Comme plan B, on a déjà vu pire. Robert Lang s'est amené à Montréal en septembre parce que Bob Gainey en avait marre d'attendre après Mats Sundin. Le grand voyageur tchèque n'a pas déçu son nouvel employeur. Une demi-saison plus tard, il est le meilleur compteur du Canadien, avec 34 points. Pas trop mal, pour un p'tit vieux de 38 ans qui pourrait presque être le père de ses deux compagnons de trio. Retour sur la carrière du doyen du Tricolore.

Bob Gainey n'est pas du genre à se péter les bretelles en public. Il aurait pourtant le droit de le faire à propos de Robert Lang. Qu'est-ce qu'un choix de deuxième tour en 2010 quand le joueur obtenu en retour devient ton meilleur marqueur?

Quatre mois après son arrivée à Montréal en provenance de Chicago, Lang s'est déjà fait beaucoup d'amis dans sa ville d'adoption, la septième de sa longue carrière dans la LNH. Les frères Kostitsyn sont sortis de leur coquille depuis qu'ils jouent à ses côtés. Guy Carbonneau a louangé à plusieurs reprises son attitude positive. Et les partisans du Canadien, conquis par son jeu, ont depuis longtemps oublié Mats Sundin. (Surtout qu'aux dernières nouvelles, Sundin avait 32 points de moins que Lang à sa fiche...)

On ne devrait pas être surpris. Après tout, Robert Lang a récolté au moins 50 points à chacune de ses huit dernières saisons. Mais surtout, il s'amuse autant, sinon plus, qu'à ses débuts dans la Ligue nationale, il y a 16 ans déjà.

«Je pense que tu profites plus de ta carrière quand tu es plus vieux, m'a dit Lang lors d'un entretien au centre d'entraînement du Canadien, à Brossard, cette semaine. Quand tu es jeune, tu te laisses entraîner dans les rumeurs d'échange et tout ça. Tu te demandes si ça va être toi ou non. En vieillissant, tu profites plus du moment présent.» Carpe diem.

On a tendance à l'oublier, mais Lang a commencé sa carrière chez les Kings de Los Angeles. C'était l'époque de Barry «coupe Longueuil» Melrose, de Wayne Gretzky et de sa bande d'anciens Oilers partis prêcher l'évangile du hockey dans le sud de la Californie. Aussi bien dire il y a une éternité.

À l'époque, Lang était encore un gamin. Né à Teplice, non loin de la frontière allemande, il avait grandi dans la Tchécoslovaquie communiste, à l'époque où il fallait faire défection pour espérer jouer dans la LNH. Même après que les Kings eurent fait de lui leur choix de septième ronde, en 1990, il ne pensait pas aboutir un jour en Amérique du Nord.

Mais voilà, le Rideau de fer est tombé, pavant la voie à l'invasion européenne du début des années 90. Russes, Tchèques et Slovaques ont débarqué en masse dans la LNH et en 1992, Lang s'est retrouvé à L.A., entouré des Gretzky, Jari Kurri (qui est resté un de ses bons amis), Paul Coffey et Charlie Huddy. Il en a tiré des leçons qui ne l'ont jamais quitté.

«J'ai été chanceux de faire mes débuts avec des vétérans qui avaient déjà tout gagné, dit Lang. Ces gars-là savaient qui ils étaient et ils n'étaient pas jaloux des jeunes joueurs. Ils aimaient le jeu, point final. C'est comme ça que ça devrait être. Ce n'est pas parce que tu vieillis que tu devrais devenir amer et jaloux des jeunes qui jouent 27 minutes par match. Tu ne peux plus !»

Lang s'est beaucoup promené avant de débarquer à Montréal. Après quatre saisons dans l'organisation des Kings, il est retourné une année à Prague et est passé par Boston (le temps de trois parties en 1997-1998), Pittsburgh, Washington, Detroit et Chicago.

