« Guy, il voulait faire partie de la gang. C’était ça que le monde aimait. »

Ainsi Guy Carbonneau se souvient-il de Guy Lafleur. Le Démon blond a fait partie de la gang tant que sa santé le lui a permis. Le 20 septembre dernier, il se sentait assez en forme pour fêter ses 70 ans au Vieux Four Manago, à Kirkland, un restaurant familial près de chez lui où il allait souvent.

Pendant deux heures, ils ont été une douzaine à échanger autour de la table : d’anciens frères d’armes, ses deux fils, de même que Geoff Molson et France Margaret Bélanger, les organisateurs du dîner.

« Il avait encore beaucoup d’espoir, rappelle Carbonneau, au bout du fil. On vit dans un monde où des miracles arrivent parfois et t’espères que ça t’arrive. Il a essayé différents traitements. Il était comme tout le monde, il était résilient, il se battait. Mais tu voyais que c’était difficile. »

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Stéphane Richer, Mario Tremblay, Guy Lafleur et Guy Carbonneau, en 2010

Lafleur s’est accroché bien plus longtemps que ce qu’on aurait cru, avant de rendre son dernier souffle, vendredi, à l’âge de 70 ans, des suites d’un cancer du poumon.

Certains sortent de l’anonymat du jour au lendemain pour devenir de grandes vedettes. Lafleur, lui, était attendu depuis longtemps quand il est arrivé chez le Canadien en 1971, à titre de premier choix au repêchage. Il venait de connaître une saison de 130 buts avec les Remparts de Québec.

« Je me souviens encore de son premier entraînement avec nous à Verdun. Je me suis dit qu’on avait un bon joueur de hockey et qu’on gagnerait plusieurs Coupes Stanley avec lui. Je ne me suis pas trop trompé », se remémore Yvan Cournoyer.

À coups de saisons de 50 buts, il s’impose peu à peu comme un digne successeur de Jean Béliveau, qui venait d’accrocher ses patins quand Lafleur est arrivé.

« Ces gars-là sont venus au monde avec un talent naturel, mais ils ont travaillé fort pour l’améliorer, note Serge Savard, coéquipier de la première heure de Lafleur à Montréal. Lafleur arrivait à l’aréna à 2 h l’après-midi pour un match. Nous, on arrivait à 5 h 30, et il était déjà tout trempe ! »

Yvon Lambert décrit Lafleur comme « le meilleur joueur au monde de 1975 à 1980 », affirmation que les chiffres confirment. Entre les saisons 1975-1976 et 1979-1980, il vient au premier rang de la LNH pour les buts (274), les passes (373) et, naturellement, les points (647).

Sauf que Lafleur avait aussi l’humilité d’un bon coéquipier. « Il disait toujours : “C’est pas juste Lafleur qui nous fait gagner, c’est 20 gars.” Nous, en tant que coéquipiers, ça nous faisait un velours. Quand t’es numéro 1 au monde, t’es acclamé partout, et nous, comme coéquipiers, on était fiers de ça. »

Son palmarès sur la patinoire :

  • trois trophées Art-Ross (meilleur compteur)
  • deux trophées Hart (joueur le plus utile en saison)
  • un trophée Conn-Smythe (joueur le plus utile en séries)
  • cinq Coupes Stanley

Ses 1246 points constituent un record d’équipe depuis le 9 février 1984 et on ne voit pas, pour le moment, le jour où il sera battu.

Malgré ses exploits, malgré son statut, Lafleur aura toujours été proche des partisans. « S’il y avait 200 personnes à la réception, on signait 200 autographes, pas question d’en manquer une », illustre Yvon Lambert, coéquipier de Lafleur au sein de la dynastie des années 1970.

« Il ne se prenait pas pour un autre, il n’a jamais dit non à un autographe », ajoute Savard.

Lafleur continuait ainsi malgré la maladie qui le terrassait. En mars dernier, il nous confiait qu’il répondait encore à tout le courrier qu’il recevait.

« À la dernière année de sa vie, il a parti le Club des 10 pour ramasser des millions pour la Fondation du CHUM. Il a fait une différence toute sa vie », souligne Serge Savard.

