Michel Bergeron ne l'a jamais su. Il pourra l'apprendre ici.

À l'époque où il dirigeait les Draveurs de Trois-Rivières, un gamin de 9 ou 10 ans s'installait souvent dans la première rangée, directement derrière le banc, et épiait ses moindres faits et gestes en rêvant au jour où il serait, lui aussi, entraîneur.

Ce garçon est devenu entraîneur. Il s'appelle Benoît Groulx. Il a remporté le Championnat mondial junior à la tête de l'équipe canadienne il y a une dizaine de jours...

«Mon père a été entraîneur, et aussi recruteur pour des équipes juniors, je le suivais dans les arénas», a confié samedi l'entraîneur en chef des Olympiques de Gatineau.

«Dans le temps, les coachs québécois étaient des vedettes dans le junior. C'était une autre époque, un autre style de hockey. Il y avait Rodrigue Lemoyne, Michel Bergeron, Ron Racette, Ghyslain Delage, Orval Tessier, Roger Bédard. Ils sont devenus des idoles. Je parlais souvent de hockey avec lui. Quand les Draveurs venaient jouer à Hull, je descendais dans la première rangée parce qu'il n'y avait pas de baie vitrée derrière le banc. Il était tellement animé. Il en a amené de la passion.»

Benoît Groulx, 46 ans, a souvent recroisé le Tigre, qui a ensuite dirigé les Nordiques de Québec et les Rangers de New York, mais il ne lui a jamais avoué ses soirées à rêver derrière son banc à l'aréna Robert-Guertin.

«J'ai coaché avec Michel et Pat Burns au Match des espoirs, en 2007. Il y avait Jacques Demers, Scotty Bowman et Patrick Roy derrière l'autre banc. Nous sommes allés souper après le match. Quand il nous a raconté à quel point il donnerait tout pour revenir derrière un banc, tous les souvenirs de ma jeunesse sont remontés à la surface.»

De joueur à entraîneur

Groulx n'était pas un vilain joueur de hockey. Il a amassé 255 points en 170 matchs avec les Bisons de Granby. Il a eu Stéphane Quintal et Éric Desjardins pour coéquipiers.

«À 20 ans, mon entraîneur Réal Paiement m'a aidé à obtenir un essai au camp des recrues des Rangers de New York à Sault-Sainte-Marie.»

C'était l'année où Guy Lafleur faisait son grand retour. Le camp officiel avait lieu à Trois-Rivières. L'équipe était dirigée par... Michel Bergeron.

«Je regardais les joueurs de centre au camp des recrues, Darren Turcotte, il y avait aussi Brian Leetch en défense, je crois, je savais que mes chances étaient minces. Je ne me suis jamais rendu à l'étape suivante à Trois-Rivières.»

Groulx mettra le cap sur la France, où il passera les dix années suivantes. «Je mesurais 5 pieds 10 pouces, j'avais de bonnes mains, mais je n'étais pas un grand patineur et n'avais pas un très bon tir. Mon style convenait mieux à l'Europe. »

Le coaching n'était pas encore une réalité pour lui à 28 ans, en 1996, même s'il gardait l'idée en tête, mais il a été lancé dans le métier par la force des choses.

«La direction de l'équipe a remplacé notre entraîneur tchèque et, comme ils vivaient des moments difficiles sur le plan financier, ils m'ont demandé d'agir à la fois comme joueur et entraîneur. J'ai répondu que ça ne m'intéressait pas, mais c'était ça ou la porte...»

Le premier match a été catastrophique. L'équipe s'est fait défoncer 8-4. Le destin allait frapper quelques heures plus tard.

«On jouait sur la route, à Angers. Tout le monde s'est rendu au restaurant après le match. J'étais resté seul dans l'autobus, perdu dans mes pensées. Les événements se bousculaient.»

Un coéquipier l'a appelé pour l'inviter à traverser la rue et rejoindre le groupe. Il a finalement accepté et a quitté le véhicule.

Il se souvient du cri de son coéquipier suédois de l'autre côté de la rue. Une auto roulant à tombeau ouvert l'a fauché de plein fouet.

«Un délit de fuite, confie-t-il. J'ai été dans le plâtre 40 jours. Le médecin m'a dit qu'un pied de plus et j'y passais. Ma carrière de joueur prenait fin, celle d'entraîneur commençait... en béquilles!»

