Chaque année, le Tournoi des Maîtres marque le véritable début de la saison de golf. Ce ne sera pas le cas cette année. La pandémie de COVID-19 a forcé l’annulation de toutes les compétitions prévues au cours des prochains mois et les golfeurs amateurs doivent aussi ronger leur frein. Il faudra donc se contenter des reprises du tournoi de l’an dernier, ce qui n’est pas si désastreux, la présentation 2019 ayant été mémorable. Un an après le triomphe de Tiger Woods, revenons sur cet exploit et sur les raisons qui font de ce tournoi l’un des évènements les plus mythiques de l’année sportive.

Tiger Woods occupe une place à part dans l’histoire du golf et tout particulièrement dans celle du Tournoi des Maîtres. C’est en effet au club Augusta National qu’il a signé quelques-uns de ses plus formidables exploits.

En 1997, c’est là qu’il a remporté son premier titre majeur, une victoire écrasante qui lui a permis de réécrire le livre de records du tournoi. Plus jeune vainqueur à 21 ans, il s’est imposé avec une priorité de 12 coups et avec un pointage de 270 (- 18). Ce triomphe a aussi attiré ce qui reste le plus grand auditoire télévisuel pour un tournoi de golf à ce jour.

Après deux autres victoires, en 2001 et 2002, Woods a accompli en 2005 un autre exploit en s’imposant en prolongation. En ronde finale, il a réussi au 16e trou l’un des coups les plus célèbres de sa carrière. De la frise, il a frappé la balle plusieurs pieds à gauche du trou pour laisser la pente ramener la balle vers la cible. Le gros plan de la balle – et du logo de la marque Nike –, en équilibre au bord de la coupe avant d’y tomber, est devenu une image publicitaire.

PHOTO ROBERTO SCHMIDT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Phil Mickelson, champion du Tournoi des Maîtres d’Augusta de 2004, remet le célèbre veston vert sur les épaules de son successeur, Tiger Woods.

Plusieurs croyaient que cette victoire serait la dernière de Tiger à Augusta. À partir de 2008, les blessures et des déboires personnels avaient fait dérailler sa carrière et on doutait qu’il ait encore les nerfs pour triompher en tournoi majeur.

En 2017, il avait dû recevoir des injections de cortisone pour assister au Banquet des champions du Tournoi des Maîtres et disait simplement espérer pouvoir jouer de nouveau avec ses enfants. Après avoir subi une quatrième intervention chirurgicale au dos, une fusion de deux vertèbres, quelques semaines plus tard, il a pourtant graduellement retrouvé sa forme.

Et le printemps dernier, à 43 ans, c’est un autre Tiger qui s’est présenté à Augusta.

Un champion plus « humain »

Au sommet de sa gloire, Woods était un champion intimidant et, avouons-le, très arrogant. Il avait peu d’amis sur le circuit et n’en cherchait pas. Les épreuves et les leçons de la vie l’ont transformé. L’homme a gagné en maturité, l’athlète a dû adapter son jeu.

Au Tournoi des Maîtres de 2019, pour la première fois de sa carrière en tournoi majeur, il est venu de l’arrière en ronde finale pour s’imposer avec un coup d’avance devant ses compatriotes Dustin Johnson, Brooks Koepka et Xander Schauffele.

Patient, une qualité qu’on ne lui connaissait pas, Woods s’est accroché toute la journée et était encore à trois coups du meneur en arrivant au 12e trou…

L’Italien Francesco Molinari, qui avait amorcé la ronde finale avec une priorité de deux coups, a alors commis un double boguey, puis encore un autre au 15e trou. Jouant avec l’attention et le soutien d’un public largement acquis à sa cause, Woods est redevenu Tiger et il a réussi une poussée de trois oiselets en quatre trous, du 13e au 16e.

Fort d’une priorité de deux coups, il s’est contenté d’un boguey au dernier trou. « C’est sûrement la plus difficile de toutes mes victoires, a-t-il raconté en point de presse. Je voyais le tableau des meneurs, avec un véritable “Who’s who” du golf, et le classement évoluait sans cesse.

« Il y avait plusieurs scénarios possibles, mais tout a vraiment été chamboulé au 12e, Francesco a commis quelques erreurs, je me suis retrouvé à égalité au premier rang, puis seul en tête », a-t-il ajouté, la voix trahie par l’émotion.

