Voilà 50 ans que dure l’histoire d’amour entre Guy Lafleur et les partisans du Canadien. Elle n’est pas près de se terminer.

Les quelque 21 000 personnes réunies au Centre Bell, dimanche soir, ont réservé une ovation de presque 10 minutes au Démon blond, qui a succombé vendredi à un cancer du poumon.

Par deux fois, l’annonceur maison Michel Lacroix a pris la parole dans l’espoir que se poursuive la cérémonie protocolaire. Mais rien n’y a fait. Chaque fois, les applaudissements ont redoublé d’ardeur, appuyés par les « Guy ! Guy ! Guy ! » et même les « Olé ! Olé ! Olé ! ». L’ambiance électrisante du moment n’avait rien à envier à un match de séries éliminatoires.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Toutes les publicités ont été retirées des bandes ceinturant la glace, laissant place une simple succession de logos du Canadien et d’agrandissements de la signature de Lafleur.

Ces effusions ont fait suite à une célébration toute en sobriété organisée par le Canadien. Toutes les publicités ont été retirées des bandes ceinturant la glace, laissant place une simple succession de logos du Canadien et d’agrandissements de la signature de Lafleur. Pendant la période d’échauffement, les joueurs du CH ne portaient pas leur casque, clin d’œil à celui dont la tignasse au vent est devenue partie intégrante de sa légende. Les joueurs du CH, comme ceux des Bruins, sont entrés sur la glace dans un silence solennel.

Un premier montage de photos a défilé sur l’écran géant sur la chanson L’Essentiel, de Ginette Reno. Des extraits sonores d’entrevues avec Lafleur, en surimpression, contribuaient à l’intimité du moment. « Jouer au hockey, ce n’est pas un travail, mais un jeu. Il faut s’amuser… et gagner le plus possible ! », a-t-on entendu dire Lafleur dans un éclat de rire.

La pièce My Way, popularisée par Frank Sinatra, a bercé le montage suivant, axé surtout sur les performances de Guy Lafleur sur la glace. La photo finale de l’ailier droit accompagné de Jean Béliveau et Maurice Richard, suivie d’une image le montrant avec à la main un flambeau, a lancé l’ovation monstre.

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Pendant la période d’échauffement, les joueurs du CH ne portaient pas leur casque, clin d’œil à celui dont la tignasse au vent est devenue partie intégrante de sa légende.

Sous les applaudissements et les cris, on apercevait tantôt la bannière numéro 10 au plafond, tantôt les anciens joueurs de l’équipe, les yeux dans l’eau, réunis derrière le banc de l’équipe.

L’amphithéâtre a été plongé dans le noir pour un moment de silence qu’ont plus ou moins respecté les spectateurs. La vision des lumières de cellulaire était toutefois spectaculaire.

« Mesdames et messieurs : Guy Lafleur ! », s’est exclamé l’annonceur Michel Lacroix en guise de conclusion avant que s’amorce le match.

Comme un au revoir à celui qui a tant donné pour le Canadien. Mais certainement pas un adieu.

Des anciens sous le choc

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Aux yeux de Pierre Bouchard, Guy Lafleur est parti un peu comme il avait l’habitude d’arriver : avant ses coéquipiers.

« Dans le temps qu’il jouait, il était toujours le premier arrivé au Forum ou dans les arénas de la ligue les jours de matchs. Là, il est aussi le premier à partir avant nous autres… »

Ce « nous autres », il faisait référence aux anciens coéquipiers de Lafleur, réunis dans le ventre du Centre Bell en ce dimanche soir émotif.

Ils étaient tous là, enfin presque tous : Bouchard, l’ex-défenseur aux poings d’acier. Bob Gainey, le fier capitaine. Yvan Cournoyer, celui qui patinait plus vite que son ombre. Les autres aussi, les Rick Green, Yvon Lambert, Chris Nilan, Réjean Houle…

Avant ce match contre des vieux rivaux de Boston, l’heure était aux anecdotes et aux souvenirs du bon vieux temps.

