Il y a un an jour pour jour, Tiger Woods se blessait gravement à la jambe droite lors d’une sortie de route en banlieue de Los Angeles, victime de multiples fractures ouvertes. Sa rééducation, a-t-il prévenu mercredi dernier, est loin d’être terminée. Mais il se croit en mesure de revenir au jeu, bien qu’il ne puisse s’avancer sur une date. À quoi s’attendre (ou pas) pour la suite de sa carrière ? Entretien avec cinq experts.

L’optimiste

Carlo Blanchard, analyste de golf à RDS

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Carlo Blanchard

« Moi, je ne fais pas mon deuil de Tiger et j’ai confiance de le voir bien performer. Je ne serais pas surpris du tout qu’il gagne au moins un tournoi cette année. »

Gagner un tournoi cette année. S’il est une prévision à laquelle on ne s’attendait pas, ce serait celle-ci.

Cet entretien avec Carlo Blanchard – de même que les quatre autres – a eu lieu avant la mise au point de Woods, la semaine dernière. N’empêche que le golfeur lui-même avait fortement modéré les attentes sur la suite de sa carrière, à la fin du mois de novembre, dans l’une des entrevues qu’il avait accordées à l’approche du PNC Championship, disputé avec son fils Charlie quelques semaines plus tard.

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Tiger Woods avec son fils Charlie lors du Championnat PNC à Orlando, en décembre

Quoi qu’il en soit, Blanchard a aimé ce qu’il a vu en décembre du lauréat de 15 titres majeurs.

« Il est chanceux dans sa malchance parce que quand il fait son transfert de poids, il se retrouve sur sa jambe gauche, donc au moins il n’y a pas de stress supplémentaire sur sa droite. Au tournoi père et fils, il swinguait aussi bien qu’à tout autre moment. »

D’autres facteurs jouent en faveur de Woods, selon Blanchard. D’abord, sa forme physique. Et même si l’accident lui aura probablement fait perdre de la puissance – le principal intéressé ne l’a d’ailleurs pas caché –, il possède les atouts pour en minimiser les conséquences.

« Il a tellement de finesse, quand même qu’il frapperait 20 verges de moins que les autres… », laisse tomber l’analyste à RDS.

Puis, en jouant moins de tournois par an, ce qui sera assurément le cas, le Tigre sera « très affamé », affirme-t-il.

L’Américain avait causé la surprise en enlevant le Tournoi des Maîtres de 2019, après une disette de 11 ans en Grand Chelem. Peut-il répéter un exploit du genre ? Selon Carlo Blanchard, oui.

« Le talent est encore là, et le désir aussi. S’il voit qu’il n’est pas capable de suivre la parade, c’est sûr qu’il va sortir de là. Mais il n’en est pas là du tout. »

Le (très) sceptique

Mario Brisebois, journaliste spécialisé dans le golf

PHOTO TIRÉE DU SITE DE GOLF QUÉBEC

Mario Brisebois

« Je ne gagerai jamais contre Tiger Woods, ça, c’est sûr. »

Mario Brisebois ne misera pas un dollar contre le golfeur californien. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il croit à un retour en force de sa part.

« Dans le sport, ce n’est pas de gagner qui est le plus dur, c’est de revenir d’une blessure. On sait qu’il a les meilleurs entraîneurs, les meilleurs médecins. On sait qu’il a une volonté absolument incroyable. Mais c’est beaucoup demander, juge-t-il. Il est vraiment diminué physiquement. Parce que sinon, il serait déjà là. »

Revenir tout court est ardu. Revenir au sommet de sa discipline l’est encore davantage. Il soulignera que Mario Lemieux fait partie des exceptions.

Woods a failli être amputé de sa jambe droite après l’accident. En 1949, la Cadillac du légendaire Ben Hogan avait percuté de front un autocar Greyhound, au Texas. Le golfeur avait subi de multiples fractures. À ce moment, Hogan était détenteur de trois titres majeurs. En jouant plus sporadiquement, il en décrochera six autres après cette collision.

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L’état de la voiture de Tiger Woods après son accident, en février 2021

Le parallèle entre Tiger Woods et Ben Hogan a été évoqué ad nauseam dans les médias depuis un an. Mais Brisebois ne l’approuve pas.

Hogan avait 36 ans au moment de l’accident, alors que Woods en a 46, indique celui qui a couvert le golf pour Le Journal de Montréal pendant des dizaines d’années. Et puis, le jeu a grandement progressé depuis cette époque.

« Aujourd’hui, c’est complètement insensé, si tu ne finis pas 23 en bas du par, tu n’as pas de chances de gagner le tournoi. Les chiffres sont incroyables, c’est 62, 63. Avant, ils faisaient chanter une grand-messe quand quelqu’un jouait en bas de 65. Maintenant, tout le monde joue ça. »

Au passage, le journaliste se dit impressionné par le changement d’attitude – plus agréable – du golfeur vedette. Le simple fait d’être encore en vie n’y est sans doute pas étranger. Soit. Mais pour ce qui est de son retour dans la PGA…

« Ça va être dur. On se le souhaite de tout cœur. Pour le golf, pour l’entertainment. Tiger, c’est Tiger. Sauf que ses embûches sont énormes. Le défi va être de taille. »

Les prudents

Dave Levesque, professionnel de golf

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Dave Levesque

« On ne reverra jamais le Tiger Woods qu’on a déjà connu. Je pense que ce qu’on peut espérer, c’est un joueur de milieu de classement, qui va se battre pour faire la coupure. »

Pour Dave Levesque, l’un des meilleurs golfeurs québécois de sa génération, rien ne sert d’égrener les chapelets. Le résultat du Tournoi des Maîtres d’il y a trois ans était déjà une grande surprise. Il serait vain de s’attendre à une telle récidive.

