Ainsi donc, un comité d'experts, dont font partie les anciens (robustes) joueurs Eric Lindros et Jeff Beukeboom et une pléiade de professionnels de la santé, recommande l'élimination complète des bagarres au hockey.

Il affirme que l'abolition des combats sur la glace contribuera à diminuer le nombre de commotions cérébrales et les complications à long terme pour les athlètes. On mentionne aussi qu'une bagarre peut entraîner des décès inutiles.

 

Ceux qui lisent régulièrement cette chronique connaissent mon aversion pour les bagarres.

Les batailles au hockey ne m'ont pourtant pas toujours choqué. Deux belligérants se tapaient dessus, se dirigeaient au banc des punitions en replaçant leur équipement, en appliquant parfois un sac de glace sur leurs jointures, et c'était terminé. Comme plusieurs, je me disais candidement qu'une ou deux taloches sur la gueule, ce n'était pas dramatique, finalement.

Jusqu'à ce que mon destin croise celui de Dave Morissette et qu'il ait la générosité de me raconter sa vie - et surtout ses états d'âme - dans ses moindres détails, il y a quatre ans.

Je croyais écrire un livre sur la consommation de stéroïdes et de stimulants. J'ai réalisé, après quelques mois d'entretiens, que nous avions d'abord un ouvrage sur les affres du métier de dur à cuire.

Grâce aux confidences de Dave, j'ai compris, d'abord, ce qu'un bagarreur pouvait ressentir quand il recevait quelques bons coups de poing sur le museau.

«Je ne voyais plus clair en arrivait au banc des punitions. J'étais ébloui par mille et une couleurs, du bleu, du rouge, du jaune, du vert. Je savais que ça n'allait pas du tout. Mais personne n'a jamais rien su, pas même Gino, mon bon vieux rival qui, du banc voisin, me demandait comment ça allait.»

Personne n'a jamais rien su parce que Dave Morissette ne voulait pas montrer la moindre vulnérabilité à ses adversaires, et aussi parce qu'il craignait de perdre l'estime de ses entraîneurs.

Le dur à cuire doit vivre avec ses secrets. «Je ne parlais jamais de mes peurs ou de mes problèmes parce que j'avais une image de tough à entretenir. J'avais un statut, je n'aurais jamais pu dire que j'étais écoeuré de me battre.»

Mourir jeune?

À la toute fin de son parcours, avec les Knights de Londres, Dave Morissette était un athlète brisé.

«Je me rendais compte, en rentrant dans le vestiaire, que j'étais incapable de me souvenir du prénom de mes coéquipiers même si je jouais avec eux depuis des mois. J'étais obligé de regarder le nom inscrit sur une plaque au-dessus de leur casier pour m'aider. Mais ça m'a pris plusieurs semaines avant de me rendre compte que j'avais perdu beaucoup de mémoire...

«Le médecin m'a envoyé voir la grande spécialiste des traumatismes crâniens, la neurologue Karen Johnston. J'étais tellement mal en point que je me suis endormi pendant un de ses tests! Elle voulait savoir combien j'avais subi de commotions cérébrales au cours de ma carrière. Elle a arrêté de compter à 20...

«J'ai souffert de ce dernier incident pendant au moins un an. Je ne faisais que jouer avec mon petit garçon pendant une quinzaine de minutes et je me sentais mal. La musique, même si elle n'était pas forte, me résonnait dans le crâne. J'étais sensible à la lumière du jour. J'étais vraiment mal en point...»

Morissette a avoué avoir consommé des produits dopants afin de pouvoir tenir tête aux autres durs à cuire de la LNH, qu'il soupçonnait également de se doper. Aujourd'hui, il regrette.

«Est-ce que je m'attends à vivre vieux? Certainement pas. Ma femme n'aime pas m'entendre dire ça, mais c'est la réalité. Je suis inquiet. Chaque fois que j'ai des douleurs à la poitrine, je me pose des questions. Penser que, du jour au lendemain, mon coeur pourrait flancher, c'est ce qui me fait le plus réfléchir. J'assume ce que j'ai fait et je suis prêt à en payer le prix. Mais quand je pense à mes enfants, ça me fait peur. Il m'arrive souvent de me demander ce qu'ils vont faire si je meurs d'une crise cardiaque. Est-ce que le risque en valait la peine? Aujourd'hui, à 33 ans, avec une femme et deux jeunes enfants, ma carrière sportive terminée, je vois les choses différemment. Ce n'est plus drôle du tout.»

Dave Morissette, un athlète talentueux dans les rangs Midget AAA, quatrième choix au total au repêchage de la LHJMQ, a été pris dans un engrenage. Dès les rangs juniors, on lui a demandé de mettre en valeur uniquement ses habiletés pugilistiques, au détriment du reste. Qui sait si on n'aurait pas réussi à faire de lui un bon joueur, avec le physique et le tir qu'il possédait?

Demandez aujourd'hui à Morissette s'il souhaite voir ses fils suivre ses traces? Posez la même question à Enrico Ciccone. À Gilles Lupien. À Dave Schultz, l'ancien redresseur de torts des Flyers dont la voix s'élève désormais dans le camp des anti-bagarres. Et maintenant à Lindros et à Beukeboom.

Il me semble qu'on devrait commencer à écouter ceux qui ont reçu les taloches.