Guy Lafleur est à la retraite depuis maintenant quatre ans en 1988.

Le divorce avec le Canadien, survenu en novembre 1984, a été douloureux. Il a été marqué par une guerre froide avec son ancien centre devenu entraîneur-chef, Jacques Lemaire.

Le Démon blond a quitté le hockey trop tôt, à 33 ans. Il avait pourtant obtenu 70 points, dont 30 buts, en 80 matchs la saison précédente, en 1983-1984.

Lafleur a pris contact avec quelques équipes dans la foulée de son départ de Montréal, les Kings de Los Angeles, les Penguins de Pittsburgh, les Rangers de New York, mais l’intérêt à son endroit ne semble pas y être.

Le président de l’équipe, Ronald Corey, a prononcé un second divorce quelques mois plus tard alors que Lafleur travaillait pour l’organisation à titre d’ambassadeur.

Des fourmis dans les jambes

Les années passent. Lafleur a des fourmis dans les jambes. À l’été 1988, il se remet en forme en s’entraînant à la boxe et patine avec des recrues de la Ligue nationale.

Michel Bergeron vient d’être nommé entraîneur-chef des Rangers de New York. L’un de ses meilleurs amis, Richard Morency, a vu Lafleur à l’œuvre pendant l’été dans des matchs des anciens de la LNH. Lafleur survole la patinoire. Morency raconte à Bergeron ce qu’il a vu, mais les choses en restent là.

Personne, pas même Michel Bergeron, ne peut se douter que l’ancienne gloire du Canadien vise un retour au jeu.

Le conseiller et grand ami de Lafleur, Yves Tremblay, fait une nouvelle approche auprès des Kings de Los Angeles. On ne semble pas très ouvert. Tremblay appelle aussi Bergeron. Le Tigre, comme on le surnomme, est à la fois incrédule et excité au téléphone. Il raccroche et passe un coup de fil à son directeur général Phil Esposito.

« On a invité Guy à nous rencontrer à New York, raconte Michel Bergeron au bout du fil. Richard [Morency] m’en avait parlé, mais j’y croyais quand même plus ou moins. Est-ce qu’il paraissait bien parce que c’était une ligue de garage ou quelque chose comme ça ? Mais ça m’a frappé quand je suis allé le chercher à l’aéroport. Il était basané et dans une forme extraordinaire. Il avait l’air d’un joueur de hockey de 25 ans. Je pense qu’il s’était entraîné sérieusement pour la première fois de sa carrière. Là, j’ai commencé à être excité… »

Esposito accepte d’inviter l’ancienne gloire du CH au camp d’entraînement. Le hasard fait bien les choses, ce camp doit se dérouler à… Trois-Rivières. Les Rangers ne prennent aucun engagement envers Lafleur, à lui de mériter un contrat par son jeu à l’entraînement.

« Guy n’avait pas dormi de la nuit au motel Le Baron de Trois-Rivières, relate Michel Bergeron. Je lui ai dit : “Tu viens avec moi à l’aréna.” À 7 h le matin, ça faisait la file depuis le stade de baseball jusqu’au Colisée ! Ça s’est rempli à pleine capacité ! Tous les journalistes du Québec étaient là avec ceux de New York. Il y en avait même d’ailleurs en Amérique du Nord. »

L’entraîneur des Rangers fait une drôle de tête en voyant arriver à Trois-Rivières le vénérable chroniqueur du Boston Globe, Francis Rosa.

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?

— Flower is back, lui répond ce journaliste membre du Temple de la renommée.

Michel Bergeron compose ses trios pour les matchs simulés. Il place Lafleur avec le meilleur espoir de l’équipe, Tony Granato.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Lafleur et Michel Bergeron

Je voulais que Guy paraisse bien. Dès sa première présence, Tony fait une passe à Guy qui arrive sur le flanc. Il décoche un lancer typique et marque contre Bob Froese. Le Colisée voulait exploser. J’étais avec Phil sur la galerie de presse et Phil me disait : “On le signe tout de suite ! On le signe tout de suite !”