À 43 ans, 14 ans après son dernier titre à Augusta, Woods a encore battu un record du tournoi, celui du plus grand écart entre deux victoires ! Et après avoir remporté cinq fois le fameux veston vert, il n’est plus qu’à un titre du record de Jack Nicklaus.

Les amateurs attendaient avec impatience qu’il s’attaque à cette marque cette semaine, mais il faudra patienter. Et rien ne garantit qu’il sera encore en mesure de le faire plus tard cette année ou en 2021.

Nicklaus avait 46 ans quand il a gagné son sixième et dernier grand titre au Tournoi des Maîtres. Ça laisse encore deux ou trois chances à Woods, au moins.

Et personne ne pourra effacer le souvenir de tous ses exploits à Augusta.

Un Tournoi des Maîtres en novembre ?

Les organisateurs du Tournoi des Maîtres ont été parmi les premiers à reporter la présentation d’un évènement majeur du calendrier sportif au début du mois de mars. On n’aura donc pas droit cette année au spectacle des golfeurs sur le superbe parcours de la Géorgie avec ses arbres et arbustes en fleurs.

On pourrait toutefois découvrir un autre visage du club Augusta National plus tard cette année. La direction a en effet indiqué qu’elle espérait pouvoir présenter le tournoi dans la semaine du 9 au 15 novembre, la nouvelle date prévue au calendrier de la PGA et du circuit européen.

L’automne à Augusta, ça doit aussi être beau, non ?

Cinq autres moments mémorables 

Une sélection de moments qui ont marqué le Tournoi des Maîtres au fil des années.

Le charisme de Palmer

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jack Nicklaus remet à Arnold Palmer le veston du gagnant au Tournoi des Maîtres d’Augusta en 1960.

Arnold Palmer est sans doute le seul golfeur qui pouvait prétendre avoir été encore plus populaire que Tiger Woods et il avait un flair pour soulever les foules. En 1960, il a remporté le deuxième de ses quatre titres à Augusta en venant de l’arrière à la toute fin de la ronde finale. Sachant qu’il était à un coup du meneur Ken Venturi, Palmer a réussi des oiselets sur les deux derniers trous et il s’est sauvé avec la victoire !

Larry Mize, en prolongation

PHOTO JOE BENTON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Larry Mize célèbre sa victoire au deuxième trou supplémentaire (11e trou) au Tournoi des Maîtres, en novembre 1987.

L’Américain Larry Mize n’a remporté qu’un titre majeur et il le doit à un coup miraculeux. En 1987, il s’est retrouvé en prolongation avec Greg Norman et Seve Ballesteros. Au deuxième trou supplémentaire (11e trou), il s’est retrouvé dans une fosse de sable à près de 150 pieds du trou. Norman, dont la balle était sur la frise du vert, croyait sa victoire assurée, mais Mize a calé son coup, triomphant ainsi de la plus improbable des façons.

La déroute de Greg Norman

PHOTO DAVE MARTIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Greg Norman se jette à terre après un coup raté au 15e trou pendant la ronde finale du Tournoi des Maîtres d’avril 1996.

L’Australien Greg Norman a souvent été en position de triompher à Augusta, mais il n’a jamais été aussi près du titre qu’en 1996, quand il a amorcé la ronde finale avec une priorité de six coups sur Nick Faldo. Pendant que l’Anglais brillait avec une ronde de 67, Norman s’écroulait avec pas moins de cinq bogueys et deux doubles bogueys, pour un 78 et une autre deuxième place, la troisième de sa carrière au Tournoi des Maîtres.

La dernière de Nicklaus

PHOTO JOE BENTON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jack Nicklaus au travail au Tournoi des Maîtres en avril 1986

Six fois vainqueur du Tournoi des Maîtres, Jack Nicklaus a signé sa dernière victoire en 1986, à 46 ans, en comblant un déficit de quatre coups en ronde finale. L’Ours blond n’a joué que 30 coups sur le neuf de retour pour devancer la plupart des meilleurs joueurs du moment. L’écart de près de 24 ans entre cette victoire et sa première en tournoi majeur, à l’Omnium des États-Unis de 1962, reste un record.

L’exploit de Weir

PHOTO SHAUN BEST, ARCHIVES REUTERS

Tiger Woods remet à Mike Weir, du Canada, le veston vert au Tournoi des Maîtres d’avril 2003.