Il est rentré au Québec en 2000 pour occuper un poste d'adjoint chez les Cataractes de Shawinigan. Moins de deux ans plus tard, il était promu entraîneur en chef des Olympiques de Hull, dans sa ville natale, où il allait remporter plusieurs championnats.

Gatineau et Rochester

Benoît Groulx a obtenu la chance de diriger l'équipe nationale junior en 2008, mais s'est ravisé au dernier instant et a accepté le poste d'entraîneur en chef des Americans de Rochester, dans la Ligue américaine.

«Ç'a été difficile de renoncer au Championnat mondial junior, d'autant plus que le tournoi avait lieu chez moi à Ottawa à l'époque, mais quand Jacques Martin m'a offert ce contrat de trois ans, j'ai pensé que mes chances de gravir les échelons dans cette organisation avec lui comme DG des Panthers de la Floride étaient bonnes. Quand Jacques est parti deux ans plus tard pour accepter le poste d'entraîneur à Montréal, il y a eu un changement de cap important et j'ai demandé à son successeur Dale Tallon de me libérer pour retourner avec les Olympiques.»

Il ne regrette rien. «Sans l'expérience de Rochester, je ne me sentirais pas prêt à gravir les échelons du hockey professionnel comme je le suis aujourd'hui.»

Certains ne lui ont pas pardonné sa décision de renoncer à l'équipe canadienne junior. Il a été victime d'articles assassins avant le tournoi, dont un en particulier où l'auteur lui reproche d'être un bully avec ses jeunes joueurs.

«On n'aime jamais entendre des choses négatives à son endroit. Mais j'ai appris à me détacher. On dirige avec notre coeur et nos émotions. On fait tous des erreurs. Je suis un entraîneur très exigeant. J'ai parfois exagéré. Ça fait partie de l'apprentissage. On s'ajuste. On n'a pas le choix.»

Il dit avoir changé son approche. «Les jeunes joueurs sont différents aujourd'hui, oui et non. Ils veulent apprendre et connaître du succès dans un cadre structuré. Mais ils veulent emprunter un chemin qui leur convient pour arriver à leurs fins. Ils acceptent de se faire pousser, mais ils doivent savoir qu'on les aime, qu'on tient à eux, qu'on est humains.»

Benoît Groulx dit s'inspirer d'une foule de personnalités.

«Je lis beaucoup de biographies. J'ai relu la biographie de Bill Belichick pendant mon mois avec l'équipe canadienne. Il a tenté d'implanter la même philosophie qu'avec les Patriots de la Nouvelle-Angleterre auparavant à Cleveland, mais il ne possédait pas la même expérience, il était trop pressé et moins diplomate. Il a été congédié, puis il s'est remis en question.»

Benoît Groulx se remet constamment en question lui aussi.

«Je me demande encore, dix jours plus tard, pourquoi je n'ai pas pris un temps d'arrêt après le troisième but des Russes en finale. Je ne l'ai pas fait pour une foule de raisons. Mais quand ils ont fait 5-3, deux ou trois joueurs se sont retournés vers moi. Ils étaient dans le doute. Je l'ai finalement commandé à 5-4 parce qu'il n'était pas question qu'on rentre au vestiaire à égalité après deux périodes sans que je prenne ce temps d'arrêt. J'agirai probablement différemment la prochaine fois. C'est ça, l'expérience.»

Prochaine étape, la LNH. Les offres ne sauraient tarder. Mais pour l'instant, toutes ses énergies sont consacrées à son équipe actuelle, les Olympiques de Gatineau.

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Benoît Groulx en bref

> Livre marquant: «Entre Bill Belichick, Joe Torre et Pat Riley, j'opte pour la biographie de Torre. Il venait d'avoir le cancer, on l'identifiait comme un perdant, il a réalisé de grandes choses.»

> Film préféré: The Shawshank Redemption.

> Un métier qu'il aimerait exercer s'il n'était pas dans le hockey: «Peut-être journaliste...»

> Une personnalité marquante: «Mon idole de jeunesse était Jean Ratelle, mais quand j'étais en France, le personnage de François Mitterrand, le président de la République, me fascinait. J'ai lu tout ce qui s'est écrit à son sujet. Je suivais beaucoup la politique française. Il était un grand stratège dans sa façon de gérer le pays, mais aussi de placer les bons pions aux endroits clés.»

> Citation favorite: «Tu es aussi bon que ton dernier match.» - Pat Burns