« On se voyait souvent jadis, il restait à Verchères, à côté de chez moi, a ajouté Bouchard. Lors de la finale de 1976 contre Philadelphie, il avait reçu des menaces, et je pouvais voir de chez moi les voitures de police banalisées qui attendaient devant sa maison. Il se passait quelque chose, mais Guy ne voulait pas trop en parler, et Jean Béliveau lui avait même suggéré de partir en congé pendant un mois, mais Guy était resté. Plus tard, on a fini par comprendre que c’était des parieurs du monde criminel qui avaient mis de l’argent sur les Flyers et qui cherchaient à le déconcentrer… on a battu les Flyers en quatre, alors j’espère que ces gars-là ont tout perdu ! »

Yvan Cournoyer, lui, se remémorait l’arivée de Lafleur au Forum, en 1971.

« Cette édition du club avait déjà gagné des coupes avant qu’il arrive, et je me souviens d’avoir été tellement content quand il s’est pointé ! Parce que je savais qu’avec un gars comme ça, on allait continuer à gagner des coupes. C’était impossible qu’on ne gagne plus avec Guy Lafleur… et on a gagné cinq autres coupes ! Quand il est arrivé avec nous, il jouait encore avec son casque, et puis, il avait un peu de misère, les gens commençaient à dire qu’il devrait mieux jouer que ça. À un moment donné, on lui a dit, enlève ton casque et joue comme tu es capable de jouer, tu n’auras plus de problèmes ! Au départ, l’ennui, c’est qu’il était au centre, alors que Guy était un ailier droit. Quand il est allé à droite, et après avoir enlevé son casque, il s’est mis à avoir des saisons de 50 buts ! Mais casque ou pas de casque, Guy, c’était un naturel. »

Lucien Deblois, lui, se rappelait de son premier rendez-vous avec Lafleur, au début de la saison 1977-78.

« J’étais avec les Rangers, Guy était à son apogée, et c’était au Madison Square Garden. Les gens au Garden de New York ont toujours bien reçu Guy… Lors de l’une de mes premières présences ce soir-là, j’ai commis un revirement et je lui ai donné la rondelle… Heureusement pour moi, il n’a pas marqué ! Mais Guy était tellement en avant de tout le monde à cette époque. Si tu regardes Connor McDavid jouer maintenant, eh bien, pour ceux qui n’ont jamais vu Guy, c’était la même chose.

Et puis les souvenirs se sont enchaînés, comme ça, pendant de longues minutes. Il y a eu des rires, des larmes aussi. Mais surtout, il y a eu Guy, qui semblait être encore présent dans l’aréna, tellement on pouvait entendre son nom partout.

« C’est très dur, et ça va prendre du temps avant qu’on le réalise vraiment, a ajouté Guy Lapointe. Mais Guy, on ne l’oubliera jamais… »

Ils ont dit

C’est très difficile. On vient de perdre un de nos coéquipiers, il faisait partie de la grande famille des anciens. C’est une grosse perte pour le CH, on sait combien Guy était bon ambassadeur… C’était comme un frère, il était tellement généreux, tellement bon pour le public. Il était proche du public et cette vague d’amour n’est pas une surprise. Avant ou après un match pour une bonne cause, il était toujours disponible pour tout le monde…

Guy Lapointe

Ce fut une journée très difficile vendredi. On constate à quel point il était très malade à la fin. Il était tanné de souffrir, il a décidé de partir. On l’aimait beaucoup, notre Flower. J’ai eu tellement de bons moments avec lui. Partout où on allait, il signait autographes et nous passait le calepin. On s’encourageait… Il avait l’habitude de manger trois ou quatre hot-dogs avant de rentrer sur la glace, fallait le faire ! Lors d’un match des séries à Boston, tout le monde le menaçait, et il est sorti comme une balle. Le côté d’un grand talent comme lui, c’est que même lui-même, il ne sait pas ce qu’il va faire. Il est assez bon, il entre dans la zone, dans la dernière minute… Ça vient comme ça, il fait des gestes que lui-même ne réalise pas… et la rondelle est au fond du filet. Mais on est là, son fils est ici, on est tous des joueurs qui ont joué avec lui. On veut lui dire, merci Guy !

Réjean Houle

À ce moment dans nos vies, on a vu plusieurs départs comme ça. Une semaine après Bossy, c’était pas une surprise, mais toujours un choc, et un choc aussi de recevoir la nouvelle que cette personne ne sera plus dans nos vies. Ça nous permet de ressortir des souvenirs, des situations vécues ensemble, que ce soit durant un match, une situation, ou quelque chose hors de ça. Pour moi, c’est beaucoup de ça cette semaine : ressasser de bons souvenirs, des choses dont je me souviens quand lui et moi on était ensemble.

Bob Gainey