C'est l'histoire d'un chandail qui a fait un long voyage. D'un chandail qui est trop grand pour celui le porte. Mais c'est surtout l'histoire d'un enfant, Mathéo, qui a fait un long voyage lui aussi. Et qui, à mesure qu'il va grandir dans ce chandail, en comprendra mieux l'héritage.

Quand tout a commencé, le 22 juillet 2002, le nouveau-né s'appelait Evgeney. Sa maison était l'orphelinat de Gomel, une ville de 40 000 habitants à quatre heures de route de Minsk, la capitale de la Biélorussie.

À des milliers de kilomètres de là, Donald Desbiens et Nathalie Savard venaient d'entreprendre des démarches d'adoption.

«On avait vu à la télé un reportage sur l'adoption en Biélorussie et on avait rencontré quelqu'un qui était passé à travers le processus», raconte l'homme.

Ça a été long : deux ans et quatre mois avant que Donald et Nathalie parviennent enfin à Gomel et rencontrent leurs fils.

«Il était très bien traité à l'orphelinat, assure Donald. Mais s'il y était resté plus longtemps, il aurait été transféré dans un centre pour les 6-17 ans. Et il y a des histoires d'horreur qui sont sorties de là...

«On est très chanceux parce que le président de la Biélorussie a fermé la porte à l'adoption internationale, poursuit le père. Nous sommes le dernier couple à avoir sorti un enfant du pays.»

Avant de quitter Gomel, Donald a acheté en souvenirs des objets liés à l'équipe de hockey de l'endroit. Des casquettes, un hockey...

Mais ce qu'il aurait voulu, c'est un chandail du HK Gomel, l'équipe qui évolue dans l'Ekstraliga de la Biélorussie.

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En entrant au Québec, Evgeney est devenu Mathéo.

Le temps a passé, l'enfant a absorbé comme une éponge sa nouvelle langue et son nouvel environnement.

Le père, lui, tenait toujours à son chandail.

«J'ai écrit sur le site internet de l'équipe – d'abord en anglais, puis en russe – mais je n'ai jamais eu de réponse. Finalement, j'ai écrit à l'Association de hockey de la Biélorussie et je suis entré en contact avec Yaroslau, un de leurs organisateurs. Après mon deuxième message, il a compris que je venais de Montréal et que j'avais adopté un petit garçon de Gomel.»

Yaroslau venait d'avoir une idée...

La correspondance s'est poursuivie. Et dans le chemin qui s'ouvrait lentement de Gomel à Montréal, une amitié naissait.

Un jour, Nathalie a reçu un colis à son bureau. «Je ne lui avais pas parlé de mes démarches», précise Donald.

Nathalie a ouvert la boîte estampée de la Biélorussie. Il y avait bel et bien un chandail, mais il avait été rogné par l'usure.

«Tu t'es fait avoir par ton Yaroslau, c'est un vieux chandail tout sale !» lui a-t-elle lancé.

«Pas du tout, a-t-il répondu, fier de son coup. C'est le chandail que portait Andrei Kostitsyn dans son pays !»

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Mathéo avait 5 ans lorsque son père et lui se sont rendu au Jamboree, un bain de foule organisé par le Canadien avant la saison 2007-2008.

«Depuis le début, explique le père, ce que je voulais c'était créer un lien entre Mathéo et les frères Kostitsyn. Je voulais qu'il ait un point de repère, une référence connue, par rapport à son pays d'origine.»

Espérant intercepter les frères Kostitsyn au milieu de la cohue, Donald et Mathéo avaient apporté leur attirail aux couleurs de la Biélorussie.

Mais surtout, le jersey du HK Gomel.

«On a aperçu Sergei, qui se tenait là avec Mikhail Grabovski. On a déployé le chandail pour attirer son attention. Et tout à coup, Sergei a donné un coup de coude à Grabovski et a pointé dans notre direction.»

«J'ai tout de suite reconnu ce chandail et, franchement, j'étais surpris de le voir là», confiera plus tard Sergei.

Durant tout ce temps, Donald était persuadé que le chandail qu'il avait en main avait appartenu à Andrei, qui avait l'habitude de porter le numéro 23 en Biélorussie.

Mais c'est le plus jeune frère qui l'avait endossé à Gomel.

«Je n'ai jamais joué pour Gomel», précisera plus tard Andrei à la famille Desbiens. J'ai joué pour ma ville natale (Novopolotsk) alors que Sergei, lui, nous a fait faux-bond...»

