La guerre ayant éprouvé et ébranlé le paisible monde du golf entre les circuits PGA Tour, DP World Tour et LIV Golf est enfin résolue.

Un an presque jour pour jour après les débuts controversés du circuit saoudien, les parties impliquées en sont venues à une entente. Désormais, ils ne formeront plus qu’un.

La nouvelle est tombée mardi matin. Les joueurs du PGA Tour étaient arrivés à Toronto, au club de golf Oakdale, en prévision de l’Omnium canadien qui prendra son envol jeudi. C’était une matinée nuageuse et douce. Sur le coup de 10 h 20, les téléphones de tout le monde sur la propriété se sont mis à vibrer. Soudainement, le visage du golf, et celui des joueurs, venait de changer.

Le PGA Tour a annoncé sa fusion avec le DP World Tour (le circuit européen) et le circuit LIV, par l’entremise du Fonds d’investissement public d’Arabie saoudite (FIP). Ainsi, le FIP sera l’investisseur exclusif de cette nouvelle entité dont le nom sera dévoilé prochainement. C’est donc la fin de la rivalité entre les circuits.

L’idée que le bras financier du gouvernement saoudien devienne l’unique catalyseur économique du circuit « facilitera sa croissance et son succès », comme indiqué dans le communiqué officiel, en plus de « mettre fin au litige constant entre les parties impliquées ».

Néanmoins, même si le financement sera sécurisé entièrement par le FIP, le PGA Tour détiendra une majorité de sièges au conseil d’administration. Il obtiendra donc plus de voix lors des votes ou des prises de décision.

Sur papier, Yasir Al-Rumayyan, directeur du FIP, sera le président du nouveau groupe commercial. Pour sa part, Jay Monahan, commissaire de la PGA, agira à titre de président et directeur des opérations. Pour ainsi dire, le FIP servira seulement de levier financier, tandis que les bonzes du PGA Tour seront responsables de la gestion, des opérations et de l’aspect sportif de la nouvelle entité.

Or, seuls les plus naïfs croiront qu’en dépit des milliards de dollars investis du fonds saoudien, celui-ci restera simple figurant dans le processus décisionnel. D’ailleurs, le président et commissaire de LIV, Greg Norman, a été complètement écarté du processus et de la nouvelle entité. Il a appris la nouvelle mardi matin en même temps que tout le monde.

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Le commissaire de la PGA, Jay Monahan

La prochaine étape pour le PGA Tour sera de s’entendre avec LIV sur les modalités de réadmission des joueurs ayant déserté le circuit original pendant les derniers mois.

Pour ce faire, la nouvelle entité travaillera sur « un processus égalitaire et objectif pour que tous les joueurs désirant postuler à nouveau pour devenir membre du PGA Tour et du DP World Tour [puissent le faire] à la fin de l’année 2023 et déterminer les critères de réadmission », explique le communiqué.

Les discussions se seraient amorcées il y a sept semaines, à Londres, entre MM. Monahan et Al-Rumayyan. Néanmoins, plusieurs questions demeurent en suspens : quand est-ce que les joueurs de LIV pourront rejoindre ceux du PGA Tour ? À quoi ressemblera le calendrier ? Les faramineux contrats des joueurs du circuit saoudien seront-ils déchirés ? Qu’adviendra-t-il de la LPGA ? Le circuit européen pourra-t-il enfin être reconnu à sa juste valeur ?

Pour l’instant, les joueurs ayant résisté au cachet saoudien seront obligés de s’y soumettre, car l’entièreté de leur salaire et de leurs bourses proviendra de l’argent du FIP, dont le gouvernement bafoue entre autres jour après jour les droits de la personne, les droits des femmes et la liberté d’expression, selon Amnistie internationale.

Le choc

« Je ne m’attendais vraiment pas à ça », s’exclame en riant Massimo Roch, fondateur et président de l’East Coast Pro Tour, affilié au DP World Tour. « Ça change tout, c’est fou ! »

Tout le monde à Toronto était en état de choc lorsque la nouvelle est tombée. La plupart des joueurs sur place ont appris la nouvelle par Twitter. Étant donné que le PGA Tour est une association de joueurs, l’idée que les principaux artisans du circuit aient été mis au courant en même temps que le commun des mortels soulève questions et mécontentement.

