d'égaler le nombre de 551 victoires en saisons régulières de Patrick Roy. Deux gardiens bien différents, écrit Mathias Brunet, mais deux grands.

Patrick Roy compte être au Centre Bell ce soir. Il tient à appuyer Martin Brodeur dans sa tentative de remporter une 551e victoire et d'ainsi égaler son record.

«Je veux qu'il sache que je suis vraiment content pour lui, confiait Roy ces derniers jours au téléphone. Je suis fier de sa carrière. C'est important pour moi de lui dire en personne et j'aimerais bien prendre quelques minutes pour jaser avec lui avant son entraînement du matin.»

À l'aube de battre le record détenu par Terry Sawchuk, Roy avait lui-même tenté de se rapprocher du clan Sawchuk. «Je le connaissais de nom, mais j'en savais peu sur lui. J'ai lu son livre, j'ai appris à le connaître, à savoir le genre de vie qu'il menait. Ça piquait ma curiosité. Après, j'ai eu la chance de rencontrer son fils. Dans le cas de Martin, c'est différent. Il a connu ma carrière parce qu'il a grandi à Montréal et qu'il a joué contre moi. Mais c'est important pour moi d'être sur place.» Roy semble serein à l'idée de voir son record battu. «Quand on s'affrontait en séries éliminatoires, on partageait le même objectif de remporter la Coupe Stanley; alors il y avait une compétition. Mais la journée où j'ai pris la décision de me retirer, je savais que c'était une question de temps avant que Martin ne batte mes records. Il aurait fallu que j'étire ma carrière, mais je n'étais pas prêt à le faire. Ce qui était important pour moi, ce n'était pas de m'attacher à des records, mais à des standards. À la fin, j'avais le sentiment du devoir accompli.»

De l'admiration

Roy dit avoir énormément d'admiration pour Brodeur, probablement parce qu'il est le mieux placé pour connaître les exigences requises pour exceller longtemps devant un filet.

«Martin a un niveau d'endurance extraordinaire. Je n'aurais pas été capable de jouer autant, pas avec le nombre de voyages au Colorado. On voyageait beaucoup trop et on changeait de fuseau horaire presque à chaque fois. C'était difficile pour moi de jouer plus de 65 matchs parce que je savais que ça hypothéquerait mes performances en séries éliminatoires.

«Il est dans un contexte idéal parce que les voyages se font très bien au New Jersey, poursuit Roy. Mais il en a joué des matchs. Et il fallait les gagner. Ce que je trouve fascinant chez lui, c'est que tout a toujours semblé facile. Pourtant, c'est difficile de maintenir de tels standards. On s'attend à ce que tu connaisses toujours de bons matchs. Et quand tu en connais un mauvais, tu dois revenir devant le filet et les gens veulent te voir rebondir. Physiquement, tu n'as pas le choix de prendre soin de toi. Tu ne peux pas avoir un train de vie à double sens. Tu dois accepter de prendre ça plus tranquille à domicile. Le plus difficile, c'est au niveau psychologique. Mais Martin a une belle approche. Il ne semble pas étouffé par la critique. C'est ce qui fait que ce gars-là peut jouer très longtemps.»

Des styles différents

Roy et Brodeur sont devenus les meilleurs de leur profession avec deux styles de jeu bien différents.

«Martin n'est pas un modèle sur le plan technique, note Roy. Il a un style un peu particulier. Il fait encore des glissades à deux jambières. Il protège le trou entre les deux jambières, mais pas nécessairement en papillon. Il a plutôt tendance à descendre avec un genou sur la glace. Ce qui est important, c'est que ça soit fonctionnel pour lui. C'est un gars unique en son genre. Il a des mains extraordinaires et des qualités athlétiques incroyables sans être le gardien le plus flexible. Il a probablement l'un des meilleurs gants de la Ligue.»

Le mentor de Roy, François Allaire, attache de l'importance à ce record de victoires. «Ça demande de la longévité dans ta carrière et beaucoup de matchs. Il faut que tu commences tôt, que tu ais une longue carrière, que tu joues pour un club qui gagne, confiait-il, hier, depuis sa résidence des Basses-Laurentides. Ça prend des circonstances aussi. Tu ne peux pas être blessé à tous les ans. Quand on parle de Roy et Brodeur, ce sont deux gardiens exceptionnels. Avoir pu se maintenir à un tel niveau pendant une si longue période sans être blessés, sans connaître d'années de misère, c'est exceptionnel. Tu regardes les gardiens qui ont 400 victoires et plus, il n'y en a pas des tonnes. Curtis Joseph, Ed Belfour, Terry Sawchuk, Jacques Plante, Glen Hall, Tony Esposito, Grant Fuhr.»