Au milieu de la foule du Jamboree, Sergei s'est donc approché pour autographier le maillot.

Tout s'est passé très vite.

Si vite, en fait, qu'en repartant, Donald a senti que la véritable rencontre entre Mathéo et les Kostitsyn restait encore à faire.

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Quelques mois plus tard, le Canadien avait égayé le printemps de Montréal avec ses performances. Les drapeaux du CH flottaient sur les voitures comme un immense contingent diplomatique.

Puis, les Flyers de Philadelphie sont venus mettre un terme à la fête...

Les frères Kostitsyn ont alors pris le chemin de Québec pour défendre les couleurs de la Biélorussie aux Championnats du monde.

Au sein de la délégation biélorusse se trouvaient Yaroslau et son épouse Constance. Donald leur avait trouvé un petit «bed and breakfast» où loger durant le tournoi.

C'est Yaroslau qui, à Québec, a tiré les bonnes ficelles pour que le petit Mathéo puisse enfin rencontrer les Kostitsyn.

«La seule fois de la semaine où les frères sont apparus en public, ça a été pour voir Mathéo, raconte Donald. Ça se passait en même temps qu'une conférence de presse de René Fasel, le président de la FIHG. Et ce qui est drôle, c'est que lorsque Mathéo les a rencontrés, toutes les caméras russes ont délaissé René Fasel et se sont jetées sur lui !»

«Ça a été spécial, se rappelle Nathalie. Mathéo est du genre timide et réservé. Mais lorsqu'il a mis son chandail et qu'il a vu les frères arriver, il a tout de suite sauté dans leurs bras. Il y avait une espèce de chimie... comme s'ils se connaissaient déjà.»

Le moment a été euphorique pour la petite famille.

Quand est venue la fin des Championnats du monde et le temps des adieux, ce fut au tour de Donald de remettre un cadeau à son ami Yaroslau.

«Je vais faire fureur avec ça», leur a dit le Biélorusse en tenant dans ses mains un petit drapeau du Tricolore.

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Mathéo pesait trois livres à la naissance. Il a passé plusieurs jours à l'hôpital et a été traité pour déshydratation. Encore aujourd'hui, il est plutôt frêle pour ses 6 ans.

Pas étonnant s'il s'amuse davantage à faire de la natation ou du karaté qu'à tenir un bâton de hockey !

«Non, ce n'est pas un grand amateur de hockey, admet son père. Ce qui le fascine surtout, c'est de savoir que deux joueurs du Canadien viennent du même pays que lui.»

Mathéo les a retrouvés, il y a quelques jours au Centre Bell. Assis avec lui dans le vestiaire, Andrei et Sergei ont feuilleté un petit livre dans lequel sont racontées ses premières années à l'orphelinat.

«C'est sa nounou qu'il l'a écrit, explique Donald. On en a eu une traduction sommaire, mais selon ce que nous en a dit Yaroslau, il faut vraiment venir de Biélorussie pour en saisir l'essence.»

Dernièrement, lorsque ses parents lui parlaient de Gomel, Mathéo se rebiffait. Son chez-lui, c'est Montréal. Et il n'a rien de différent de ses amis de l'école.

Mais même pour l'enfant qui ne veut pas se bercer dans le passé, l'appel des racines reste puissant.

«Mathéo a longtemps eu des souvenirs de Biélorussie, mais ça tend à se confondre un peu dans sa tête maintenant, précise son père. Il ne comprend plus vraiment la langue, mais elle lui est familière lorsqu'il l'entend.

«Or, ce qu'il a le plus retenu de ces retrouvailles dans le vestiaire du Canadien, c'est de s'être retrouvé sur les genoux de Sergei et qu'il lui ait chuchoté des mots en russe.»

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On voit tous les jours les fans du Canadien vibrer différemment pour Bégin, Latendresse et Tanguay. Les joueurs québécois ont une place spéciale dans leur coeur.

C'est normal et c'est très bien ainsi.

Mais il fait bon aussi de savoir qu'au milieu de cette mer de partisans, il y a un petit garçon d'Anjou, beaucoup trop petit dans son chandail, qui regarde les frères Kostitsyn et qui a l'intuition de se dire : «Voilà deux des miens».

Joyeux Noël, Mathéo

Photo: François Roy, La Presse