Avouons que le Tournoi des Maîtres n’avait pas le même charme, l’automne dernier, quand la pandémie a forcé les organisateurs à reporter le tournoi de huit mois, tout à la fin de la saison, quand de nombreux golfeurs avaient déjà rangé leurs bâtons.

De retour à sa date habituelle cette année, au début du printemps, le « Masters » retrouve aussi sa place toute particulière dans le cœur des amateurs. Plus que les trois autres tournois majeurs, le Tournoi des Maîtres est attendu chaque année avec impatience par tous les golfeurs. Ceux qui ont la chance d’y participer, bien sûr, mais aussi tous ceux qui rêvent d’aller à Augusta, le plus beau parcours du monde aux yeux de plusieurs.

Et ce coin de l’État de la Géorgie n’est jamais aussi beau qu’en cette période de l’année, au début d’avril, quand les arbres et buissons sont en fleurs, quand l’herbe est déjà verte, quand tous les éléments historiques (et d’autres, plus modernes) du très sélect club Augusta National ont été parfaitement mis en scène pour la présentation de ce qui est le plus grand spectacle de la saison de golf.

On a souvent dénoncé, avec raison, le conservatisme, le sexisme ou le racisme des créateurs du club, Bobby Jones et Clifford Roberts, et de la plupart de ceux qui l’ont dirigé après eux. Personne ne peut toutefois mettre en doute leur amour sincère pour le golf lui-même, et aucun tournoi n’a autant contribué au développement de ce sport que le Tournoi des Maîtres.

Depuis quelques années, sans vraiment modifier ses règles « privées » de fonctionnement, le club a multiplié les initiatives pour faire la promotion du golf, avec notamment une compétition d’habileté pour les jeunes filles et garçons ou un tournoi féminin amateur.

La diffusion du Tournoi des Maîtres s’est adaptée aux exigences modernes. Alors qu’il n’y avait que six caméras lors de la première présentation à la télévision, en 1956 par CBS, le réseau en déploie maintenant une centaine sur le site pendant la compétition.

Et même si le club tient à garder secrets plusieurs détails de la mise en scène du tournoi, il n’hésite pas à exploiter les possibilités des nouvelles plateformes numériques pour rejoindre un auditoire toujours plus grand.

L’effet Tiger

La popularité du Tournoi des Maîtres doit aussi beaucoup à ses champions, notamment à Arnold Palmer (quatre titres), Jack Nicklaus (six titres) et Tiger Woods (cinq titres). Ce dernier a vraiment marqué l’histoire récente du tournoi et il a contribué par ses seuls exploits à « démocratiser » un sport qui en avait bien besoin.

En devenant le plus jeune champion de l’histoire à Augusta, à 21 ans en 1997, Woods a mis le Tournoi des Maîtres à la mode pour un nouveau public, plus jeune, qui n’avait jusque-là montré qu’un intérêt limité pour le golf. C’est toute une génération qui a suivi ses exploits — et ses revers — par la suite.

Quand il a remporté le fameux veston vert pour la cinquième fois, à 43 ans en 2019, après avoir traversé une série d’épreuves personnelles et plusieurs blessures ayant nécessité de délicates interventions chirurgicales, Woods a ajouté un autre chapitre glorieux à l’histoire du tournoi.

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Tiger Woods, gagnant du Tournoi des Maîtres en 2019

C’est triste de penser que cette victoire sera sans doute la dernière de sa carrière après le grave accident de la route qui a laissé le golfeur avec des fractures aux deux jambes et une longue convalescence devant lui.

Woods n’était d’ailleurs pas au dîner des champions mardi soir, mais les organisateurs ont laissé une chaise vide à la table où étaient réunis les anciens vainqueurs du tournoi.

C’est le champion en titre, Dustin Johnson, qui a choisi le menu de ce dîner, une autre tradition d’Augusta. Le joueur de 36 ans est l’un de ceux qui tentent de reprendre le flambeau de Woods et de ses prédécesseurs.

Johnson et son frère Austin (son cadet sur les parcours) ont grandi à 75 milles d’Augusta, mais ils ont découvert le golf sur des terrains publics et des terrains d’entraînement de la région.

« Plus jeunes, nous rêvions simplement d’avoir la chance de peut-être pouvoir venir ici un jour, de voir le parcours en vrai, a raconté Austin, en entrevue à ESPN cette semaine. Je n’ai jamais pensé qu’il [Dustin] gagnerait le tournoi avec un pointage record, que je porterais ses bâtons. C’est encore difficile à croire. »

Une impression de facilité

Bobby Jones, l’un des plus grands joueurs de tous les temps, même s’il a pris sa retraite à 28 ans, a mis tout son talent dans le parcours du club Augusta National. Selon lui, « le but premier de tout parcours de golf doit être de procurer du plaisir, et ce, au plus grand nombre de joueurs possible, quel que soit leur niveau d’habileté ».

À plus de 7450 verges pendant le Tournoi des Maîtres, ce parcours n’est sans doute pas en état de procurer beaucoup de plaisir au golfeur moyen, mais la très grande majorité des golfeurs de la planète n’auront jamais l’occasion de le vérifier.

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Brooks Koepka et son cadet au club Augusta National

Tous peuvent pourtant s’imaginer y être, car aucun parcours n’est plus connu.

Combien d’entre nous visualisent certains trous d’Augusta quand ils sont au terrain d’entraînement ? Je le fais régulièrement et c’est une image très claire que j’ai en tête les quelques fois où la balle suit la trajectoire prévue. Je la « vois » alors rouler dans l’allée du 11e trou, atterrir sur le vert du 12e ou tomber dans la coupe du 16e… comme celle de Tiger Woods en 2005 !

Vu d’ici, le parcours d’Augusta dégage une impression de beauté, on l’a dit, mais aussi le sentiment qu’on pourrait facilement y réussir de beaux coups. Je sais que l’impression est différente quand on y est vraiment, mais qu’importe.

En concevant son parcours, Bobby Jones a défini un idéal de ce que doit être une ronde de golf et en ce sens, Augusta National est sans égal. Et il suffit d’un peu d’imagination pour y avoir autant de plaisir qu’il l’avait espéré.