« Dans le cas de mon ami Mark Hubbard [joueur du PGA Tour], c’est son frère qui lui a envoyé le tweet », explique Yohann Benson, professionnel de golf, cadet et analyste, en direct du site de l’Omnium canadien.

C’est une autre preuve que le PGA Tour n’en a rien à cirer, de ses joueurs. Il veut faire plaisir à ses vedettes et c’est tout.

Yohann Benson, professionnel de golf, cadet et analyste

« C’est un peu bizarre d’avoir pris la décision sans eux [les joueurs] », croit Massimo Roch. En plus de se sentir « méga mal pour [Will] Zalatoris ou [Hideki] Matsyuama qui ont dit non aux offres de plus de 100 millions de dollars de LIV pour rester avec le PGA Tour ».

Yohann Benson a la forte impression qu’avec cette nouvelle entente, le PGA Tour laisse tomber les joueurs « marginaux » qui évoluent depuis des années sur le circuit et qui se battent pour une carte de jeu, semaine après semaine.

« Je pense à des gars comme Mark [Hubbard] qui est 69e dans le classement de la Coupe FedEx. C’est les 70 premiers qui participent aux éliminatoires de fin de saison [où les bourses sont les plus élevées]. Si tous les gars de LIV reviennent, il va perdre son classement », soutient Benson, qui était sur le vert d’entraînement quand la bombe est tombée.

« Comme tout le monde, j’étais surpris. Golf Channel et les médias sociaux sont allumés depuis ce matin pour essayer de me faire une tête », indique pour sa part Jean-Sébastien Légaré, professionnel de golf et analyste. Il avoue se situer « quelque part entre la surprise et la déception ».

Comme les observateurs de la chaîne spécialisée, son ton était plutôt résigné. « Tu sens que tous ceux qui ont défendu le PGA Tour ont le sentiment de s’être fait tromper. »

« La lumière au bout du tunnel »

Est-ce une défaite pour le PGA Tour ? « Je n’en suis pas si certain », répond Yohann Benson.

Mine de rien, l’émergence de la série LIV a forcé le PGA Tour à changer sa manière de faire, principalement en matière de financement. Les bourses dans la majorité des tournois ont augmenté, tout comme les sommes offertes par le Programme d’impact des joueurs, récompensant les joueurs ayant généré le plus d’intérêt commercial, publicitaire et médiatique pour la PGA.

D’autant plus que la soi-disant guerre entre les deux camps « n’a jamais vraiment existé chez les joueurs », relève Yohann Benson. Mis à part des évènements isolés impliquant Phil Mickelson, Patrick Reed et Sergio García, les joueurs des deux circuits ont continué de se respecter. Les images au dernier Championnat de la PGA impliquant notamment Rory McIlroy et Brooks Koepka étaient assez éloquentes.

PHOTO ARCHIVES LIV GOLF/ASSOCIATED PRESS

Phil Mickelson

Selon Jean-Sébastien Légaré, « on risque de revivre ce qu’on a vécu au Championnat de la PGA lorsque les gars se sont côtoyés. Ils ont continué à jouer ensemble où ils résident, à Jupiter Island ».

« Je ne pense pas que c’est le PGA Tour qui s’avoue vaincu, ajoute Yohann Benson. Il a juste vu la lumière au bout du tunnel et il a peut-être reçu une offre qu’il ne pouvait pas refuser. »

À long terme, « ce sera probablement une bonne affaire ». « Je ne vois pas comment ça pourrait mal virer », pense Massimo Roch. En même temps, il souligne : « Quelle organisation ne voudrait pas s’appuyer sur des milliards de dollars et avoir une empreinte mondiale ? » Ultimement, « l’argent mène le monde », rappelle Jean-Sébastien Légaré.

Au moins, conclut Massimo Roch, « maintenant, tout le monde pourra marcher dans la même direction ».