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Serge Savard, Guy Lafleur et Yvan Cournoyer en 1977, alors que le numéro 10 avait remporté le trophée Conn-Smythe

« Il était reconnaissant envers ses fans, ajoute Pierre Bouchard. C’était une vedette, mais pas condescendante. C’est pour ça que le Canadien le gardait comme ambassadeur, même si Guy lui chauffait les oreilles de temps en temps ! Il ne se gênait pas pour dire ce qu’il pensait, un peu comme Maurice Richard. »

Parce que oui, c’était aussi ça, Guy Lafleur. En politique, c’est ce qu’on appelle, de façon pas très élégante, une belle-mère. Sauf que dans le cas de Lafleur, c’était simplement un homme qui se désolait de voir son ancienne équipe incapable de reproduire la magie d’autrefois.

« Il n’avait pas de méchanceté. Mais il n’avait pas de filtre, nuance Serge Savard. Il pensait à quelque chose et ça sortait comme ça sortait. Parfois, ça lui a joué des tours ! Tout le monde savait que ce qu’il pensait, il le disait. Et il avait la stature pour le dire. Mais c’était une bonne personne. Ça ne faisait pas de lui une mauvaise personne. »

Guy Carbonneau en sait quelque chose. Le 26 novembre 2007, c’est lui qui est entraîneur-chef du Canadien quand un Lafleur exaspéré déclenche une tempête. « Dans mon livre à moi, il n’y a pas de premier trio à Montréal. On a quatre quatrièmes trios ! », lance-t-il sur les ondes de RDS.

Carbonneau rit quand on lui rappelle l’incident. « Connaissant le bonhomme, tu réponds avec un sourire en coin. On comprenait tous ce qu’il voulait dire. Moi, je dois dealer avec les répercussions, mais c’est la même chose pour tout instructeur.

« Quand il croyait en quelque chose, il n’avait pas peur de donner son opinion, poursuit Carbonneau. Est-ce qu’il a toujours dit la bonne chose ? Non. Mais il se tenait debout, il disait de quoi et ça restait. »

C’est ce Guy Lafleur là, franc, humble, altruiste, qui a eu droit à un beau dîner de fête pour ses 70 ans, l’automne dernier.

Il a tenté de poursuivre ses activités du mieux qu’il pouvait. En janvier, il est apparu à l’émission La semaine des 4 Julie, afin de saluer Chantal Machabée. Dans la vidéo enregistrée chez lui, on le voit amaigri, le crâne dégarni, mais avec la voix encore assurée.

Son ancien coéquipier Steve Shutt l’a vu il y a deux semaines et a trouvé qu’il paraissait encore bien, si bien qu’il ne s’attendait pas à le voir partir si rapidement. Et la semaine dernière, Lafleur prenait l’appel de notre confrère du Journal de Montréal Marc de Foy au sujet de la mort de Mike Bossy. Mais sa voix était faible.

Plus tôt cette semaine, quand le Canadien a organisé un souper des anciens au Centre Bell, Lafleur n’y était pas. Il n’avait plus l’énergie pour être dans la gang.

« Geoff Molson a pris la parole avec Réjean Houle, et on a eu un petit moment, on a pensé à Guy Lafleur, décrit Lambert. C’est sûr qu’il aurait aimé être avec nous. Malheureusement, il ne pouvait pas parce qu’il était très souffrant. Au moins, on a eu une pensée pour lui. »

« C’est comme Mike Bossy, se désole Guy Carbonneau. Un jour, on le voit à la télé, il sourit, et le lendemain, t’apprends la nouvelle et pas longtemps après, il est mort. Des fois, ça va vite. »

Avec son départ, le Canadien perd le troisième membre de ce que beaucoup considèrent comme la Sainte Trinité de l’histoire de l’équipe, avec Maurice Richard et Jean Béliveau. Sa perte s’ajoute à celle d’Henri Richard, l’homme aux 11 Coupes Stanley, il y a deux ans.

Reste Yvan Cournoyer et ses 10 Coupes Stanley, toujours actif, toujours disponible pour répondre au téléphone, qui était justement au Centre Bell cette semaine pour fraterniser avec Cole Caufield, notamment. Et ses anciens coéquipiers.

« C’est comme quand Jean [Béliveau] nous a quittés… J’avais été voir Jean quelques jours avant sa mort, a raconté Cournoyer. Là, je savais que Guy s’en allait, mais quand ça arrive, c’est pas comique.

« Je vais commencer à être seul un peu. »

Avec la collaboration de Simon-Olivier Lorange, La Presse