Michel Bergeron

Lafleur obtient un contrat d’un an à la fin du camp d’entraînement. Il jouera tantôt sur le troisième trio, tantôt sur le quatrième, participera à l’occasion aux supériorités numériques. Il y a même des soirs où Michel Bergeron, le cœur chaviré, le rayera de la formation.

Une autre légende québécoise joue pour les Rangers, Marcel Dionne, le deuxième choix au repêchage de la LNH derrière Lafleur en 1971. À eux deux, ils totalisent presque 3000 points en carrière !

« À un moment de la saison, Guy est dans une léthargie, il a été quatre ou cinq matchs sans marquer, raconte Michel Bergeron. Marcel m’a demandé de le faire jouer avec Flower. Ça n’a pas été long. Dès le match suivant, en supériorité numérique, il lui a fait une passe parfaite dans l’enclave et Guy a marqué. Mais ils avaient 38 ans tous les deux et je devais parfois choisir entre les deux dans ma formation. Mon plus grand regret a été de ne pas les avoir dirigés au sommet de leur carrière. »

Son retour au Forum de Montréal sera mémorable. Le Canadien gagne 7-5, mais Lafleur marque deux buts. La foule est en liesse !

« Guy était arrivé au Forum à 2 h de l’après-midi, relate son ancien coach à New York. Il était nerveux. Il fumait. Mais le plus nerveux de tous était derrière le banc du Canadien, [le président] Ronald Corey, avec tout ce qui s’était passé dans les dernières années à Montréal. Je peux te dire qu’il était décoiffé ! »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Lafleur est de retour au Forum de Montréal, le 4 février 1989.

Au terme de la saison, Lafleur présente une fiche impressionnante pour un joueur de 37 ans absent si longtemps : 67 matchs, 45 points, 18 buts.

Bergeron est congédié à la veille des séries éliminatoires. Lafleur est sans contrat après l’élimination sèche des Rangers au premier tour.

Le Tigre accepte d’effectuer un retour avec les Nordiques de Québec même si les prochaines années s’annoncent extrêmement difficiles pour ce club en reconstruction.

« Marcel [Aubut] m’avait demandé si Guy pouvait nous aider. Il avait de la misère à vendre des billets de saison. J’ai répondu que oui, sur un quatrième trio. »

Après sa première journée au camp d’entraînement, Michel Bergeron rentre démoralisé à la maison. Sa femme, Michèle, s’enquiert de son état.

— Tu ne sembles pas très enthousiaste ?

— Non. Guy Lafleur est mon meilleur ailier droit et à New York, il jouait sur mon quatrième trio…

PHOTO LUC-SIMON PERREAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Les Nordiques de 1988-1989

Ça sera en effet une saison de misère. Les Nordiques remportent seulement 12 matchs. Le meilleur buteur de l’histoire de l’équipe, Michel Goulet, sera échangé au cours de l’hiver, le directeur général Martin Madden congédié après les Fêtes.

Mais Lafleur ne déçoit pas avec 34 points en 39 matchs. « Il a été bon avec les jeunes, surtout avec Joe Sakic, souligne Michel Bergeron. Et avec Sergei Mylnikov, notre gardien russe. Mylnikov est même allé lui porter une bouteille de champagne le 24 décembre. »

Guy Lafleur disputera une ultime saison l’année suivante. Les Nordiques remportent seulement quatre matchs de plus, avec cette fois Dave Chambers derrière le banc. Il amasse 28 points en 59 matchs.

Son dernier tour de piste est mémorable. Il dispute son avant-dernier match au Forum de Montréal, et le dernier au Colisée. Au Forum, l’ovation dure plusieurs minutes, une manifestation d’amour jamais vue. Les partisans du Colisée de Québec, où il a fait carrière chez les juniors, lui réservent eux aussi un accueil émouvant.

Ce retour au jeu lui aura permis de boucler la boucle de sa carrière à ses conditions. Et quelle carrière…