De tous les tournois majeurs, le Tournoi des Maîtres est le seul qui est toujours disputé sur le même parcours. Pas étonnant, donc, que le club Augusta National soit l’un des plus célèbres du monde et que les amateurs de golf aient développé une forme de vénération pour ce coin de la Géorgie.

Pour plusieurs, Augusta et le Tournoi des Maîtres constituent un idéal de ce que doit être un club de golf. Le parcours est superbe, particulièrement à ce temps-ci de l’année, alors que les arbres et arbustes sont en fleurs et que tous les éléments du décor sont en place.

Ajoutez à cela toutes les traditions patiemment élaborées au cours d’une histoire maintenant longue de 89 ans, la liste des exploits des plus grands champions, de Gene Sarazen à Tiger Woods, et vous avez une idée l’importance de l’évènement.

Et cette année, après deux présentations perturbées par la pandémie, le tournoi retrouve tous ses ingrédients, avec notamment une foule au maximum de la capacité du club, des téléspectateurs sevrés de golf et la promesse de nouveaux exploits, peut-être par Tiger lui-même.

Depuis quelques années, chaque présentation du Tournoi des Maîtres amène un lot de critiques à l’endroit du club Augusta National et de la compétition.

Le problème, c’est que cet « idéal » est aussi fondé sur beaucoup d’artifices et un ensemble de valeurs éminemment conservatrices. Comme si le tournoi était resté figé quelque part dans les années 1950 et que les craques du décor étaient de plus en plus visibles, malgré les millions investis dans les installations et la promotion du golf.

Curieusement, assister au Tournoi des Maîtres n’est pas sans rappeler une visite à Disneyland et on est vite conscient de faire partie d’une vaste mise en scène. La direction du club prend d’ailleurs un soin particulier à contrôler son spectacle annuel et sa diffusion. Pour les spectateurs – on dit patrons à Augusta –, les téléphones et appareils photo sont interdits pendant le tournoi et un code de conduite interdit de courir, de crier ou même de porter une casquette à l’envers.

La plupart des billets sont vendus des années à l’avance et la revente est illégale. Et même si les organisateurs sont avares de commentaires sur l’organisation du tournoi, ce n’est plus un secret de noter, entre autres incongruités, l’absence de la faune sur le site, l’utilisation de peinture sur les verts, de teinture dans les étangs ; des astuces qu’on voit ailleurs, certes, mais qui détonnent dans un tel « temple ».

Le réseau CBS diffuse le tournoi depuis 1956, mais n’a aucune entente à long terme avec le club, le contrat étant renouvelé chaque année, aux conditions imposées par les dirigeants d’Augusta National. Certains commentateurs en ont d’ailleurs payé le prix, comme le coloré Gary McCord, qui a été écarté de la couverture en 1994 après avoir déclaré en ondes, pour commenter la vitesse des verts : « Ils ne tondent pas les verts à Augusta, ils utilisent de la cire épilatoire [bikini wax]… »

Pas étonnant qu’on n’ait jamais entendu parler des controverses ayant entouré la gestion du club et que la description du tournoi à CBS soit aussi enlevante qu’une reprise de La messe du dimanche à Radio-Canada, avec toute une série de rituels bien réglés.

Un culte

La référence à la religion n’est pas fortuite et certains n’hésitent pas à parler d’un culte en référence au club Augusta National et à son tournoi. Au-delà de leur amour du golf, les créateurs du Masters, Bobby Jones et Clifford Roberts, étaient reconnus pour leur conservatisme, leur racisme et leur sexisme. Si le talent exceptionnel du premier – peut-être le plus grand joueur de tous les temps – lui a valu une certaine indulgence, l’arrogance et l’intransigeance du second ont longtemps défini la gestion du club et continuent d’influencer ses successeurs.

Alors que les cadets du club étaient historiquement tous afro-américains, il a fallu attendre 1975 pour y voir un premier joueur noir, Lee Elder. Et ce dernier a encore dû patienter 44 ans avant d’être invité parmi les Honorary Starters, les légendes qui donnent le coup d’envoi au tournoi, l’année dernière dans les suites du mouvement Black Lives Matter, quelques mois seulement avant sa mort.

Le père de Tiger Woods lui a vite appris qu’il devait devenir un joueur exceptionnel s’il voulait être accepté dans ce milieu. Et il lui a aussi appris à ne jamais se plaindre du traitement qu’on lui réservait en raison de sa couleur. Vous imaginez Colin Kaepernick ou Lewis Hamilton à Augusta ?

De la même façon, l’organisation depuis 2019 d’un tournoi amateur féminin, la semaine précédant le Tournoi des Maîtres, ressemble beaucoup à une manœuvre de diversion pour faire oublier qu’il n’y a encore que quelques femmes parmi les membres du club, une situation qui n’a pratiquement pas évolué depuis que Condoleezza Rice et Daria Moore sont devenues les premières en 2012.

Les joueuses inscrites à l’Augusta National Women’s Amateur ne sont admises sur le parcours que pour une ronde, les autres étant disputées dans un club voisin.

Souvent décrit comme l’un des clubs privés les plus exclusifs du monde, Augusta National perpétue, en plus des traditions de son tournoi, un système d’exclusion qui reste le modèle de nombreux clubs de golf sur tous les continents.

Une semaine par année, la fascination exercée par son superbe parcours suffit à le faire oublier. Comme un mirage.