Avec un peu d'imagination, au lieu du swoosh de Nike, c'est un «A» qu'on voyait hier sur la poitrine de Tiger.

«A» pour adultère, la lettre qu'une Amérique puritaine collait sur l'héroïne du roman La lettre écarlate.

L'histoire de Tiger en est une de morale. Les croyants semblent les plus offensés. D'autres moins pieux haussent les épaules. «Bof», disait un confrère italien, avant d'ajouter : «Ils n'ont pas entendu parler de Berlusconi.»

Cela rappelle que cette histoire en est aussi une de valeurs. La loi morale n'est pas aveugle. Son application varie. Certes, le plus célèbre athlète au monde sera naturellement traité de façon différente. Mais il y a plus. Quelques chanteurs, écrivains ou joueurs de basket secouent sûrement la tête en regardant l'ampleur de l'affaire. Quoi? Tiger n'a pas lancé de téléviseur du 10e étage? Pas apporté de fusil chargé dans le vestiaire? Même pas dans sa boîte à gants? Et le chauffeur de taxi, il ne l'a pas tabassé?

Non.

Alors pourquoi juge-t-on Tiger plus sévèrement? Peut-être est-ce parce que l'art doit refléter la condition humaine. On s'attend à ce qu'un écrivain ou un peintre la vive pleinement, en bon martyr de son art. Quitte à se dérégler quelques neurones au passage. Ça ajoute presque à sa crédibilité. Quant aux athlètes, ils sont soumis à l'idéal

de l'esprit sportif. Mais chez les meilleurs, l'instinct du prédateur n'est jamais loin. Et il ne s'éteint pas toujours après le sifflet.

Chez les auteurs de performances extrêmes, on s'attend à des comportements extrêmes. Dans le cas de Woods, c'est à un comportement extrêmement moral qu'on s'attendait. À un niveau presque impossible. Et c'est un peu la faute de sa famille. Pendant sa puberté, on construisait déjà le mythe. Un psychologue sportif l'hypnotisait, un gérant d'IMG veillait sur lui et son père répétait que Tiger serait meilleur comme homme que comme golfeur. Il le comparait même à Gandhi. En interview, Tiger formulait ainsi son objectif : devenir chaque pour une meilleure personne. Les commanditaires ont ensuite alimenté ce mythe. À toute cette pression s'ajoutait celle d'être le premier Afro-Américain à pouvoir dominer un sport de Blancs. Il fallait faire mentir leurs préjugés. Mais il y a des limites à imiter Atlas.

«Je croyais que tout m'était permis», s'est-il confessé. D'une certaine façon, c'était un peu vrai. Tout lui était accessible. Jets privés, soirées de dizaines de milliers de dollars, conquêtes sans fin. Après l'adrénaline de la victoire, quand on se tourne les pouces et que seule l'imagination limite les tentations, résister devient, peut-on présumer, difficile. Peut-être est-ce cela, l'insondable solitude des grandes personnalités publiques.

Que va-t-il arriver maintenant ? Le tintamarre médiatique va diminuer. Pour l'étouffer, Tiger doit bien jouer. Et aussi ne plus s'imposer de normes morales. En conférence de presse, il ressembla it à un équilibriste qui commentait sa traversée sur un fil tendu. Il a fait preuve de repentir, en thérapie et en réhabilitation. Mais il y a un danger à ce qu'il s'impose la vertu, et qu'il en fasse un enjeu public. Hier, le sujet a été abordé bien malgré lui. Espérons qu'il reste discret sur la chose. S'il garde la porte ouverte trop longtemps, elle pourrait devenir difficile à fermer. Et les histoires hollywoodiennes de rédemption ne sont pas toujours bonnes, et elles ne finissent pas toujours bien.