Dépister les bons gardiens n'est pas une science exacte. La preuve, c'est que la majorité des gardiens titulaires dans la LNH sont ignorés en première ronde. Deux dépisteurs expliquent pourquoi et reviennent sur leurs bons coups... et leurs moins bons!

Repêcher un gardien de but constitue peut-être le plus gros casse-tête des dépisteurs de la LNH.

L'éditeur du magazine Hockey News, Jason Kay, y faisait référence récemment et nous avons constitué un petit tableau pour appuyer ses dires.

 

Ainsi, parmi les 30 gardiens numéro un de la Ligue nationale de hockey, seulement neuf ont été repêchés en première ronde. Les 21 autres ont été repêchés à compter du deuxième tour, ou ont été carrément ignorés des recruteurs, comme c'est le cas de Niklas Backstrom, du Wild, et Erik Ersberg, des Kings.

Des gardiens de premier plan comme Miikka Kiprusoff, Marty Turco, Ryan Miller, Nikolai Khabibulin, Henrik Lundqvist, Evgeni Nabokov et Tim Thomas ont tous été repêchés à compter de la cinquième ronde. Jason Kay mentionne par ailleurs que quatre gardiens repêchés parmi les 10 premiers, Brian Finley (6e), Jamie Storr (7e), Al Montoya (8e) et Brent Krahn (9e) n'ont jamais pu percer.

«Ça demeure un casse-tête dans le sens où un gardien met beaucoup plus de temps à parvenir à maturité, répond Gilles Côté, le dépisteur québécois des Sharks de San Jose. Dans nos projections, tu regardes un jeune de 17, 18 ans en te disant qu'il atteindra son apogée à 24, 25 ans. La marge d'erreur est donc beaucoup plus grande que pour un joueur d'avant, car tu dois projeter sur six, sept ou huit ans.»

En 17 ans, les Sharks n'ont jamais repêché de gardien dans les deux premières rondes. Mais ils en ont produit des bons, comme Nabokov (neuvième ronde en 1994) et Kiprusoff (cinquième ronde en 1995). Côté affirme aussi qu'il en pousse des bons dans les mineures, en particulier Timo Pielmeier, un Allemand repêché en troisième ronde en 2007 et qui joue avec les Cataractes de Shawinigan.

«On s'arrange toujours pour en repêcher au moins un par année, dit-il. Mais ça reste spécial, un gardien de but. Quand on fait nos listes, avant le repêchage, les gardiens de but sont à part. Quand on en prend un, c'est une stratégie du directeur général. Mais je ne sais pas comment ça fonctionne pour les autres clubs.»

Le responsable du recrutement chez les Ducks d'Anaheim, Alain Chainey, reconnaît qu'il est souvent complexe de dénicher le bon gardien. Depuis 1993, Chainey et ses hommes ont réussi à en repêcher seulement trois qui ont atteint la LNH: Mikhail Shtalenkov (1993), Ilya Bryzgalov (2000) et Martin Gerber (2001). Ils ont aussi embauché le jeune Jonas Hiller, qui est devenu l'auxiliaire de Jean-Sébastien Giguère.

«Pour bien connaître un gardien de but, il faut le voir jouer sur une base régulière et ce n'est pas toujours évident pour un dépisteur de se mettre les yeux sur un gardien pendant quatre ou cinq matchs de suite, explique Chainey. Des fois, tu as un gardien qui est très bon mais tu peux l'avoir vu lors d'un mauvais match. Il faut le voir dans toutes les situations, à domicile mais aussi à l'extérieur. Si on repère un gardien qu'on aime beaucoup avant la période des Fêtes, on essaie de le suivre plus souvent par la suite. Mais ce n'est pas une science exacte.»

Rater Brodeur...

Non, ce n'est pas une science exacte. À Montréal, par exemple, Jaroslav Halak n'a pas été le premier gardien repêché par l'équipe en 2003. Le Suédois Christopher Heino-Lindberg a été choisi presque 100 rangs avant le Slovaque. Heino-Lindberg est toujours en Suède.

Autre facteur important à considérer, c'est que les dépisteurs ne sont pas tous des experts en matière de gardiens. «Il y en a beaucoup qui n'y connaissent pas grand-chose, en effet, et il n'y a pas de cachette là-dedans, répond Gilles Côté. Mais nos entraîneurs des gardiens nous aident de plus en plus. Wayne Thomas était venu voir le jeune Pielmeier avec moi.»

Mais la présence d'un entraîneur des gardiens n'assure pas nécessairement un choix judicieux non plus. Gilles Côté le sait trop bien.

«À l'époque où je travaillais pour les Capitals de Washington, j'avais emmené Warren Strelow à Saint-Hyacinthe pour voir Martin Brodeur. Mais Warren trouvait que Martin ne se déplaçait pas assez rapidement et qu'il n'était pas assez athlétique (sic). Je n'avais donc pas poussé pour Brodeur. Pauvre Warren. Il est mort aujourd'hui et il doit se retourner dans sa tombe quand je dis ça...»

Les Capitals repêchaient au dixième rang cette année-là en 1990, dix rangs avant les Devils, et ils ont opté pour le défenseur John Slaney. «Tout le personnel chez nous était en amour avec Slaney, qui jouait à Cornwall. On pensait qu'il deviendrait un grand quart-arrière. Ça a été un échec finalement.»

Alain Chainey, lui, peut compter sur les services de François Allaire. «C'est sûr qu'on le consulte. Quand il n'a pas le temps de les voir sur place, on lui fait parvenir des DVD des gardiens en question. Mais si on a un feeling très fort sur un gardien, on va prendre notre propre décision même si on respecte beaucoup son travail.»

Le responsable du recrutement des Ducks est particulièrement fier du choix de Bryzgalov. «Je l'avais vu jouer au Championnat mondial junior en Suède. Il était l'auxiliaire de l'équipe des Russes. J'ai été chanceux de le voir évoluer dans un match où l'équipe l'a utilisé. Il avait très bien fait et je me suis mis à faire pas mal de millage pour le voir jouer plus souvent. Mais à ce repêchage, en 2000, nous n'avions pas de choix de deuxième ronde. Le DG Pierre Gauthier a alors donné nos choix six, sept et huit au Canadien pour obtenir un choix dans la deuxième ronde.»

Au grand désarroi de Chainey, Bryzgalov a été perdu au ballottage l'an dernier parce que Brian Burke devait trouver des moyens d'alléger sa masse salariale.

«Ça fait encore plus mal parce que c'est un gardien de but numéro un dans la LNH qu'on a repêché en deuxième ronde et on n'a même pas obtenu un choix de septième ronde en retour, mentionne Chainey. Les directeurs généraux nous disent souvent que tous les joueurs repêchés deviennent des atouts et qu'ils peuvent s'en servir pour des transactions. Dans le cas de Bryzgalov, ce fut une perte sèche pour l'organisation.»

On peut comprendre la réaction de Chainey, encore mieux quand on réalise à quel point il est difficile de mettre la main sur le bon gardien...