Une vie de nomade pas toujours facile pour la famille, surtout maintenant que ses garçons, Brooks, 6 ans, et Kelly, 4 ans, sont d'âge scolaire. «Ils venaient juste de commencer l'école à Chicago quand j'ai été échangé, mais ils avaient déjà leurs amis, leur routine. Le premier mois ici, le temps de s'habituer à cette nouvelle vie a été difficile pour eux et pour tout le monde», raconte Lang, qui s'est établi dans le Vieux-Montréal.

Sa femme Jennifer, une Californienne rencontrée à Phoenix lors d'un séjour avec le club-école des Kings, a l'habitude des déracinements. Le vieil adage «qui prend mari, prend pays», elle connaît. «Elle aborde ça positivement. On vit comme si on était ici pour cinq ou six ans, dit Lang, dont le contrat vient à échéance à la fin de la saison. Parce que si tu fais comme si tu avais déjà un pied dehors, tu n'as pas de plaisir. Je suis ici maintenant, c'est tout ce que je sais. Si je suis échangé ou si je signe un contrat ailleurs, on avisera.»

Le bon côté de tous ces voyages, ce sont les rencontres. «J'ai eu l'occasion de jouer avec des joueurs extraordinaires: Wayne, Mario Lemieux, Jags (Jaromir Jagr), Steve Yzerman, Brett Hull. J'ai été béni de pouvoir côtoyer tous ces membres (actuels ou futurs) du Temple de la renommée», dit Lang, qui aurait pu ajouter Ron Francis, Luc Robitaille, Nicklas Lidstrom et Brendan Shanahan.

Ces fréquentations ont lentement façonné le vétéran respecté et apprécié qu'il est devenu. «J'ai toujours pensé que la meilleure manière d'apprendre était d'observer, dit-il. Comment les gars se comportent, ce qu'ils font pendant les matchs. Je n'ai jamais été un gars qui crie et qui hurle. Plusieurs des meilleurs joueurs avec qui j'ai joué étaient les gars les plus tranquilles dans le vestiaire. Mais tu savais que lorsqu'ils sauteraient sur la patinoire, ils feraient le travail. C'est facile de parler, mais c'est sur la glace que ça se passe.»

Et sur la glace, il peut se passer toutes sortes de choses. Même les meilleures équipes se font parfois battre. Quand Lang jouait à Detroit, les Red Wings ont connu des saisons de 109, 124 et 113 points. Pourtant, l'équipe n'a même pas atteint la finale de la Coupe Stanley, ces années-là.

«C'est la beauté de notre sport: tu ne sais jamais. Même avant l'instauration du plafond salarial, c'était impossible d'acheter un championnat. La saison est trop longue et le succès dépend trop du système de jeu et de la chimie au sein de l'équipe. Ça ne s'achète pas. Un seul joueur ne gagnera pas pour toi, même s'il peut aider.»

Mettre la main sur Vincent Lecavalier, ce serait donc une mauvaise idée pour le Canadien? Lang éclate de rire. «Je ne peux pas dire ça. J'espère qu'il viendrait!» (C'était avant que le DG du Lightning, Brian Lawton, n'annonce jeudi que Lecavalier ne serait pas échangé «aujourd'hui, demain ou bientôt».)

«L'équilibre d'une équipe est quelque chose de fragile, reprend toutefois Lang. Vincent est une grande étoile et il est habitué à avoir beaucoup de glace. Des joueurs qui sont ici présentement joueraient moins. Ou peut-être que Vincent jouerait moins. Ça affecterait assurément l'équipe. Il n'y a jamais de garantie quand tu fais un échange important.»

Parlant de choses difficiles à prédire, Lang ignore quand il accrochera ses patins. «Quand je ne serai plus capable physiquement, ce sera le moment. Je ne planifie rien. Si tu commences à planifier, ça veut dire que ça achève. J'ai eu la chance d'avoir une longue carrière. Et j'aime toujours ça.»