Allaire estime que Brodeur a oeuvré dans un contexte idéal, mais qu'il a le mérite d'avoir gagné ses matchs. «Il a trouvé le moyen de le faire au sein d'une organisation qui a un style de jeu typique aux Devils; mais peu importe, gagner des matchs dans la Ligue nationale, c'est dur. Patrick a peut-être eu moins de matchs. Commencer à Montréal, c'est différent que n'importe où ailleurs pour un jeune de 20 ans. C'est une situation qui est différente que de jouer aux États-Unis. Il y a une pression qui est différente que de jouer ailleurs, au niveau médiatique. Quand tu joues pour une organisation (comme les Devils) qui garde la même philosophie, qui garde le même directeur général pendant une longue période, c'est plus avantageux que d'arriver avec un club de l'expansion, ou une équipe qui change de direction à tous les deux ou trois ans. Mais au-delà de ça, tu dois gagner quand même, un match, c'est un match.»

Une aide réciproque



Joint hier midi à son bureau au New Jersey, le directeur général des Devils, Lou Lamoriello, n'a pas voulu relancer le débat sur l'influence de la qualité de la défensive des Devils sur les performances de Brodeur. «Les gens diront ce qu'ils voudront. Les habiletés de Martin parlent d'elles-mêmes. Il a remporté des Coupes du monde, des Jeux olympiques; il a eu du succès partout. Notre système de jeu aide Martin et Martin aide notre système. Ce dont nous sommes le plus fiers, c'est qu'il a joué tous ses matchs pour les Devils et qu'il terminera sa carrière au New Jersey.»

Stéphane Richer a eu le bonheur de jouer avec Roy, puis Brodeur, et de remporter la Coupe Stanley avec les deux.

«Les deux n'ont jamais accepté la défaite, confiait Richer, hier, dans l'autobus qui transportait les anciens joueurs du Canadien à Sept-Îles pour un match bénéfice. C'est peut-être ça le dénominateur commun. Ce sont deux gagnants. On comprend pourquoi ils sont numéro un et deux dans les statistiques.»

Roy et Brodeur étaient cependant bien différents, selon Richer. «Martin, s'il avait eu un mauvais match, était le premier à arriver sur la glace le lendemain pour recevoir des rondelles et s'améliorer. Ça m'avait toujours épaté de sa part. Pat (Patrick), c'était spontané; s'il n'était pas content, on le savait, mais ça ne durait pas longtemps. On pouvait être sûr que le match suivant, il livrerait une grande performance.»

Les deux gardiens avaient aussi des habitudes bien différentes avant les matchs. «C'était l'opposé, se rappelle Richer. Patrick restait seul à sa place, il ne parlait pas beaucoup et il ne fallait pas lui parler. Il ne fallait pas rentrer dans sa bulle. Martin, lui, pouvait être assis dans un sofa et jaser avec n'importe qui. J'en ai vu du monde calme, mais Martin aurait presque pu taper le bâton des gars. Le Québec est chanceux d'avoir pu compter sur deux grands gardiens comme eux. Moi, j'ai gagné la Coupe avec les deux. Je leur dois un gros merci.»

Lamoriello a rigolé, hier, lorsque je lui ai raconté l'histoire du recruteur des Capitals de Washington (aujourd'hui avec les Sharks de San Jose), Gilles Côté, qui s'était fait dire par l'entraîneur des gardiens des Caps, Warren Strelow, de ne pas repêcher Brodeur au neuvième rang de la première ronde en 1990 parce qu'il ne se déplaçait pas assez rapidement.

«Nous sommes très heureux qu'ils aient pris cette décision, a lancé Lamoriello en ricanant. Nous le trouvions tous bon. Mais si quelqu'un nous avait dit qu'il croyait à l'époque que Martin allait connaître la carrière qu'il connaît, c'était impossible. Mais c'est un travailleur acharné qui a analysé toutes les facettes de son métier, un athlète unique qui a aussi pu compter sur un grand complice, l'entraîneur des gardiens, Jacques Caron, qui est resté auprès de lui pendant toutes ces années.»