Un seul Canadien s’est imposé à Augusta : Mike Weir. Le joueur gaucher a connu une belle séquence sur le circuit de la PGA au tournant des années 2000, mais il n’était pas vraiment parmi les favoris en 2003 au Tournoi des Maîtres. Pendant que les têtes d’affiche étaient à la peine sur un parcours gorgé d’eau, Weir signait une carte finale de 68, avant de disposer de l’Américain Len Mattiace au premier trou supplémentaire.

Une histoire pleine de contradictions

PHOTO DAVID J. PHILLIP, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des fleurs jaunes sont disposées pour reprendre la forme géographique des États-Unis devant le chalet du club Augusta National.

Créé pendant la grande dépression économique des années 30, le club Augusta National a été aménagé en Géorgie sur ce qui était une vaste pépinière créée avant la guerre de Sécession. Imaginés par Bobby Jones, le plus grand champion de l’époque qui venait de prendre sa retraite à 28 ans, les trous serpentent entre les magnolias, les azalées et d’autres variétés d’arbres pour créer un magnifique écrin où vient s’enchâsser l’un des parcours les plus mythiques du golf.

C’est là que Jones et son partenaire d’affaires Clifford Roberts ont décidé d’inviter les meilleurs joueurs du monde pour ce qui a d’abord été l’Augusta National Invitational, le champion retraité estimant trop prétentieux le nom de « Masters ». L’appellation s’est toutefois vite imposée et le Tournoi des Maîtres est devenu un rendez-vous incontournable.

Des quatre tournois majeurs, c’est le seul qui est toujours disputé au même endroit et tous les mordus du golf ont l’impression de connaître le parcours du club Augusta National comme s’ils en étaient membres !

Ceux qui ont ce privilège sont toutefois rares.

Traditions bien ancrées

Roberts, qui a présidé le club et le tournoi de leur création à 1976, était un homme très conservateur, misogyne, raciste et dur en affaires. Sa rigueur lui a permis d’imposer plusieurs des traditions qui ont contribué à la réputation d’Augusta National, mais aussi des règles qui ont valu au club un flot croissant de critiques à mesure que le tournoi prenait de l’envergure.

Aucune femme n’a été admise parmi les membres du club du vivant de Roberts et ce n’est pas la création d’un tournoi amateur féminin sur invitation, l’année dernière, qui va vraiment faire évoluer les choses, les golfeuses n’étant invitées qu’à disputer la dernière ronde du tournoi sur le parcours du club.

Par ailleurs, il a fallu attendre 1975 pour voir un joueur afro-américain, Lee Elder, disputer le Tournoi des Maîtres et ce sont les cadets du club, tous afro-américains, qui ont porté les sacs des participants jusqu’en 1982.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Lee Elder

Encore aujourd’hui, c’est impossible de connaître la liste des membres, et les finances du club restent secrètes. Organisme à but lucratif, Augusta National fait de larges bénéfices, mais son conservatisme le prive de plus en plus des revenus rendus possibles par les moyens de diffusion modernes.

Le club tente en effet de contrôler au maximum la médiatisation du tournoi. Les téléphones cellulaires sont interdits sur le parcours, et on encourage les journalistes à demeurer dans le centre de presse. Les commentateurs du réseau CBS reçoivent de véritables scénarios qu’ils doivent scrupuleusement respecter. L’analyste Gary McCord a été banni des ondes en 1994 après avoir blagué que certains verts d’Augusta n’étaient pas entretenus avec une tondeuse, mais plutôt avec de la crème épilatoire…

Le Disneyland du golf

Avec les années, les anachronismes de l’évènement sont devenus plus évidents. À la télévision, tout semble parfait, mais ceux qui assistent au tournoi sont souvent surpris par la superficialité du site.

Le périodique New Yorker a publié en juin dernier un article comparant le club Augusta National à Disneyland et recensant plusieurs détails qui détonnent. Le gazon est parfois peint en vert, l’eau des étangs peut être colorée et, alors qu’on croirait entendre et voir une faune abondante, les animaux sont pratiquement absents. Ce sont des haut-parleurs, dissimulés dans les arbres, qui diffusent les chants et gazouillis des oiseaux.

On pourrait continuer la liste en parlant des zones réservées aux membres et à leurs riches invités, de la gestion du personnel, des services de restauration, de la terminologie utilisée sur le site…

Un écrin du golf, certes, mais l’emballage n’est pas à la hauteur.