Billy Beane et ses A's d'Oakland ont révolutionné le baseball en sortant des sentiers battus pour sélectionner leurs joueurs en fonction de critères neufs.

Il se passe un phénomène à Blainville-Boisbriand, dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Joël Bouchard y joue le rôle de Beane sauf que l'Armada utilise non pas les statistiques avancées, mais des qualités du coeur chez des joueurs que d'autres équipes n'ont peut-être pas discernées.

On leur prédit une saison de misère tous les ans. Mais la reconstruction n'a jamais lieu. L'Armada trône dans le haut du classement chaque hiver.

L'arrivée du défenseur Daniel Walcott chez l'Armada il y a deux ans serait digne d'une scène du film Moneyball en version hockey junior.

Le jeune homme a reçu une invitation au camp en août 2013 dans la foulée d'un appel presque désespéré d'un ami de l'entraîneur de l'équipe, Jean-François Houle. Walcott, originaire de Montréal, avait 19 ans, évoluait dans un programme scolaire indépendant de la région de Chicago et n'avait reçu aucune bourse d'études collégiales ni d'équipes juniors. Perdu dans les abysses du hockey semi-collégial.

«Après la première journée du camp, il patinait à cent milles à l'heure, il courait un peu partout, mais il avait toujours la rondelle, raconte Joël Bouchard, président et entraîneur en chef de l'Armada. Je savais qu'il voulait nous en mettre plein la vue. En fin de journée, je lui ai dit: "Mission accomplie. Maintenant, prouve-nous que tu peux jouer en défense." J'ai vu une autre dimension dans son jeu, que j'aimais encore plus. Après la deuxième journée, mon idée était faite. Je me suis assis avec lui et je lui ai dit que je ne pouvais pas lui promettre qu'il allait atteindre la LNH, mais qu'il allait devenir l'un des meilleurs défenseurs de la Ligue. »

Un an plus tard, Daniel Walcott était repêché en cinquième ronde par les Rangers de New York et il a été nommé, au début de la saison, le capitaine de l'Armada...

«Pour nous, l'être humain derrière le joueur est important, dit Bouchard. Son caractère, sa persévérance, son intensité, son esprit de compétition. S'il entre dans notre organisation, il travaillera environ mille jours avec nous. En mille jours, si le gars a une bonne attitude, et qu'il a évidemment des atouts à la base, on peut faire quelque chose de lui. En contrepartie, on lui demande deux choses: d'être un bon coéquipier, c'est-à-dire généreux, discipliné, respectueux des consignes d'équipe, et de travailler. S'il fait ça, on accepte toutes les erreurs du monde de sa part.»

«Rendez-lui la vie dure au possible»

Joël Bouchard n'était pas le défenseur le plus talentueux. Il a néanmoins été repêché en sixième ronde par les Flames de Calgary en 1992 et a joué 364 matchs au sein de huit équipes de la Ligue nationale.

«Je n'ai pas gagné le Conn Smythe et ma carrière n'est pas parfaite, mais j'ai ma carte de hockey. Je tire une grande fierté d'avoir joué dans la LNH.»

Il sait désormais trop bien que le parcours est parsemé d'embûches. «Quand les parents viennent me voir en me disant que leur enfant a du potentiel, je les arrête. La LNH, c'est loin. Si c'est réellement leur objectif, je leur dis de placer leur enfant dans les situations les plus difficiles: changez-le de position à chaque match, mettez-le dans les gradins, rendez-lui la vie dure au possible. Ceux qui percent ne sont jamais les plus talentueux. Le hockey mineur est plein de jeunes de talent. Seuls les plus acharnés percent.

«J'ai joué avec des gars beaucoup plus talentueux, poursuit Bouchard. Même chose pour Ian Laperrière. Ian jouait dans un troisième ou quatrième trio dans l'atome et le pee-wee. Les gens croient que c'est un don du ciel, le talent. Le nombre de fois où j'assiste à un tournoi midget et où mes recruteurs me disent: "Tu vois, ce gars-là, il remplissait les arénas dans les tournois aux quatre coins du Québec dans les rangs atome et pee-wee." J'ai un joueur très ordinaire sous les yeux. Il faut bien réagir à l'adversité, à la pression, être fort moralement, ne pas craindre la compétition.»