« Son dernier accident, ç’a été le coup fatal, je pense. Il a le corps amoché de tous les côtés », rappelle Levesque, aujourd’hui professionnel pour le centre d’enseignement Golftec.

Le revoir pour quelques tournois par an, possible. Mais compétitif, il en doute fort. Cela dit, il apporte également un bémol à son analyse.

« Tiger, ça a souvent été documenté, le processus de réhabilitation, il tripe là-dessus. Ça a quasiment toujours été les périodes préférées de sa carrière. Quand il avait des blessures, que ses médecins disaient qu’ils n’étaient pas certains, et les médias, et tout le monde. Lui, ça le motive au plus haut point de dire : “Je vais vous montrer que je peux revenir encore plus fort que j’étais.” »

Il ne faudrait donc pas le compter pour battu prématurément. Et, en décembre, Woods a prouvé qu’il pouvait encore frapper la balle.

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Marcher 18 trous pendant 4 rondes : un gros point d’interrogation pour Tiger Woods après ses blessures.

« Le gros point d’interrogation, ce sera de marcher 18 trous pendant 4 rondes avec sa jambe », fait valoir Dave Levesque.

Il y a deux mois, Tiger Woods s’était d’ailleurs dit très fatigué au terme de ses deux rondes au Championnat PNC… qu’il avait pourtant jouées en voiturette.

Ce qui ne lui sera jamais permis sur le circuit de la PGA. Il a, de toute façon, lui-même écarté cette idée du revers de la main.

Debbie Savoy Morel, professionnelle de golf

PHOTO FOURNIE PAR DEBBIE SAVOY MOREL

Debbie Savoy Morel

« Il faut se rendre à l’évidence, il s’en va plus vers le 50 que vers le 20 ! »

L’accident pourrait être la goutte de trop, croit aussi Debbie Savoy Morel.

« Mais même si on enlève l’accident, Tiger s’en allait vers un calendrier réduit à cause de son âge et de ses autres opérations », relève-t-elle d’entrée.

Elle s’attend néanmoins à le revoir cinq ou six fois par an.

« Il y a un certain deuil à faire parce qu’il ne pourra pas jouer contre les jeunes de 20 ans et toujours être le meneur, mais avec son intelligence de golfeur, son savoir-faire, sa stratégie de jeu, il a une coche et ça, ça ne s’enlève pas. Physiquement, oui, il est plus sur le déclin, mais ce côté mental qui est tellement fort va lui permettre de jouer encore, je pense. Ça va être à lui de décider s’il veut payer le prix. »

PHOTO DAVID J. PHILLIP, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Tiger Woods lors de sa victoire au Tournoi des Maîtres à Augusta, en avril 2019

En temps dans le gymnase, en entraînement sur le terrain, et toutes les formes de discipline que lui imposera ce retour.

« Est-ce que Tiger veut encore mettre autant d’effort, ou est-ce qu’il va se concentrer un peu plus sur une vie familiale ? », se demande-t-elle.

« Cependant, s’il décide de ne pas rejouer beaucoup parce que c’est trop demandant physiquement, il va faire quelque chose pour avoir une influence sur le golf. Il y a plusieurs façons d’aider au développement de notre sport et il n’y en a pas un meilleur que lui pour le faire parce qu’il est idolâtré. Alors, je suis certaine qu’on n’a pas fini de parler de Tiger. »

Daniel Langevin, entraîneur

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Daniel Langevin

« Il y a du génie dans l’homme, donc même diminué, Tiger Woods est un redoutable compétiteur. Il faut s’attendre à quelques coups d’éclat avant qu’il passe sur le Senior Tour. »

Comme la plupart des intervenants, Daniel Langevin affirme qu’il faut oublier l’ancien Tiger. Sur le PGA Tour, du moins. Parce qu’une fois sur le Senior Tour (50 ans et plus), il redeviendra le joueur dominant qu’il est dans son groupe d’âge, même éclopé.

Cela dit, il n’exclut tout de même pas la perspective de bons moments sur le circuit ordinaire. Woods a 46 ans. L’âge exact auquel Jack Nicklaus a enfilé le veston vert pour la 6fois, signant son 18e et ultime succès majeur. Malgré des ennuis de hanche importants.

« Comme n’importe quel joueur de sa trempe, il peut revenir tirer son épingle du jeu dans de grands évènements comme le Masters. Si Nicklaus l’a fait, je ne vois pas pourquoi Tiger ne pourrait pas le faire. »

En supposant que sa jambe le lui permette, évidemment.

PHOTO JOHN MINCHILLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

« Tiger Woods est un redoutable compétiteur », souligne Daniel Langevin

Le cas échéant, on sait qu’un golfeur de 50 ans en santé et en état de grâce peut rivaliser avec les jeunes un week-end donné.

« Si tu réussis à frapper la balle aussi près du trou avec un fer 6 que l’autre avec un wedge, tu as autant de chances que lui », illustre l’entraîneur du programme golf-études à Golf Québec et des Carabins de l’Université de Montréal.

« Je ne pense pas que les gens vont avoir à faire un deuil de Tiger. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas, par exemple, son fils qui prend toute la place, je pense qu’il va garder le plancher et qu’on va continuer de voir certaines pointes d’exploits. Un champion, c’est un champion. »