Son ancien joueur Cédric Paquette incarne parfaitement ces valeurs, souligne Joël Bouchard.

«Ils ont ri de nous quand on l'a repêché en quatrième ronde. Ce n'était pas un gros nom, il avait joué dans le midget AAA à 17 ans, il sortait de Rivière-aux-Renards, en Gaspésie. On aimait son acharnement. C'est un joueur de hockey. Je n'ai jamais peur de repêcher un gars tôt, même s'il n'est pas sur les radars.»

Après une seule saison à Blainville-Boisbriand, il était repêché en quatrième ronde par le Lightning de Tampa Bay en 2012. Il joue au centre du troisième trio de l'équipe depuis le début de la saison après des performances étonnantes contre les Canadiens en séries.

Comme un poisson dans l'eau

Joël Bouchard nage comme un poisson dans l'eau dans son milieu et les milliers de kilomètres en autocar avec ses adjoints Jean-François Fortin et Daniel Jacob ne le dérangent pas. Il est devenu entraîneur en chef après le départ précipité de Jean-François Houle, deux semaines avant le début de la saison.

«Je devais faire vite. En plus, les gens croyaient qu'on allait connaître une saison pitoyable. Si j'avais nommé un jeune, on aurait dit que je voulais le sacrifier.»

L'Armada est aujourd'hui au premier rang de sa division avec une fiche de 17-10-1.

«Je pense que j'aime encore mieux coacher que jouer. Comme joueur, on est plutôt centré sur soi-même, mais comme entraîneur, on doit s'occuper de 22 joueurs et s'oublier. J'ai plus de plaisir à voir mes gars compter que j'en avais à compter. J'ai toujours aimé jouer, ça a été une expérience de vie extraordinaire, mais je touche plus de gens à faire ce que je fais. Je préfère donner.»

Son ardeur au travail, son altruisme, son acharnement (il a frôlé la mort par deux fois, d'abord en raison d'une méningite, ensuite à cause d'une intoxication au mercure) lui viennent de sa famille.

«Mon père n'arrêtait pas deux secondes, toujours à rendre service ou à travailler pour ramener des sous à la maison. J'ai grandi dans l'est de Montréal et il travaillait au port de Montréal. Il rentrait à la maison, et des fois, il faisait tellement froid qu'on sentait le froid dans la pièce, ma soeur et moi, même quand il avait enlevé son manteau. À travailler à -50 avec le facteur éolien dans le haut d'une crinque sur un bateau sur le Saint-Laurent, on peut imaginer comme il faisait froid. Ma mère, c'était la rassembleuse et elle s'oubliait complètement pour nous. Mes parents ont toujours été positifs et ils trouvaient toujours des solutions aux problèmes. Ils viennent encore aux matchs pour m'encourager.»

Il dit ne pas songer à la LNH pour l'instant, que ce soit à titre de DG ou d'entraîneur. «Je vis au présent. J'ai un travail à faire et j'ai des gens qui dépendent de moi. De toute façon, quand tu fais bien ton travail, de bonnes choses vont survenir.»

Simple impression: si Québecor ramène les Nordiques à Québec, ils n'auront pas à chercher bien loin pour leur grand manitou...

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Joël Bouchard en bref

Film préféré: Seabiscuit, beaucoup de leçons de vie

Un livre marquant: À l'époque, Every Second Counts, de Lance Armstrong, mais je crois qu'on va le mettre à la corbeille aujourd'hui...

Une personnalité marquante: Jacques Demers

Un autre emploi: N'importe quoi comme athlète dans un sport extrême.

Citation favorite: Le talent combiné à une mauvaise attitude efface le talent.